Le passe vaccinal et l’engrenage d’une notation des citoyens

Cyrille Dalmont, chercheur associé à l’Institut Thomas More

18 janvier 2022 • Opinion •


Le passe vaccinal obéit, en puissance, à la même logique que celle qui a justifié le système de « crédit social » institué en Chine. Démonstration de Cyrille Dalmont.


L’Assemblée nationale a adopté ce dimanche 16 janvier le projet de loi controversé transformant le passe sanitaire en passe vaccinal par 215 voix pour, 58 voix contre et 7 absentions. Un dimanche, avec moins de la moitié des députés présents dans l’hémicycle, le gouvernement a donc réussi à imposer cette atteinte majeure aux libertés publiques et aux droit fondamentaux, créant officiellement en France deux catégories de citoyens : les « bons citoyens », avec un schéma vaccinal complet, et les « mauvais citoyens », ceux qui ont un schéma vaccinal incomplet ou qui ne sont pas vaccinés.

Il avait suffi de moins de quatorze mois pour passer d’une simple application de suivi de l’épidémie « StopCovid » (facultative et basée sur le volontariat) à un passe sanitaire, obligatoire de fait, et nécessaire à l’exercice de plusieurs de nos libertés fondamentales théoriquement inaliénables et constitutionnellement garanties : liberté d’aller et venir, droit à la vie privée et à l’intimité, droit à l’emploi (liberté du travail), liberté d’entreprendre (liberté du commerce et de l’industrie), liberté d’association, liberté de réunion, etc. Six mois de plus auront suffi pour franchir l’étape suivante nous conduisant à l’instauration de ce qui ressemble de plus en plus au système de crédit social chinois.

D’aucuns jugeront cette affirmation excessive et polémique. Partons des faits.

Le désormais très connu système de « crédit social », fer de lance de la techno-dictature chinoise, a connu un parcours étrangement similaire à celui du passe vaccinal français. Initialement, ce « système de confiance en la société », qui a pris forme dans les années 2000, visait à la notation des entreprises chinoises pour permettre de faciliter les investissements étrangers et absolument pas au traçage des citoyens, ni au contrôle social des populations. Toujours dans une logique de protection de la société et des investissements, le système a évolué vers l’idée d’une évaluation de la solvabilité des citoyens et des entreprises chinoises.

Le Conseil des affaires de l’État de la République populaire de Chine a ensuite lancé un schéma de programmation et de « sensibilisation à l’intégrité et à la crédibilité au sein de la société » (2014-2020) pour finalement aboutir à quatre objectifs : « l’honnêteté dans les affaires du gouvernement », « l’intégrité commerciale », « l’intégrité sociétale » et « une justice crédible ».

Toute la logique du « crédit social » repose donc sur un scoring (une évaluation chiffrée en temps réel permettant d’attribuer à chaque citoyen une note sociale) des citoyens chinois et des entreprises (chinoises et étrangères). Ce scoring comportemental repose sur le respect par les citoyens des règles imposées par le gouvernement chinois (la démonstration de votre adoration pour Xi Jinping peut également vous faire gagner quelques points…) et permet donc de catégoriser les citoyens : les « bons citoyens » et les « mauvais citoyens ».

La clé du système est que les « mauvais citoyens » sont tenus pour responsables de la mise en place des mesures restrictives de libertés, de traçage de la population et d’autorisation préalable engendrées par la mise en place du « crédit social » pour permettre de protéger les « bons citoyens ». Cette logique du bouc émissaire a permis la mise en place de la phase suivante visant à différencier les droits de ces deux catégories de citoyens en fonction de leur note sociale. Les « mauvais citoyens » ont alors vu leurs libertés restreintes puisqu’en fonction de leur note, ils ne pouvaient plus voyager, avoir accès au crédit, à certains logements, à certains métiers, à certains loisirs. Ils ont été peu à peu mis au banc de la société. Devenant infréquentables, ils sont frappés de mort social (lorsque vous appeler au téléphone quelqu’un de mal noté, vous êtes prévenu de son statut par un message vocal).

Les « bons citoyens », quant à eux, peuvent pratiquer les activités quotidiennes interdites aux « mauvais citoyens » mais n’en demeurent pas moins fichés et tracés par le système qui leur fourni une dose de rappelle quotidienne de leur note sociale, au cas où ils seraient tentés de désobéir ou de vouloir fréquenter un « mauvais citoyens ».

Il semble inutile de filer plus loin l’analogie pour comprendre que non seulement les ressorts psychologiques conduisant à la mise en place du passe vaccinal sont les mêmes que ceux ayant conduit à la mise en place du crédit social, mais que la méthodologie pour l’imposer est analogue : à savoir un grignotage ininterrompu des libertés de tous par la mise en place d’outils toujours plus intrusifs, grignotage justifié par l’irresponsabilité du « mauvais citoyen ».

Pour revenir en France, il faut rappeler que le rapport d’information de la délégation à la prospective du Sénat du 3 juin 2021 assumait cette parenté entre les deux systèmes en affirmant « Si une “dictature” sauve des vies pendant qu’une “démocratie” pleure ses morts, la bonne attitude n’est pas de se réfugier dans des positions de principe, mais de s’interroger sur les moyens concrets à la fois techniques et juridiques, de concilier efficacité et respect de nos valeurs ». Il en allait d’ailleurs de même dès l’origine de la stratégie gouvernementale contre la Covid-19, ce qu’on a vite oublié, quand Mounir Mahjoubi, député (LREM) de Paris, ancien président du Conseil national du numérique et ancien Secrétaire d’État chargé du numérique avait présenté un plan d’action très complet en avril 2020 dans une note parlementaire intitulé « Traçage des données mobiles dans la lutte contre le Covid-19 » qui assumait pleinement la filiation chinoise de ce projet.

Comme à chaque fois depuis avril 2020, date à laquelle l’Institut Thomas More a publié notre note « Traçage numérique : pourquoi c’est non », on nous répondra que comparaison n’est pas raison. Nous souhaiterions leurs répondre par la mise en garde de Benjamin Franklin : « un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux »

Nos contradicteurs ne veulent en effet pas voir ce qui pourtant hélas crève les yeux : c’est que nos sociétés occidentales semblent prêtes à la bascule. Le raz-de-marée de la « cancel culture », dans son intolérance, dans son goût de l’anathème, dans sa passion accusatrice et justicière, en témoigne assez. De même que la logique de fonctionnement des réseaux sociaux, qui isolent les individus dans des groupes de pensés antagonistes en transformant artificiellement le réel en une vérité unique et certaine. Ils rendent, pour leurs utilisateurs claquemurés dans une forteresse de certitudes où l’autre devient l’ennemi, tout débat d’idées impossible et souvent inutile. La conjugaison de ces deux phénomènes a déjà habitué de larges pans de la population à l’acceptation de la logique du bouc émissaire et de la notation sociale.

En outre, la lente agonie de notre État de droit, lié au grignotage permanent des libertés publiques et des droits fondamentaux entamé depuis plusieurs décennies, le déséquilibre institutionnel allant grandissant faisant passer notre régime présidentiel à un régime présidentialiste (avec une hyper concentration des pouvoirs entre les mains de l’exécutif) et la neutralisation des contre-pouvoirs en raison des états d’urgences successifs (terroristes et sanitaires) risque d’imposer l’idée que le peuple n’est qu’une variable d’ajustement de la volonté gouvernemental d’imposer un système de « crédit social » à la française.