L’utilisation des QR codes constitue un basculement civilisationnel inquiétant pour nos démocraties

Cyrille Dalmont, chercheur associé à l’Institut Thomas More

4 février 2022 • Entretien •


Le ministère de l’Intérieur a annoncé qu’un QR code figurera sur les cartes électorales pour les prochaines élections. Si l’outil numérique permet de simplifier les démarches administratives, l’utilisation massive de QR codes rappelle le système de contrôle chinois, estime le chercheur associé à l’Institut Thomas More.


Le 2 février, le ministère de l’Intérieur a annoncé qu’un QR code figurera sur les cartes électorales des inscrits pour les élections présidentielles et législatives. Depuis la pandémie du Covid-19, l’usage des QR codes s’est répandu en France dans toutes les catégories de la population. Sommes-nous en train de constituer une grande base de données des utilisateurs ?

C’est un fait aujourd’hui quasi unanimement reconnu, la pandémie de Covid-19 a accéléré la numérisation de nos sociétés mais également de nos vies de manière stupéfiante. La multiplication des QR codes (Quick response code) qui peuvent stocker jusqu’à 7 089 caractères numériques, 4 296 caractères alphanumériques dans leur version la plus aboutie peut sembler surprenante. En effet, cette technologie est sous licence libre depuis 1999. Elle est issue du monde automobile pour la gestion des stocks et des pièces défectueuses. Cependant l’explosion récente des QR codes en Europe ne doit rien au hasard. Cette technologie plutôt ancienne doit son succès récent à la conjugaison de plusieurs facteurs.

La volonté de la Commission européenne de créer un passeport biométrique européen adossé à la plus grande base de données biométrique au monde, le Common Identity Repository (CIR) dont le principe a été adopté en février 2019 et la création d’une identité numérique européenne. Ces deux projets qui nécessitent une interopérabilité complète des systèmes d’informations de l’UE n’étaient jusqu’à très récemment techniquement et juridiquement guère possible. La technologie du QR code permet cette interopérabilité. La lutte contre la pandémie de Covid-19 a permis de lever les obstacles juridiques. Il est d’ailleurs intéressant de noter que les nouvelles cartes d’identités européennes possèdent déjà depuis le 2 août 2021 comme les futures cartes électorales un QR code. Le gouvernement avait d’ailleurs affirmé de la même manière que cela permettrait de simplifier les démarches administratives mais pas de tracer leurs détenteurs.

Est-ce une volonté affichée de la Commission européenne ?

La Commission européenne travaille sur le CIR depuis 2015. A l’origine, ce projet visait à lutter contre le terrorisme. Pour cela la Commission souhaitait une interopérabilité des systèmes couverts par le système d’information Schengen, Eurodac (empreintes digitales), le système d’information sur les visas (VIS) le système européen de casier judiciaire pour les ressortissants de pays tiers (ECRIS-TCN), le système d’entrée/de sortie (EES) et le système européen d’information et d’autorisation de voyage (ETIAS). Même si le CIR a été adopté par le Parlement européen en 2019 de nombreux obstacles techniques et législatifs existaient pour déterminer un identifiant unique pour tous les Européens.

Le certificat COVID numérique de l’UE a changé la donne. Si nous avons tous pu constater que notre passe sanitaire comportait un logo européen pour permettre la libre circulation des personnes au sein de l’Union européenne, il permet également de disposer d’un identifiant unique pour toutes les personnes vaccinées. Mais pas les non-vaccinés.

Vient s’ajouter au projet CIR le projet d’identité numérique européenne que la présidente de la Commission européenne Ursula Von der Leyen a présenté de la manière suivante : « Chaque fois qu’une application ou un site web nous propose de créer une nouvelle identité numérique ou de nous connecter facilement via une grande plateforme, nous n’avons aucune idée de ce que deviennent nos données, en réalité. C’est pourquoi la Commission proposera une identité électronique européenne sécurisée. Une identité fiable, que tout citoyen pourra utiliser partout en Europe pour n’importe quel usage, comme payer ses impôts ou louer un vélo. Une technologie qui nous permettra de contrôler quelles données nous partageons et l’usage qui pourra en être fait ».

Craignez-vous que l’on bascule dans une société de contrôle à la chinoise avec un système de crédit social ?

Il est malheureusement indéniable que la filiation chinoise des différents passes sanitaires européens et du certificat Covid numérique UE est patente. Cette filiation a d’ailleurs, tout du moins en France, été assumé dans plusieurs rapports parlementaires et sénatoriaux dont celui de Mounir Mahjoubi, député (LREM) de Paris, ancien président du Conseil national du numérique et ancien Secrétaire d’État chargé du numérique (« Traçage des données mobiles dans la lutte contre le Covid-19 », avril 2020) ou encore le rapport de la délégation à la prospective du Sénat sur « les crises sanitaires et outils numériques » (juin 2021), qui n’ont malheureusement que peu retenus l’attention des médias.

En outre, le QR code est au cœur du réacteur de la mise en place du système de « crédit social » en Chine. Ce système de « scoring » (notation sociale) permettant de tracer les populations et leurs interactions sociales repose sur une logique d’autorisation préalable. Le « bon citoyen », celui qui respecte à la lettre les obligations que lui impose le régime, peut avoir accès à certains droits (travail, déplacements, loisirs, logements, santé, crédits) ; le « mauvais citoyens », dont la note sociale est trop faible, se voit désactiver ses droits à distance. L’utilisation massive des QR codes permettant d’alimenter les bases de données nécessaires au fonctionnement de ce système.

Il est aujourd’hui de plus en plus évident que la pandémie de Covid-19 a permis l’accélération du calendrier de la Commission européenne permettant la mise en place d’un système de contrôle social et d’autorisation préalable pour les populations européennes. L’Institut Thomas more en a d’ailleurs fait la démonstration dans vos colonnes sans susciter beaucoup d’émois. C’est un basculement civilisationnel complet. Malheureusement nos sociétés occidentales désabusées par des décennies d’effondrement démocratique semblent, si ce n’est l’accepter, pour le moins s’y résigner.

N’est-ce pas un simple outil permettant de simplifier les démarches administratives, souvent opaques en France ?

Les outils numériques permettent effectivement de simplifier de nombreuses démarches administratives et d’accélérer leurs traitements. C’est d’ailleurs l’argument que développe la Commission européenne pour le déploiement de l’identité numérique européenne et la logique de l’État-plateforme. Le concept d’État-plateforme visant à transformer l’État en une plateforme de services permettant d’agréger une multitude de démarches quotidiennes dans un seul et unique interface (impôts, amendes, sécurité sociale, etc.) mais également privés (banque, loyers, écoles). Il existe des aspects très positifs à ce concept, notamment la réactivité et le sentiment de maîtriser ses démarches. Il y a cependant un revers à cette médaille. La création d’une société de contrôle et de surveillance dans tous les actes de la vie quotidienne et de l’autorisation préalable. C’est une rupture civilisationnelle profonde. On passe d’une société de droits à une société de l’autorisation.