Emmanuel Macron est-il encore le candidat du cercle de la raison, ou celui de l’illusion ?

Sébastien Laye, chercheur associé à l’Institut Thomas More

16 décembre 2021 • Opinion •


L’émission « Où va la France ? » avec Emmanuel Macron était diffusée mercredi 15 décembre sur TF1/LCI. Selon Sébastien Laye, chercheur associé à l’institut Thomas More, le président n’a pas cherché à défendre ses réformes dans le détail, mais a dressé un portrait très généraliste et idéologisée de son bilan économique.


Emmanuel Macron a surgi sur le spectre politique, il y a quelques années, comme le parangon du « cercle de la raison », notamment économique, pour paraphraser Alain Minc. Si la mue était déjà en germe en 2017, l’intervention hier du Président, dans la foulée des irresponsables « quoi qu’il en coûte », a signé sa sortie du champ de la réalité économique. En économie, la seule exactitude qui vaille est celle des chiffres, réalité implacable. Or cet ancrage dans le réel et la statistique sied mal au pouvoir actuel, qui se complait dans la communication à outrance sur des slogans, ou la circonscription de la réalité à une ou deux statistiques favorables. Jean François Revel disait « la civilisation démocratique est entièrement fondée sur l’exactitude de l’information. Si le citoyen n’est pas correctement informé, le vote ne veut rien dire ». Ainsi, il nous faut appréhender l’exercice d’autosatisfecit (compréhensible en pré-campagne) à l’aune de la réalité économique.

Emmanuel Macron a banni hier soir de son vocabulaire le mot de croissance. Rappelons-lui pourquoi… Avant le Covid, la France a connu quatre années plutôt positives pour la croissance, dès 2016, mais qui ne doivent rien au quinquennat Macron : le mouvement avait commencé dès fin 2015 et ce, grâce au changement de politique monétaire opérée en Europe. En 2018 et 2019 sous Macron, notre croissance, correcte dans l’absolu, était en dessous de la moyenne européenne. Au dernier trimestre 2019 elle devenait négative, avec la menace d’une récession en 2020 qui aura bien lieu, mais précipitée par la pandémie. Cette dernière a masqué l’échec auquel fit face le gouvernement Philippe début 2020, les quelques réformes entreprises n’ayant guère eu d’impact pour élever notre croissance potentielle. Depuis lors, comme nous n’allons retrouver notre PIB d’avant-crise que pour les fêtes de Noël, nous avons fait du surplace depuis deux ans. Entre 2017 et aujourd’hui, nous sommes passés de 2 297 à 2 437 milliards de PIB, soit une croissance annuelle de 1,2%, trop poussive pour durablement créer des emplois. Nous sommes loin des moyennes européennes et allemandes, malgré une envolée des déficits (de 90% à 100% du PIB avant le Covid, puis à 115%). La faute en incombe à l’absence de réformes structurelles et la pusillanimité d’un quinquennat qui aura vu les prélèvements obligatoires stagner au même niveau (toujours 46,5% du PIB). Cette absence de résultat doit se juger à l’aune d’une autre statistique, celle de la dépense publique rapportée au PIB, qui reste à 56% du PIB sans aucune amélioration. La trajectoire 2022 de sa dernière loi de finances est la plus ubuesque, puisque malgré une croissance attendue de 4% (douteuse à ce stade), le déficit est encore annoncé à 5% du PIB.

Interrogé sur sa promesse de « révolution », titre de son ouvrage de campagne de 2017 et devenue slogan, Macron affirme qu’il « pense qu’elle a commencé sur ce sujet et qu’on a bousculé les habitudes, des choses qui semblaient irréformables, reportées depuis tant et tant de temps », arguant, d’abord concernant l’économie, la création de « plus d’un million d’emplois, malgré deux crises énormes », citant aussi « la réforme du travail et la réforme de la fiscalité de 2017 ». Au deuxième trimestre 2017, quand Macron arrive au pouvoir, le chômage est à 9%. Avec la forte croissance qu’il trouve en 2017, le chômage a baissé d’environ un point, et se situe entre 8% et 8,1% depuis la pandémie. Mais une bonne partie de cette baisse tient à la circulation des chômeurs entre les catégories A, B et C, et donc aussi à l’effort de formation : Macron a eu raison hier de se targuer d’un bon bilan sur la formation, mais cette réussite a aussi contribué à une baisse artificielle du chômage en partie, et au développement de formes d’emploi à temps partiel… Dans tous les cas, ces chiffres, pré-crise ou post-crise, sont plus mauvais que la moyenne européenne à nouveau. Sur la fiscalité, il fait référence probablement à la mise en place du PFU (qui a ramené l’imposition sur le capital en France d’une moyenne de 33% à 31%) et à la transformation de l’ISF en IFI : bien loin d’une révolution fiscale, ces mesures favorables aux investisseurs et grandes fortunes (environ 8 milliards) ont été compensée par la hausse de CSG… pour tous. Cela explique pourquoi le ratio prélèvements obligatoires sur PIB n’a pas bougé d’un iota. Ce qui fut donné d’une main (aux plus riches) fut repris de l’autre (à tous et notamment aux retraités).

