Les petits réacteurs nucléaires, une technologie prometteuse

Jean-Pierre Schaeken Willemaers, président du pôle Energie, Climat, Environnement de l’Institut Thomas More

15 janvier 2022 • Opinion •


Actuellement en raison, entre autres, du coût d’investissement élevé des réacteurs de grande puissance, de la nécessité de servir des réseaux électriques de faible capacité, voire la recherche d’indépendance d’industriels soucieux d’assurer la sécurité de leur approvisionnement électrique, une tendance se dessine pour des unités plus simples et de puissances nettement plus faibles. Elles peuvent être installées indépendamment ou en vue de constituer progressivement un ensemble de capacité plus élevée par addition successive d’unités supplémentaires.


La conception des SMR (Small Modular Reactors) ou des AMR (Advanced modular reactors), réacteurs de moins de 300 MWe, répond à de telles préoccupations. Elle est caractérisée par une complexité réduite et une architecture compacte, un assemblage en usine, une production en série et de courts délais de fabrication, une flexibilité nettement plus grande, un système de sûreté passive et des quantités plus faibles de déchets radioactifs.

Alors que le nucléaire était absent des exposés et débats des différentes COP (Conferences of the Parties), il en a été question à la COP 26, en particulier à propos des SMR, du fait de leur coût réduit et de leur grande flexibilité, une qualité importante dans des systèmes de plus en plus dominés par la production variable du renouvelable intermittent.

Les investissements significatifs du secteur privé dans le développement des unités nucléaires de petite taille et l’intérêt international croissant dans cette technologie confirment la tendance d’intégration de cette forme de production d’électricité dans le système électrique mondial. La revue de quelques projets, dans lesquels se sont engagés les constructeurs de divers pays dans le monde ainsi que ces pays eux-mêmes, permet de mieux appréhender les tendances actuelles. À l’échelle mondiale, trois pays ont progressé nettement plus que les autres dans le développement des SMR/AMR et sont susceptibles de les commercialiser avant 2030 : les États-Unis, la Chine et la Russie. Quelques projets phares sont brièvement analysés pour chacun de ces pays.

Les États-Unis

NuScale et UAMPS (Utah Associated Municipal Power System) projettent de construire la première centrale électrique commerciale constituée à terme de douze réacteurs PWR (Pressurized Water Reactor) de 60 MWe sur un site du DOE américain. Sur base du rapport de l’ACRS (Advisory Committee on Reactor Safeguards), la NRC (Nuclear Regulatory Commission), l’agence de sûreté nucléaire américaine, a certifié, en août 2020, le concept développé par NuScale, ce qui lui permet de viser un début d’exploitation avant la fin de la décennie (1). Le coût de ce projet est estimé à 4 200 dollars/kWe (ce qui serait bien moins cher que les 11 300 dollars/kWe de Vogtle, le seul projet AP 1000 en cours de construction aux États-Unis). Il est censé baisser avec le nombre d’installations et passer sous la barre de 3000 dollars/kWe (2).

X-energy a signé avec le DOE un accord de participation au programme de démonstration de réacteurs avancés (AMR) qui lui permettra de construire, dans l’État de Washington avec Energy Northwest, une petite centrale électrique pourvue de son réacteur Xe-100, un HTGR (High Temperature Gas Reactor) de 80 MWe de quatrième génération qui utilise du combustible à particules TRISO (tristructural isotropic). Ce réacteur, permettant d’assurer un suivi de charge, devrait être opérationnel d’ici à 2030 (3).

Ge Hitachi a entamé le processus d’obtention de licence pour son SMR BWRX-300 aux États-Unis avec la NRC et au Canada avec la CNSC (Canadian Nuclear Safety Commission). Ce réacteur, à sécurité passive et à circulation naturelle, a un coût de capital inférieur de 60% à celui d’un SMR classique. Le BWRX-300 a très récemment été sélectionné par le Canadien Ontario Power Generation (OPG) pour construction du premier réacteur sur le site de Darlington, avec une mise en service projetée en 2028 (4).

Westinghouse est en train de développer le microréacteur heat pipe eVinci (0,2 à 5 MWe) (5) pour usage dans des lieux reculés ou pour des installations dites « essentielles ». Il est conçu pour fonctionner au moins dix ans sans refueling, à basse pression et sans boucle de refroidissement primaire et donc sans pompe. Sa commercialisation est prévue d’ici à 2024. En vue de la demande de licence pour son microréacteur eVinci, Westinghouse a introduit auprès de la NRC une pré-application REP (Regulatory Engagement Plan) détaillant le projet (concept de base, fabrication, transport, etc.) qu’il soumettra pour certification ultérieurement, de manière à déterminer ensemble avec l’Autorité les moyens les plus efficaces pour obtenir la licence.

