La Chine convoite la Nouvelle-Calédonie

Hugues Eudeline, chercheur associé à l’Institut Thomas More

3 décembre 2021 • Opinion •


Alors que le référendum sur l’indépendance se tiendra le 12 décembre, l’ancien commandant de sous-marin d’attaque Hugues Eudeline, CV (h), chercheur associé à l’Institut Thomas More, souligne l’importance stratégique pour la France de ce territoire convoité.


Le 12 décembre, l’avenir de la Nouvelle-Calédonie va se jouer lors d’un troisième et ultime référendum depuis l’accord de Nouméa (1998). Malgré l’indifférence qui règne en métropole sur l’avenir de ce territoire français d’outre-mer et de son gigantesque domaine maritime (un sixième de celui de la France), l’enjeu est d’une importance primordiale pour l’ensemble du théâtre Indo-Pacifique. Le succès du parti de l’indépendance, influencé depuis des années par Pékin, conduirait probablement à terme, pour des raisons économiques, la Nouvelle-Calédonie comme la plupart de ses voisins sous contrôle chinois.

Plus grande île du Pacifique Sud après la Nouvelle-Guinée et la Nouvelle-Zélande, la Grande Terre dispose d’un excellent port en eaux profondes et d’emplacements favorables à l’établissement de grandes installations aériennes et logistiques. Elle constituerait la grande base opérationnelle avancée interarmées de premier choix qui manque à la Chine pour agrandir son espace stratégique dans le Pacifique. À moins d’envisager un retour économique et stratégique américain pour bloquer la progression chinoise dans le droit fil de l’accord Aukus.

Depuis 1979, la Chine a développé son économie en s’ouvrant au monde. Elle a privilégié la voie maritime pour profiter de la liberté de navigation. Dès 1986, l’amiral Liu Haqing, qui dirigeait alors la Marine, lance la construction d’une flotte de haute mer qui aujourd’hui est, en nombre de bâtiments de guerre, la première au monde. Et il planifie le contrôle d’espaces maritimes de plus en plus importants. Cette politique a été encore accélérée par Xi Jinping et le lancement en 2013 du gigantesque programme des « routes de la soie maritimes du XXIe siècle ».

Désormais, malgré l’opposition des autres pays riverains et en contradiction avec la loi de la mer rédigée sous l’égide de l’Onu, la Chine est en mesure d’exercer un contrôle absolu des mers qui constituent ses approches maritimes. Pour poursuivre et sécuriser sa politique d’expansion commerciale, elle doit disposer d’un espace stratégique dans l’océan Pacifique toujours plus vaste afin d’avoir un accès sans contrainte à l’océan mondial. Et en particulier aux routes maritimes de l’Arctique que va permettre d’exploiter le réchauffement climatique. Elle doit pour cela disposer de grandes bases avancées et judicieusement situées. Ses investissements en Papouasie-Nouvelle Guinée, dans les îles Kiribati, Cook, Salomon, au Vanuatu, Niue et aux Fidji ont placé ces pays sous son influence. Aucun cependant ne dispose des caractéristiques géographiques permettant d’en faire une base logistique interarmées capable de maintenir des forces puissantes et nombreuses pendant des opérations de grande ampleur.

La Nouvelle-Calédonie, elle, a déjà rempli ce rôle et pourrait le faire à nouveau. Pendant la guerre du Pacifique (1941-1945), les remarquables avantages géographiques offerts par cette terre française ont été exploités par les États-Unis. Fin 1941, il était évident qu’elle constituait un objectif important pour le Japon. Washington décida de protéger la Nouvelle-Calédonie et 16 800 GI débarquèrent le 12 janvier 1942. Les trois aérodromes (La Tontouta, plaine des Gaiacs et Oua Tom) furent réaménagés et sept autres pistes construites dont la grande base de l’USAAF : Koumac. La petite base d’hydravions civils de Nouville était prise en charge par l’US Navy et le port agrandi. En octobre 1942, Nouméa a été préférée à Auckland pour l’installation de la principale base navale américaine et du principal arsenal logistique pour le soutien des opérations amphibies dans le Pacifique Sud. L’île disposait de bons réseaux d’infrastructures routière et ferroviaire qui ont pu être facilement adaptés aux gigantesques besoins des armées américaines en guerre.

La France veut-elle conserver son rang géopolitique dans le monde ? Si la Nouvelle-Calédonie était un objectif très important pour le Japon en 1941, elle l’est aujourd’hui tout autant pour la Chine – et par conséquent pour les États-Unis. La France rechigne à dépenser les deux milliards que lui coûte annuellement la Nouvelle-Calédonie selon les experts, somme pourtant dérisoire vue son importance géostratégique. Une bonne raison pour que les pays de l’anglosphère, qui ont déjà évincé Paris du programme de sous-marins Attack pour l’Australie, poussent leur avantage en cas de vote favorable à l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie. Ils pourraient ainsi transformer le quart sud-ouest du Pacifique en un espace océanique anglo-saxon auquel pourraient se joindre la Nouvelle-Zélande voire le Canada dont des bâtiments de combat ont commencé à réapparaître dans la zone. L’alliance de ces cinq pays – qui partagent une même culture navale et  déjà liés par l’accord Five Eyes de leurs services de renseignement – serait stratégiquement cohérente face à la Chine.

N’étant plus une puissance riveraine, la France perdrait toute influence dans la zone. L’enjeu néocalédonien est donc primordial pour la stratégie française dans l’Indopacifique, et pour son rang géopolitique dans le monde.