Quels défis économiques attendent le futur président de la République ?

Sébastien Laye, chercheur associé à l’Institut Thomas More

6 avril 2022 • Opinion •


Pouvoir d’achat, croissance, chômage, dette, déficit public… À quelques jours du premier tour de l’élection présidentielle, Sébastien Laye brosse les grands enjeux économiques du prochain quinquennat.


Faisons fi un instant de la course aux petits chevaux présidentiels, des programmes des uns et des autres, et rappelons, à la veille de cette échéance électorale majeure, les grands enjeux économiques de long terme auxquels devront faire face le ou la gagnante de cette élection. Car, à dire le vrai, la pente du déclin n’est certes pas inéluctable pour la France mais certainement abyssale. Endormis par la morphine du quoiqu’il en coûte et de la crise sanitaire, voire de la guerre, nombre d’observateurs minimisent à tort ces défis.

Le premier grand défi pour la France des cinq prochaines années est celui du pouvoir d’achat

Avant même la poussée de l’inflation, sous le quinquennat Macron, le pouvoir d’achat général n’avait cru que de 4%, soit beaucoup moins que sous les quinquennats précédents et moins que la moyenne européenne : les classes populaires avaient même enregistré un recul de 0,5%. Mais l’envolée de l’inflation menace de faire passer ces chiffres vers un recul généralisé. Déjà de 4,5% en glissement annuel, sous-estimée pour des raisons statistiques (non prise en compte de l’immobilier comme propriété, déflation technologique), cette inflation va rapidement rejoindre le rythme européen (+7%) voire américain (+9%). Or on ne constate pas d’inflation salariale équivalente pour la compenser, et les marges de nos entreprises ne supportent certainement pas de telles augmentations. Cette inflation est principalement d’origine monétaire (même si la sortie de pandémie et la crise ukrainienne lui rajoutent un ou deux points sur le court terme) et ne se tarira pas avant la normalisation monétaire. Les autorités françaises doivent suivre de près ce que fera la Banque centrale européenne : des hausses de taux trop tardives (en 2023) et l’inflation déclenchera une crise du pouvoir d’achat et de nouveaux Gilets Jaunes dès cet automne. Une hausse trop rapide des taux et la machine du crédit et de l’immobilier freinera rapidement, avec une récession. Il va donc falloir beaucoup de doigté au cours des dix huit prochains mois pour gérer cet équilibre entre lutte contre l’inflation et soutien à une économie post Covid encore convalescente. A coté du monétaire, qu’un gouvernement français ne saurait déléguer complètement à Francfort dans le contexte actuel, les mesures de soutien au pouvoir d’achat seront essentielles. La baisse de la fiscalité, avec nos prélèvements toujours à 46% du PIB, est le meilleur moyen de redonner des marges de manœuvre aux ménages et entreprises françaises. Il faut rappeler que le seul impact énergétique et alimentaire de l’inflation a consommé la totalité de l’épargne de précaution Covid des ménages les 25% les plus pauvres ; ces ménages n’ont plus de filet de sécurité.

Le second problème est celui de la croissance endogène

Nous avons trop facilement adhéré à la thèse d’une période de prospérité en rattrapage post-Covid avec le soutien de la BCE. C’était un mirage. Alors que la France revient à peine à son niveau de PIB pré-crise, la croissance est en danger. Les prévisions annuelles 2022 commencèrent à 4% pour la France et l’Europe. Elles sont désormais revues chaque semaine. J’étais en ligne avec mes amis de Rexecode pour un 3%, mais l’accélération de l’inflation et l’impact énergétique de la guerre en Ukraine me font penser que les 2% seront à peine atteignables. Car heureusement, nous avions un acquis de croissance post Covid important en début d’année, mais sur le court terme, l’Allemagne a probablement fait un premier trimestre négatif, et la France sera en croissance zéro sur le second…..Au-delà, avec une hausse des taux d’intérêt, sauf révolution économique avec un gouvernement qui aurait un programme de mesures agressives, notre potentiel se situe à 1/1,5% sur les deux années suivantes, et nous n’échapperons pas à quelques trimestres de ralentissement comme pour ce printemps 2022. Il va donc falloir nous poser la question, pour relancer la croissance, de la baisse des prélèvements obligatoires (et donc de la restructuration de notre Etat et de la dépense publique), mais aussi surtout de l’innovation, de la recherche et de la réindustrialisation. Retrouver notre place en matière de recherche, augmenter la part du PIB dans l’industrie de 11% à 20%, résorber notre commerce extérieur (de – 80 milliards à au minimum la moyenne de la dernière décennie vers – 30 milliards) sont indispensable pour nous remettre sur la bonne trajectoire de la croissance.

Ces questions sont bien sur intrinsèquement liées à la problématique du chômage

Nous sommes péniblement passés d’un taux de 9% en 2017 à un peu moins de 8%, au prix, d’un exceptionnel soutien monétaire (dont nous payons le prix avec l’inflation, comme si nous avions tous payés pour ces quelques créations d’emplois…) mais surtout de changements de catégories : chômage partiel, autoentrepreneurs, formation, sortent des cohortes de la statistique du chômage sans qu’on puisse vraiment dire que des emplois de qualité sont à la disposition de nos jeunes à profusion. A titre d’exemple, 90% de l’amélioration de l’emploi en France depuis la mi-2019 est due… à la montée en puissance des dispositifs sur l’apprentissage. Tous apprentis, tous en formation, tous autoentrepreneurs ? Cette approche n’est pas tenable pour les cinq prochaines années, pour la réindustrialisation du pays et sa montée en puissance technologique.

Enfin, le dernier dilemme est celui de la dette et des déficits

Pour faire 140 milliards d’euros de PIB supplémentaires au cours des quatre dernières années, nous avons créé 600 milliards d’euros de dettes. Ce ratio de 5 à 1 n’a aucun équivalent dans le monde et dans les annales de l’histoire économique. Notre ratio de dette/PIB de 112% ne pourrait se résorber qu’à la condition d’une très forte croissance mais surtout d’une maitrise des dépenses publiques à l’avenir, alors que nous partons encore sur un déficit de 5% en 2022. La maitrise des comptes, la révision du périmètre de notre Etat qui ne peut pas tout faire, est une tache certes ingrate mais de la plus haute importance pour la prochaine équipe.

Alors que le pouvoir d’achat est la première préoccupation des Français, le chômage la quatrième, l’économie fut peu présente dans cette campagne. La réalité va cependant rapidement rattraper tous ceux qui nient ces sujets, en particulier pour ceux qui seront au pouvoir et risquent de faire perdre leur temps aux Français s’ils ne se sont pas préparés sur ces thématiques.