Sur la question des retraites, traditionnel marqueur de la volonté réformatrice de tous les gouvernements, Macron a dû officiellement abandonner son projet pour ce quinquennat (pour cause de pandémie a-t-il expliqué, sans que l’on comprenne en quoi le sujet modifierait les équilibres des caisses de retraite, car si le financement ne paraissait plus un problème à son arrivée en 2017 du fait de la forte croissance économique, dès 2019 le sujet réapparaissait). Il a donc fait de la réforme des retraites un objectif pour un éventuel second quinquennat, sans que l’on comprenne sa vision justement du problème des retraites. Élu en 2017 sur la vague promesse de mise en place de retraites par points, il a finalement hier concédé à la droite LR qu’il faudrait augmenter la période au travail (64, 65 ans ?) pour ensuite parler d’une fin des régimes spéciaux, en annonçant une usine à gaz avec trois régimes. Le débat ne paraît pas tranché dans son esprit sur cette question cruciale.

En évoquant à nouveau la crise des Gilets jaunes, il s’est targué d’un bon bilan sur la question du pouvoir d’achat. Concernant le pouvoir d’achat, Emmanuel Macron avance que « le pouvoir d’achat des plus pauvres a augmenté sous son quinquennat », d’après les chiffres de l’Insee, « en moyenne plus que sous les deux précédents, malgré la crise ». Selon lui, ce sont les classes moyennes qui ont vu leur pouvoir d’achat « le plus augmenter », même s’il est vrai que les plus riches ont aussi vu le leur aller à la hausse. Or, et je m’en suis fait l’écho ici et dans d’autres publications, la plupart des économistes contestent cette présentation. L’IPP, qui suit de près ces questions, estime que depuis 2017, en moyenne les Français ont vu leur niveau de vie augmenter de 1,6% par an. Mais ce chiffre cache des disparités flagrantes, entre les 5% de ménages les plus modestes, qui ont perdu 0,5% par an, les 1% les plus aisés, qui ont gagné 2,8%, et les 0,1% les plus riches, qui ont gagné 4,1% par an. J’avais déjà montré à l’époque de la crise des Gilets Jaunes que les classes moyennes avaient été les grandes perdantes de la première partie du quinquennat…. Si Macron a communiqué sur le pouvoir d’achat en défendant son bilan, c’est qu’il sait que la situation actuelle se détériore très vite sur le terrain, du fait de l’inflation galopante. Le pouvoir d’achat sera le sujet principal de la présidentielle aux mois de mars-avril, la France suivant les États-Unis (6,7% d’inflation annualisée) et l’Allemagne (5%) vers un niveau à 4%. Incidemment, avec une croissance nominale prévue de 4% en 2022 par le gouvernement, et une inflation à 4%, nous serons en croissance réelle nulle…

Emmanuel Macron, qui n’a cité aucun agrégat macroéconomique, n’a jamais parlé du poids de l’État ou des charges réglementaires et fiscales qui pèsent sur les Français. Il a fustigé certaines déclarations d’opposants sur la réduction de la masse salariale des fonctionnaires en oubliant deux points : 1) il avait fait la même promesse, un peu moins ambitieuse en 2017, pour finir avec une création nette d’emplois publics ; 2) aucun candidat ne parle de réductions dans les missions opérationnelles de la fonction publique (forces de l’ordre, personnels soignants, etc.) ni même de réduction pour faire du chiffre. Il s’agit d’avoir une vraie réflexion sur l’État (ce qu’il doit continuer de faire lui-même, ce pour quoi il n’est plus légitime), une vraie conviction sur les agents publics (ont-ils besoin du statut de la fonction publique du fait de la spécificité de leur métier ? Ou peuvent-ils être dans certains cas des agents contractuels, comme 60% des agents publics en Allemagne ?), et ensuite de définir une politique de ressources humaines pour la fonction publique. L’Élysée n’a jamais eu la réputation d’être un bon DRH malheureusement, et le sujet est resté au point mort durant le quinquennat.

In fine, Macron n’a pas vraiment cherché à défendre dans le détail ses réformes ou ses projets pour sa réélection, mais plutôt à dresser un portrait très généraliste et idéologisée de son bilan économique. L’exercice s’apparentant plus à celui d’un Donald Trump, par exemple, s’arrangeant parfois avec la réalité et la fake news économique. Serait-il tombé dans les travers des extrêmes qu’il dénonce ? Est-il encore le candidat du cercle de la raison, ou celui de l’illusion ?