Inviter Taïwan au Sommet pour la Démocratie est une nécessité stratégique

Laurent Amelot, chercheur associé à l’Institut Thomas More, directeur du Programme « L’Indo-Pacifique à l’épreuve des ambitions chinoises »

9 décembre 2021 • Opinion •


Joe Biden a organisé un Sommet pour la Démocratie devant se tenir le 9 et 10 décembre. L’invitation de Taïwan permet de réaffirmer le soutien des Occidentaux à un pays de plus en plus soumis à la pression constante de la Chine populaire, se réjouit Laurent Amelot, chercheur associé à l’Institut Thomas More, directeur du Programme « L’Indo-Pacifique à l’épreuve des ambitions chinoises ».


Les 9 et 10 décembre 2021 se déroulera un Sommet pour la Démocratie, à l’initiative du président américain Joe Biden. Face aux assauts répétés de l’autoritarisme politique et de l’illibéralisme économique orchestrés par le couple sino-russe, soutenu par des puissances régionales néo-impériales telles que l’Iran ou la Turquie, l’Occident doit restructurer l’ordre international qu’il porte dans un cadre plus réaliste et pragmatique en privilégiant valeurs et intérêts au détriment d’une idéologie libertaire et universaliste qui le dessert. L’hypothèse d’un découplage avec la Chine populaire reste posée, mais ne doit pas être érigée en priorité absolue. A cet égard, si la non invitation de la Hongrie est une erreur, tant elle offre à Pékin l’opportunité de s’installer durablement au cœur de l’Europe et de devenir, pour Budapest, une alternative crédible à Bruxelles, l’invitation de Taiwan participe de la nécessité de soutenir un partenaire stratégique, situé aux avant-postes de la démocratie dans le monde sinisé, soumis à la pression constante de la Chine populaire. La France devrait se positionner.

En effet, si le Tibet ou le Xinjiang relèvent de la politique intérieure du Parti-Etat chinois, il n’est jamais inutile de rappeler à la Chine communiste qu’il n’en est rien de Taiwan. Ce dernier est l’héritier de la république de Chine qui, au lendemain de la seconde guerre mondiale, a repris aux Japonais l’ile de Formose, avant de s’y installer à partir de 1949, dans le prolongement de sa défaite face aux communistes, mais sans jamais abdiquer. Taiwan est un Etat qui a fait sa mue démocratique à partir de la fin des années 1980 et dispose d’une conscience et d’une identité nationale forte ; une nation confrontée à une guerre de légitimité et de représentation à laquelle la Chine communiste la soumet (discours sur « l’ile rebelle ») ainsi que le reste du monde (doctrine de la « Chine unique »). L’enjeu est politique.

Dans le même ordre d’idées, si la Chine populaire a opéré un changement de paradigme radical en s’ouvrant sur le monde, à partir de la fin des années 1970, elle s’appuie sur la « doctrine de la langue de bœuf » et une interprétation audacieuse de la Convention de Montego Bay sur le droit de la mer pour assurer la sécurité de ses approches maritimes en asseyant son hégémonie sur les mers éponymes pour les transformer en lac et en bastion. Par ce biais, elle menace la liberté de navigation sur mer, celle des routes critiques du commerce international, ainsi que la souveraineté de ses voisins, dont Taiwan. L’ile de Formose, située à moins de 200 kilomètres des côtes chinoises, occupe une place centrale au cœur des mers de Chine et du dispositif de sécurité américain sur la première chaine d’iles. Faire sauter ce verrou est une priorité pour le Parti-Etat chinois et un défi pour l’Occident. L’enjeu est autant géopolitique que stratégique.

Par ailleurs, si la Chine communiste s’est singulièrement développée au cours des quarante dernières années avec le soutien de l’Occident, celui n’est pas corrélé à une supposée libéralisation politique, bien au contraire. Elle se pose en modèle alternatif à celui d’un Occident sur le déclin et pratique l’opacité, la prédation et le néo-colonialisme, sous couvert de partenariats gagnant-gagnant via les multiples facettes de l’Initiative ceinture et route. Dans cette optique, Taiwan est nécessairement un trublion et la cible d’une guerre hors limite dont l’objectif est de faire plier son modèle de société. Le contraste entre les deux rives du détroit de Formose est saisissant et favorable à Taipei, qu’il s’agisse de la gestion de la crise sanitaire liée à la Covid-19 ou de l’expertise technologique notamment. L’enjeu est autant économique que sociétal.

Dès lors, Pékin s’inscrit dans une posture de guerre totale contre Taiwan et son positionnement démocratique, avec des manœuvres toujours plus agressives. A Paris, comme à Washington, adopter des résolutions destinées à soutenir le retour de Taipei au sein des organisations internationales s’inscrit dans la bonne voie, mais est-ce suffisant ? Il s’agit bien sûr de lever progressivement l’ambiguïté stratégique et diplomatique vis-à-vis de Taiwan tout en préservant l’équilibre des rapports de force dans le détroit de Formose. Toutefois, ces actions ne perpétuent-t-elles pas le statu quo aux motifs d’un dialogue stratégique bien compris avec Pékin et d’un marché chinois, qui est plus un mythe qu’une réalité. Aussi, ne devrions-nous pas d’ores et déjà réfléchir à l’étape suivante et affirmer que Taiwan a légitimement et entièrement sa place au sein du concert international des nations et donc que les doctrines que nous assènent la Chine communiste, celles la « Chine unique », évoquée supra, et d’ « une Chine, deux systèmes », ont vécu ? Cette dernière est également un mythe qui a volé en éclat lorsque Pékin a adopté en 2020 sa loi sur la sécurité nationale pour Hong Kong. Les discours menaçants de Xi JInping à l’encontre Taïwan ne font que le confirmer.

Au cours de la dernière campagne présidentielle américaine, la question du rétablissement des relations diplomatiques avec Taiwan a été posée. Elle n’est donc plus taboue et la France devrait y réfléchir à l’heure où les Européens qualifient Pékin de « rival systémique » et s’inquiètent de sa progression dans leurs pré-carrés. L’année 2022 offre à la France une occasion unique à l’échelle nationale, comme européenne de remettre à plat sa politique à l’égard de la Chine, d’affirmer un soutien clair à Taiwan, à sa démocratie, son modèle sociale et ses performances économiques, de réévaluer ses partenariats avec le Japon, l’Inde ou le Vietnam, en bref de se repositionner comme une puissance véritable de l’Indopacifique.