Pour une nouvelle politique chinoise de la France

Laurent Amelot, directeur du Programme Indo-Pacifique de l’Institut Thomas More

Mars 2022 • Note 55 •


Interroger le bilan de soixante années de relations franco-chinoises

Janvier 2004 : la France de Jacques Chirac signe un « partenariat stratégique global » avec la république populaire de Chine de Hu Jintao, quarante ans après que celle du général de Gaulle eut établi des relations diplomatiques avec la Chine communiste de Mao Zedong. Près de vingt ans plus tard, quel bilan est-il possible de dresser de cet accord ? Plus globalement, comment caractériser les relations entre Paris et Pékin au cours de ces soixante dernières années ? Si le discours diplomatique français aime à rappeler la nature « privilégiée » des relations bilatérales entre la France et la Chine populaire et son caractère éminemment constructif, comment le lien entre les deux capitales a-t-il pu rester d’une si remarquable linéarité, alors même que les rapports de puissance entre lesdits partenaires ont si fondamentalement évolué au cours de la période ?

Montée en puissance de la Chine communiste

La montée en puissance de la Chine communiste, désormais en compétition ouverte avec les États-Unis pour le statut de première puissance mondiale et dont l’ambition clairement affichée est de refaçonner l’ordre du monde à son image, est une donnée acquise. Tout comme l’est le déclin progressif de la France, dont la parole sur la scène internationale porte moins qu’auparavant, dont les ambitions ne sont plus en adéquation avec les moyens disponibles et dont la capacité à fixer un cadre et un cap dans nombre de dossiers au sein de l’Union européenne, en particulier ceux ayant trait à la Chine continentale, interroge.

Les rapports de force entre la France et la Chine populaire se sont inversés

Il est donc nécessaire de se rendre à l’évidence : les rapports de force entre la France et la Chine populaire se sont inversés. La France est devenue le partenaire junior de cette « relation privilégiée » et son empreinte sur celle-ci est quasiment nulle. Toutefois, les tendances actuelles ne sont pas irréversibles. L’héritage gaullien peut toujours constituer une base en vue de la rénovation de la politique chinoise de la France, autant à l’échelle strictement nationale qu’à celle de l’Union européenne, mais le partenariat global stratégique peut-il rester son cadre structurant dès lors que sens et cohérence doivent être restaurés ?

A la veille de l’élection présidentielle, la France à la croisée des chemins

Aussi, à l’échelle nationale, alors que les échéances présidentielles et législatives arrivent, les questions de politique étrangère risquent de ne pas être, une nouvelle fois, une priorité. La guerre en Ukraine, initiée par le président Poutine le 24 février 2022, n’a pas fondamentalement changé la donne : les débats portent sur le rapport à la Russie et non sur les futurs contours de la politique étrangère de la France, sur la place de celle-ci sur la scène internationale. Pourtant, Moscou et Pékin, en collaboration avec Téhéran (voire Ankara), au-delà de l’épisode actuel, dessinent les contours d’une autre mondialisation où l’Occident serait déclassé, où ses valeurs fondées sur la démocratie, l’État de droit et la liberté seraient battues en brèche. Aussi, la France est à la croisée des chemins et la définition de son futur positionnement par rapport à la Chine communiste sera l’un des marqueurs de sa place et de son influence sur la scène européenne, mais aussi internationale. A l’échelle de l’Union, là aussi, à l’heure où la France préside pour un semestre le Conseil, la question chinoise est à peine effleurée dans son programme, ce qui n’est pas neutre alors que nombre de ses partenaires issus de l’ex-bloc soviétique adoptent une position de fermeté à l’égard de Pékin et tendent la main à Taïwan.

Un nouveau cap pour affirmer une posture de fermeté et un positionnement clair aux côtés des alliés du camp occidental

Par conséquent, il est temps que la France redéfinisse le cadre de son projet géopolitique afin de redonner de la vigueur à sa politique étrangère. Pour cela, replacer valeurs et intérêts nationaux au cœur de l’action politique afin d’ajuster son rapport à la Chine populaire à travers la redéfinition des objectifs constitue un enjeu majeur. Mobiliser les différents leviers disponibles et s’assurer d’une vraie coordination à l’échelle européenne sont autant d’éléments indispensables pour construire un nouveau rapport de force, sur des bases plus équilibrées avec Pékin.

Seize recommandations d’action

Pour cela, la note qu’on va découvrir se propose de (I) faire un rapide bilan des presque soixante années de relations franco-chinoises avant de (II) s’interroger sur le sens à donner au partenariat global stratégique dans un cadre rénové puis (III) de réfléchir aux articulations de la nouvelle politique chinoise de la France en prenant appui sur quelques dossiers symboliques afin (IV) d’émettre pour finir seize recommandations d’action. Cette introspection est nécessaire si la France veut redonner de la vigueur à sa politique chinoise et se fixer un cap pour les cinq prochaines années et au-delà.

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L’auteur de la note

Laurent Amelot est chercheur associé à l’Institut Thomas More et directeur du Programme L’Indo-Pacifique à l’épreuve des ambitions chinoises. Diplômé de l’Institut d’Etude des Relations internationales (ILERI) et titulaire d’un Master 2 en sécurité internationale et défense de l’Université Lyon 3 (CLESID) et en géographie-aménagement du territoire de l’Université Paris 4 Sorbonne, il a été rédacteur en chef de la revue Outre-Terre et, en 1997, lauréat du prix Amiral Daveluy. Il est aujourd’hui chargé d’enseignement à l’ILERI et membre du groupe de réflexion Asie21. Après avoir longtemps consacré ses travaux à l’Asie du Sud-est et à l’Asie du Sud principalement, il s’est intéressé ces dernières années à la Chine, à sa politique étrangère et tout particulièrement à la dimension maritime de sa stratégie de puissance