Comment se protéger au mieux de l’inflation ?

Sébastien Laye, chercheur associé à l’Institut Thomas More

4 avril 2022 • Entretien •


Selon l’Insee, l’inflation a atteint 4,5% sur un an au mois de mars, un niveau inédit depuis 35 ans. Mais sans patrimoine ou épargne, il n’y a guère de parades à la hausse des prix, analyse Sébastien Laye.


Selon l’Insee, l’inflation a atteint 4,5% sur un an au mois de mars et les effets de la guerre en Ukraine ne sont pas encore comptabilisés. Alors que nous ne sommes pas tous égaux face à ce phénomène, comment se protéger au mieux face à la hausse des prix ? Certaines catégories d’individus ont-elles plus de marge que d’autres ?

Force est de constater, qu’en dépit de ceux (politiques et banquiers centraux européens) qui niaient le problème il y a encore trois mois, l’inflation en France, à moins de 3% en fin d’année dernière, a fini par s’emballer pour converger vers les taux allemands ou espagnols prochainement (vers 6%), et peut être un jour le niveau américain actuel (9%). Dès lors, se pose la question des gagnants et des perdants d’une ère inflationniste, mais aussi de la protection face à l’inflation.

Sur le premier front, les grands gagnants sont ceux qui se sont endettés à des taux faibles et rembourseront des crédits avec des revenus en expansion au cours des prochains mois. A l’inverse, les fourmis vertueuses et épargnantes sont négativement affectées par l’inflation, les rendements réels sur leur épargne nette devenant faibles voir négatifs. Typiquement, aujourd’hui, un investissement dans une société civile de placement immobilier (SCPI) par exemple rapporte 3-4% par an : mais après les impôts et l’inflation, on s’achemine en territoire négatif. Malgré tout, ceux qui disposent d’une épargne ont encore les moyens de réorienter leur patrimoine en période inflationniste, avec des rendements bruts eux qui augmenteront quand les taux d’intérêt augmenteront. C’est déjà le cas aux États-Unis, mais pas en Europe, où il faudra probablement attendre la fin de l’année avant une première hausse des taux par la BCE : la situation redeviendra plus simple à ce moment-là pour les épargnants, avec une inflation qui certes entame le rendement net, mais des rendements bruts en augmentation, sur l’obligataire.

Pour la population la moins aisée qui ne peut épargner, l’effet de ciseau est dévastateur : les prix alimentaires et énergétiques augmentent mais tous les métiers ne sont pas sous tension et ne profitent pas de hausses de salaires. Un ingénieur dont le profil est en forte demande ne relèvera même pas le niveau actuel de l’inflation, mais un ouvrier en pâtira. C’est une des caractéristiques actuelles de l’inflation, qui sera renforcée par l’impact dans quelques semaines de la guerre en Ukraine : elle n’est pas générale mais concerne en fait tout actif financiarisable (matière première ou alimentaire).

Selon la nature de notre patrimoine ou de notre quantité d’épargne, est il possible de faire pour se protéger de l’inflation ?

Il faut le repréciser, sans patrimoine ou épargne, il n’y a guère de parades. Pour ceux qui disposent d’un tel matelas, réallouer certains actifs me parait indispensable (portfolio rebalancing). Quels sont les actifs qui surperforment en période d’inflation ? l’immobilier (mais il faudra sans nul doute prendre un peu plus de risques que sur les produits financiers immobiliers traditionnellement vendus en France), les matières premières, les actions technologiques. Il s’agit d’ailleurs des gagnants des derniers mois… Parmi les perdants en période inflationniste, on notera bien sûr les obligations et les actions de secteurs comme celui des transports.

Est-il possible d’investir dans certains placements pour éviter les effets de l’inflation ? Quels secteurs sont à privilégier ?

Il existe dans certains pays des obligations dont le rendement est indexé sur l’inflation (TIPS aux États-Unis) mais globalement, il faut éviter les placements obligataires : donc, en France, l’assurance-vie trop traditionnelle et les comptes à vue non rémunérés. Il faut fuir tout secteur qui dépend de l’achat de matières premières ou d’énergie (transports, chimie, transformation industrielle, et électricité type EDF en France). L’énergie, l’immobilier et plus tard quand les taux d’intérêt augmenteront, les banques, seront les secteurs à privilégier en Bourse.

Selon certains économistes, il serait possible de contrôler l’inflation grâce à un contrôle des prix stratégiques. Est-ce une éventualité pour protéger les ménages les plus à risque ? Y aurait-il d’autres solutions ?

Historiquement, les mesures de contrôle des prix ou celles de pur soutien de la demande (les chèques d’aide tentés par le gouvernement français par exemple) ne fonctionnent pas en économie de marché ouverte. Les politiques économiques devront s’orienter vers des politiques ciblées de soutien du pouvoir d’achat : baisse de certaines TVA sur les taxes, déductions fiscales, aides très précises pour certaines catégories (familles monoparentales, retraités précaires, etc.). Mais, fondamentalement, il suffit de juguler l’inflation et de la contenir à un niveau compatible avec une bonne croissance, vers 2%. L’inflation actuelle, avant même l’effet post-Covid ou celui de la guerre en Ukraine, est avant tout d’origine monétaire et due à un mauvais calibrage des banques centrales dans leurs politiques de soutien à l’économie. Il faut donc contrôler la masse monétaire – plus d’ailleurs que la hausse des taux –, limiter son expansion et les politiques monétaires accommodantes. Ce n’est qu’à ce prix que l’inflation actuelle sera contrôlée.