Le service national universel, une fausse piste pour renforcer l’engagement de la jeunesse

Marlène Giol, chercheur associé à l’Institut Thomas More

23 février 2022 • Opinion •


Alors que le premier « séjour de cohésion » du SNU en 2022 s’achève cette semaine, Marlène Giol, chercheur associé à l’Institut Thomas-More et auteur du rapport Le Parcours France en commun: un nouveau souffle pour l’engagement de la jeunesse, propose dans ce texte une critique argumentée de ce dispositif, à partir des retours d’expérience des premières sessions.


Après deux expérimentations en 2019 et 2021, le service national universel (SNU) fait son retour pour une nouvelle phase de préfiguration. Le premier séjour de cohésion 2022, organisé du 14 au 25 février, concerne 3 000 volontaires (deux autres séjours auront lieu en juin/juillet pour près de 46 000 jeunes). À la veille de l’élection présidentielle, l’exécutif mise sur le dispositif pour symboliser sa politique à destination de la jeunesse. Cependant, la crise sanitaire a laissé des traces profondes sur la jeune génération. Et, alors que le SNU avait essuyé de nombreuses critiques dès avant la Covid, force est de constater qu’il apparaît encore davantage comme une réponse superficielle et mal adaptée.

Face aux défis majeurs auxquels la jeunesse est confrontée, le gouvernement fait le choix de concentrer son action sur le SNU, qui mobilise attention et moyens : 110 millions d’euros lui sont consacrés pour 2022, soit un septième du budget total « Jeunesse et vie associative » dans le budget de l’État. Une somme colossale pour un dispositif qui, rappelons-le, ne concernera cette année que 50 000 jeunes… Or, à mesure de son déploiement, le SNU révèle son incapacité à apporter une réponse efficace et coordonnée à une situation d’urgence sociale. Les récents retours d’expérience des participants au séjour de cohésion 2021 permettent de voir les nombreuses faiblesses du dispositif.

Dans un premier temps, le SNU ne suscite pas l’intérêt de l’ensemble de la jeunesse. De fait, la session 2021 a vu s’engager des jeunes aux profils spécifiques, loin de l’objectif de mixité sociale recherché, comme en atteste l’évaluation du déploiement du SNU publiée récemment par l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (INJEP). On observe une surreprésentation des enfants de familles CSP+ et des enfants de « corps en uniforme » (militaires, policiers, gendarmes, pompiers), ainsi que des jeunes issus des filières générales et technologiques. Un autre élément retient l’attention : un jeune sur dix déclare qu’il n’était pas volontaire et que sa participation au séjour de cohésion lui a été imposée, généralement par sa famille. Le retour d’expérience de ce groupe est particulièrement riche d’enseignements. Ainsi, les jeunes « non volontaires » sont globalement moins satisfaits de leur séjour et moins convaincus de l’utilité du SNU. Cette donnée est à prendre en considération dans la perspective d’un SNU rendu obligatoire et généralisé à l’ensemble de la classe d’âge.

Trois limites majeures

Fondamentalement, le SNU souffre de trois limites majeures. En premier lieu, son contenu même est très insuffisant, notamment du fait du peu de temps qui est donné à sa réalisation : 12 jours de séjour de cohésion dédiés à des modules pratiques (formation aux premiers secours, initiation au code de la route, sensibilisation au développement durable, etc.) et 84 heures consacrées à une mission d’intérêt général réparties sur un an. En somme, un « stage accéléré » de citoyenneté sans véritable ancrage dans le temps. De fait, volontaires et intervenants ont regretté le manque de liant et de cohérence entre les modules et activités proposés, qui s’enchaînaient à un rythme trop soutenu. On peut dès lors légitimement s’interroger sur la qualité des programmes, tenant plus de la juxtaposition de sessions de découverte que de réelles formations marquantes et structurantes dans la vie des jeunes Français…

Le SNU ne leur offre pas un horizon. Cela d’autant moins qu’il laisse à la marge un aspect primordial. En effet, la mission d’intérêt général apparaît comme la grande oubliée du dispositif. Alors que cette phase représente l’expérimentation concrète de l’engagement bénévole du jeune dans son environnement, elle n’est quasiment pas abordée lors des séjours de cohésion. Cela est dû en partie à une formation insuffisante des encadrants, mais également à des difficultés administratives et structurelles. Un véritable manque d’organisation et d’anticipation qui conduit la Cour des comptes à s’interroger, dans un rapport publié en octobre 2021, sur la capacité à maintenir le caractère obligatoire des missions d’intérêt général. Il y a donc un réel souci dans la promotion de l’engagement citoyen. C’est pourtant là que se situe le cœur de l’action à mener.

Peu d’enthousiasme

On constate peu d’enthousiasme vis-à-vis des missions d’intérêt général, tant du côté des jeunes participants que des acteurs locaux. Le rapport de la Cour des comptes met en lumière des collectivités peu concernées et la réticence des associations à s’investir dans le dispositif. Alors que près de la moitié de l’offre globale provient des « corps en uniforme », le secteur associatif ne représente quant à lui qu’un quart des missions proposées. Ces éléments illustrent un problème majeur dans la conception même du SNU : il répond à une vision centralisatrice de l’action publique. C’est un projet conçu, piloté et mis en œuvre par l’État. Or, il faut sortir de ce système de pensée. Dès 2018, nombre d’acteurs associatifs se sont plaints d’avoir été peu associés à la conception du SNU et ont émis des réserves quant à la capacité du dispositif à répondre en l’état aux problématiques de la jeunesse. L’État ne peut et ne doit se charger seul de l’état social du pays. Le tissu associatif français est particulièrement riche et divers (on compte actuellement près de 1,5 million d’associations en activité, avec 70 000 associations créées en moyenne chaque année) et l’engagement associatif reste le domaine d’action privilégié de la jeune génération: en 2021, près d’un jeune sur deux a donné bénévolement de son temps au sein d’une association. Ne pas s’appuyer sur ces piliers, c’est ne pas voir ce qui fait le lien social réel du pays, c’est ne pas comprendre qu’il a besoin de confiance et que c’est sur le terrain que se respire le mieux cet air-là…

Pour toutes ces raisons, l’exécutif fait fausse route avec le SNU. D’autres solutions existent, au sein même de la société. C’est pourquoi nous avons proposé la création d’un outil radicalement différent, le « Parcours France en commun », qui s’appuie sur trois principaux objectifs : garantir un socle commun à l’ensemble de la classe d’âge tout en favorisant la responsabilité et l’autonomie ; agir en profondeur grâce à la mobilisation de l’ensemble des acteurs qui environnent le jeune (famille, école, commune, associations, etc.) ; et faire le choix du temps long, sur plusieurs années, afin de laisser une empreinte réelle dans le parcours de chaque jeune Français. C’est à ces seules conditions que pourra se développer et s’enraciner un véritable esprit d’engagement, indispensable à l’unité de la nation.