La Chine

Huaneng s’est associé à CNNC (China National Nuclear Corporation) et à l’Institut de technologies nucléaire et nouvelle de l’université de Tsinghua pour la construction d’une unité de démonstration de deux réacteurs HTR-PM (High Temperature Reactor-Pebble bed Module) modulaires de 105 MWe, à haute température (750°C), refroidi au gaz (hélium, ni toxique, ni inflammable ), à lit de boulets (6) et à haute sûreté passive. L’objectif de ce projet, qui produit de l’électricité depuis le 20 décembre 2021 (7), est de démontrer la compétitivité économique du HTGR PM et sa sécurité intrinsèque. La Chine est le leader mondial en matière de HTGR. Son coût FOAK (First Of A Kind) serait de 4 400 euros/kWe.

Toutefois, c’est l’ACP 100 de la CNNC qui a été identifié comme le projet phare du douzième plan quinquennal chinois (8). Ce SMR de 125 MWe a été conçu à partir de l’ACP 1000 à eau pressurisée. Sa conception a été approuvée par la National Development and Reform Commission, la principale agence de régulation chinoise, en mai 2017. L’ACP 100 à sûreté passive est supposé démarrer en 2025.

La Chine s’intéresse également à l’électronucléaire maritime. Ainsi s’est-elle lancée, en 2019, dans la construction d’une première barge nucléaire équipée d’un ACPR 50 (PWR, 60 MWe). Enfin, un réacteur prototype de petite puissance refroidi au sel fondu, le TMSR-LF1, est en construction dans une province chinoise proche de la Mongolie ; ce qui démontre que la Chine expérimente toutes les filières et sera présente à l’avenir sur les modèles avancés. La Chine rejoint ainsi les États-Unis et la Russie dans la compétition pour une technologie SMR commercialement viable.

La Russie

OKBM Afrikantov, filiale de Rosatom, est le concepteur du SMR KLT-405 à eau pressurisée (PWR) de 35 MWe, équipant la centrale nucléaire sur barge (non autopropulsée) Akademik Lomonosov, qui a été mise en service à Pevek dans l’Arctique. Cette dernière est équipée de deux réacteurs de ce type, soit 70 MWe, mis en service en 2019. Son coût serait de 4 200 dollars/kWe.

Toutefois, Rosatom considère qu’il n’y aurait pas d’avenir pour le KLT-40 (vu, entre autres, son coût) et examine si une version modifiée du réacteur RITM-200 (un PWR de génération 3+, d’une puissance de 55 MWe, une amélioration du KLT-40) installé déjà sur certains brise-glaces nucléaires, pourrait être commercialisée. OKBM développe, en outre, un PWR plus puissant de 325 MWe, le VBER-300, pour utilisations navales, et éventuellement terrestres, dont les premiers exemplaires seraient installés vers 2030. Une barge équipée de deux réacteurs atteindrait ainsi une puissance de 650 MWe, soit environ la moitié de celle d’un réacteur de troisième génération (9).

De manière générale, Rosatom est peu en faveur des SMR terrestres. Pour des utilisations sur terre, l’entreprise préfère ses réacteurs de grande capacité, hautement performants et très compétitifs grâce à leur système de financement et aux économies d’échelle résultant de carnets de commandes bien remplis (10). Cela ne l’empêche pas de déroger à cette approche. Il a ainsi signé avec SCC, un combinat chimique sibérien du groupe TVEL (un fabricant de combustible nucléaire), un contrat pour la construction et l’installation d’une centrale nucléaire avec un réacteur à neutrons rapides BREST-OD-300 (300 MWe) sur son site de Seversk.

Et les Européens ?

Hélas, les Européens ont pris du retard dans le domaine de la mise en œuvre d’avancées significatives, et a fortiori disruptives, dans le domaine de l’électronucléaire. Pire, elle s’est retirée du développement de technologies porteuses. Elle est aujourd’hui largement dépassée par les États-Unis, la Chine et la Russie.

La France est, en dehors du Royaume-Uni, le seul pays européen qui a encore une sérieuse expertise dans le domaine du nucléaire civil, quoique celle-ci est déclinante pour la quatrième génération de réacteurs nucléaires. Quant aux SMR, EDF développe avec le CEA (Commissariat à l’énergie atomique), Technicatome et Naval Group le projet Nuward de petit réacteur nucléaire modulaire. Nuward est une unité intégrée de 340 MWe avec deux réacteurs de 170 MWe à eau pressurisée. Selon la Société Française d’Energie Nucléaire (SFEN), il faut compter sur un investissement de l’ordre d’un milliard d’euros pour la construction d’une tranche de 170 MWe, soit près de 6 000 euros/kWe.

