Travaillons-nous assez en France ?

Sébastien Laye, chercheur associé à l’Institut Thomas More, et Didier Long, physicien

1er décembre 2021 • Opinion •


Selon un sondage Odoxa publié le 29 novembre 2021, le pouvoir d’achat reste la priorité absolue des Français. En réponse à ce besoin, Sébastien Laye et Didier Long préconisent d’égaliser le temps de travail de l’Hexagone avec celui de ses voisins.


En France, un habitant travaille en moyenne 600 heures par an. C’est le nombre total d’heures travaillées en France divisée par le nombre d’habitants, tous habitants confondus, retraités, enfants et adultes, c’est-à-dire les 67 millions de Français. En Suisse, ce nombre est de 900 heures par an et par habitant. L’écart entre la France et son voisin helvétique, énorme, est ainsi de 50%.

C’est plus ou moins le même ratio quand on compare avec les autres pays développés, la Suisse étant cependant dans les niveaux les plus élevés. On travaille trop peu en France. Seule 40% de la population travaille pour 50% en Allemagne, aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne, au Danemark, davantage encore en Suisse. Tout cet écart s’est produit progressivement durant ces 45 dernières années à mesure que l’assistanat, quasi inexistant en 1975, se développait en France pour atteindre sept millions de personnes qui devraient travailler si on compare aux autres pays et qui ne travaillent pas. Bien évidemment, les 35 heures ont considérablement aggravé le problème. Ces 7 millions de personnes sont à la retraite trop tôt, ou commencent leur carrière professionnelle trop tard, sont au chômage trop souvent et trop longtemps à différentes étapes de leurs carrières ou suivent des formations inutiles ou très peu efficaces. Tout cela résulte en un nombre d’heures totales travaillées en France trop faible.

On peut parler d’un sous-dimensionnement de l’économie française à l’aune de ces chiffres : il explique l’effondrement de notre État Providence (qui n’est pas soutenu par assez d’heures travaillées et de création de richesses) et les difficultés de pouvoir d’achat de nos concitoyens. Car les heures travaillées doivent d’abord permettre de couvrir les dépenses incompressibles : il faut bien se loger, se nourrir, se soigner, payer les retraites, financer l’État régalien (justice, police, affaires étrangères, armée), payer l’entretien des routes, payer sa voiture, son essence, son chauffage, son électricité et payer pour l’instruction de ses enfants.

D’une certaine façon, la qualité de vie commence une fois que l’on a payé toutes ces dépenses incompressibles et qui ont d’ailleurs été largement rabotées aux fils des ans en réalité : on se loge moins bien, on mange moins bien, on se soigne moins bien, nos retraités ont des difficultés en fin de mois, notre armée a été transformée en modèle réduit mal équipé, notre justice manque de moyens, comme notre police, et nous donnons nos enfants à des enseignants mal payés et frustrés et en aucune façon considérés à la hauteur de la mission qui est la leur. Nous usons de notre voiture jusqu’à la corde, on calcule ses déplacements, on réduit son chauffage quitte à tomber malade, etc.

La qualité de vie est ce qui reste une fois qu’on a payé tout cela. Celle-ci peut se mesurer aux sorties au restaurant, au cinéma, à l’opéra, dans les visites de musées, les voyages en France et à l’étranger. Et pour la très grande majorité des Français, à ce stade, il ne reste plus grand-chose, voire rien du tout pour un nombre croissant. Il est donc essentiel de comprendre que cette différence de 300 heures par an et par habitant est énorme, encore plus lorsqu’il s’agit de considérer la qualité de vie.

Chaque travailleur ou retraité de France gagnerait chaque mois 1 500 euros net d’impôts (vous avez bien lu) de plus s’il était possible de passer instantanément de 600 heures à 900 heures, ce qui n’est pas possible puisque les entreprises sont sous-dimensionnées également. 1 000 euros par mois supplémentaires et par travailleur ou retraité allant aux entreprises pour leur développement et leurs profits, le surcroît de production mensuel par salarié et retraité étant de 2 500 euros. Ce chiffre permet de mesurer la différence avec la Suisse.

Bien sûr, une partie de ces 2 500 euros net d’impôts seraient en réalité prélevés sous forme d’impôts pour mieux financer l’état régalien, équiper notre armée, une armée de plus grande taille, avoir une justice qui aurait 100 à 150 000 places de prison et des juges ayant les moyens de travailler, refinancer nos affaires étrangères, notre police, revaloriser les traitements des enseignants ainsi que leurs carrières, financer la recherche avec de grandes ambitions, etc.

Les Français se logeraient mieux, mangeraient mieux, se soigneraient mieux, pourraient acheter une voiture avant que la précédente ne devienne un danger roulant, et même un véhicule électrique pour faire la transition énergétique, ils se chaufferaient mieux, ils pourraient mieux financer l’isolation thermique de leurs logements, ils pourraient payer les études supérieures de leurs enfants. La France resterait la France mais les Français seraient aussi prospères qu’on l’est au Danemark, aux Pays-Bas, en Allemagne, etc.

On le voit, la solution des problèmes de la France se trouve dans l’augmentation du nombre total d’heures travaillées. Cela veut dire sortir du carcan des 35 heures pour ceux qui travaillent déjà, mais aussi favoriser l’augmentation du nombre de ceux qui travaillent. Tout y ramène, et tout en part : nous devons passer de 27 millions de personnes qui travaillent à 34 millions pour atteindre notre vrai potentiel de PIB. Et si l’on souhaite être plus riche encore, nous pouvons aussi augmenter le nombre d’heures travaillées par ceux qui travaillent.

Tout le reste est pure démagogie.

Nous avons déjà expliqué dans une série de trois articles à Figarovox à l’été 2019 et dans une note de l’Institut Thomas More fin novembre 2019 quelle serait la politique macroéconomique adaptée à l’Europe et à la France en particulier (mais aussi à l’Italie et à l’Espagne par exemple) et qui mènera progressivement à l’augmentation de la taille de l’économie sur 5 à 10 ans pour que se créent, par les entreprises, avec le libre jeu de la liberté d’entreprendre, de la concurrence et du marché, les 8 millions d’emplois supplémentaires nécessaires pour redresser la France à l’horizon de 10 ans, ainsi que les 10 millions d’emplois qui manquent en Italie.

Cela passe, quel que soit le chemin choisi pour mettre en place cette politique, par l’augmentation de la profitabilité des entreprises en France, la sortie des 35h et un contrôle des dépenses publiques plus stricte et, ce qui serait souhaitable, une politique plus expansionniste dans les pays d’Europe en forts excédents commerciaux.