Le partenaire Technicatome est le champion européen de la conception de réacteurs nucléaires compacts, un savoir-faire qu’il a acquis dans le domaine de la propulsion nucléaire des sous-marins SNA et SWLE, ainsi que du porte-avions Charles de Gaulle. Le projet Nuward est actuellement dans la phase d’avant-projet sommaire. La phase actuelle devrait se terminer fin 2022. Elle a vocation à être suivie par une phase d’avant-projet détaillé, suivie du démarrage de la construction en 2030 ! Mais « la France paie le prix de son incapacité à se décider sur les projets nucléaires pourtant cruciaux dans le monde de demain. Résultat, elle a cinq bonnes années de retard en termes de design par rapport aux États-Unis qui développe le projet NuScale » (11).

Dans le domaine des réacteurs avancés, il y a cependant un projet européen de SMR qui semble avancer de manière satisfaisante, celui de Seaborg Technologies. Cette entreprise, avec l’aide des deux experts ISIS et ESS, développe un réacteur à sel fondu de 100 MWe, sur base des résultats d’expérimentations qu’ils ont menées sur le comportement des neutrons dans les réacteurs modernes et, en particulier, en présence d’un liquide modérateur innovant (breveté). Ce CMSR compact, à sûreté passive, de quatrième génération à sel fondu ne peut ni fondre ni exploser, ni dégager de gaz radioactifs. Il est destiné à être installé sur barges. Ces dernières peuvent être configurées pour accueillir plusieurs CMSR. La première barge aura deux réacteurs de 100 MWe. Seaborg vise une mise en service d’ici à 2025, ce qui paraît néanmoins très optimiste.

En Europe de l’ouest, devant l’opposition essentiellement politique à la construction de nouvelles centrales nucléaires dotées de puissants réacteurs, il se pourrait que l’avenir de l’électronucléaire passe par les petits réacteurs, notamment, plus compacts, moins anxiogènes, plus flexibles et requérants des mobilisations financières nettement plus réduites. En Europe de l’Est et du Nord, des pays comme la Pologne, l’Estonie et la Roumanie se positionnent déjà pour un déploiement à grande échelle de SMR. Le processus en cours au Royaume-Uni sur la faisabilité et le potentiel des SMR peut également alimenter la réflexion au sein de l’UE sur ce sujet.

Dans le monde occidental en général, la commercialisation des SMR en remplacement des unités de forte puissance sera certainement tirée par le Canada et les États-Unis. Il est, toutefois, peu probable qu’elle soit généralisée dans des pays tels que la Chine ou la Russie, sauf pour les régions reculées ou pour des usages industriels (cogénération électricité-chaleur), voire, à terme, le transport maritime. Les technologies SMR seront néanmoins offertes à l’export pour les pays à plus faible demande énergétique. Il semble donc que les SMR soient promis à un bel avenir.

Notes •

(1) Small nuclear power reactors, World Nuclear Association, updated December 2021.

(2) Charles Martin, Les petits réacteurs modulaires dans le monde, IFRI, mai 2019.

(3) « X-Energy entame officiellement son partenariat SMR avec DOE », ThePressFree, 2 mars 2021.

(4) « OPG choisit le réacteur SMR BWRX-300 pour son site de Darlington », WNN, 2 décembre 2021.

(5) Le heat pipe est constitué d’un récipient cylindrique annulaire, scellé et sous vide contenant de l’eau (ou ici du sodium) en faible quantité. Le transfert de chaleur se fait par une combinaison d’évaporation et de condensation du fluide caloporteur. Ce dernier se déplace de l’extrémité plus froide (condenseur) vers l’extrémité plus chaude, via l’espace annulaire extérieur, où il s’évapore. La vapeur s’achemine vers le condenseur où elle dégage sa chaleur latente de condensation et le cycle recommence.

(6) Les petites billes d’uranium revêtues sont intégrées à des boulets en graphite de 6 cm de diamètre environ qui contiennent chacune 7 g d’uranium enrichi à 8,5%

(7) « Chine : la tranche de démonstration du type HTR-PM, à Shidaowan, est connectée au réseau », Forum nucléaire suisse, 27 décembre 2021.

(8) World Nuclear News, March 2019 report.

(9) Charles Martin, op. cit.

(10) Ibidem

(11) Michel Cabirol, « Pourquoi NuWard, le petit réacteur modulaire (SMR) à la française, reste très prometteur ? », La Tribune, 9 avril 2021.