Contre le macronisme, l’enracinement local

Jean-Thomas Lesueur, directeur général de l’Institut Thomas More

29 avril 2022 • Opinion •


La réélection du président annonce cinq ans de plus d’étatisme et d’avancée du multiculturalisme, s’inquiète le directeur général de l’Institut Thomas More. La droite doit s’y opposer par le bas en investissant le champ local, le seul que le président ne peut conquérir, plaide-t-il.


Emmanuel Macron a donc emporté l’élection présidentielle. Résultat prévisible et qui n’enthousiasme pas grand monde. Beaucoup a déjà été dit sur la fragilité de son élection, sur la décomposition du paysage politique, sur la fragmentation du pays. La seule question qui vaille, au lendemain de ce rendez-vous manqué des Français avec eux-mêmes, est la question politique par excellence : que faire ?

La réponse, ou plutôt les réponses, sont à chercher dans le diagnostic lucide de la situation. Le premier constat tient dans le succès indéniable de la stratégie d’Emmanuel Macron, accomplie en deux temps en 2017 puis en 2022. Visant à la constitution d’un môle central qui se regarde comme seul apte à gouverner, elle renvoie les gauches toujours plus à gauche et les droites toujours plus à droite. Cette stratégie, assurément efficace pour conquérir le pouvoir, pose de graves questions en termes de pluralisme et d’alternance puisqu’il n’existe plus qu’un seul parti des « gens raisonnables ». Dans un pays où la sphère administrative et politique est si endogame, c’est la victoire assurée du « cercle de la raison » – rêve oligarchique daté mais enfin réalisé. L’élection que nous venons de vivre fait la démonstration, pour ceux qui en rêvaient, que l’avènement d’un « moment populiste » (de gauche comme de droite) est à peu près impossible. Ceux qui, à droite, fantasmaient un « scénario à la Trump » sont douchés.

Deuxième constat : nous venons de vivre une campagne sans idées ni débat. La guerre en Ukraine a certes percuté le calendrier électoral mais cela ne suffit pas à expliquer pareille indigence. Emmanuel Macron s’est dérobé au débat du premier tour (auquel il n’était certes pas obligé) mais cela n’explique pas tout. On a parlé un peu de pouvoir d’achat, d’immigration, des retraites et d’Europe. C’est à peu près tout. Rien sur l’éducation et l’effondrement scolaire et culturel ; rien sur l’aménagement du territoire et la vie dans les petites villes et les campagnes ; rien sur la jeunesse, sa place dans la société, ses responsabilités, son avenir ; rien sur la pauvreté et les travailleurs pauvres ; rien sur l’insécurité qui empoisonne la vie de tant de gens ; etc. Finalement, aucun candidat n’a parlé de la France aux Français. Chacun s’est adressé à un ou des « segments de l’opinion », comme disent les experts électoraux qui réduisent la politique au marketing et qu’on trouvait dans tous les camps. Au lieu de se proposer de les recoudre, chacun a acté les déchirures politiques, sociales et identitaires du pays et a cherché à en tirer profit. Cela a donné une campagne réduite à des coups médiatiques, des invectives et des monologues, sans dépassement, sans grands desseins discutés. Personne n’a pris au sérieux le premier des maux dont souffre le pays : sa fragmentation.

Car Emmanuel Macron préside pour cinq ans encore une France peut-être pas brisée en mille morceaux mais assurément fêlée et menacée de dislocation. A lui, le vote urbain et diplômé. A Marine Le Pen, celui des petites villes et de la France rurale. A Jean-Luc Mélenchon, celui des banlieues – avec une offre islamo-gauchiste qui se formalise et s’assume de plus en plus ouvertement. Au premier tour, Emmanuel Macron a disputé à Eric Zemmour le « vote catholique » et à Jean-Luc Mélenchon celui des musulmans. Les territoires d’outre-mer votent Le Pen et la jeunesse (d’extrême-gauche mas pas seulement) instruit brutalement le procès des boomers. Comme tous ses prédécesseurs au soir du deuxième tour, Emmanuel Macron a promis qu’il serait le président « de tous les Français » mais ce mensonge utile ne fait plus recette. Personne n’y croit.

Et les Français sont d’autant moins fondés à le croire qu’ils savent à quoi s’attendre. Il n’est certes plus question de « présidence jupitérienne » et Emmanuel Macron parle même de « nouvelle méthode » de gouvernement, « plus à l’écoute et moins verticale ». De quoi s’agira-t-il ? Si l’on en juge par les cinq années écoulées, préparons-nous au « grand débat permanent » et à la prolifération de « conventions citoyennes », leurres issus de la fausse bonne idée qu’est la démocratie participative et précieux cache-sexes de l’étatisme technocratique, qui est le vrai nom du macronisme. Un étatisme modernisé sans doute, managérial, utilitariste, visant à l’efficacité, mais un étatisme catégorique et péremptoire : un étatisme qui prive les collectivités territoriales (dont presqu’aucune n’est dirigée par LREM) de libertés financières et d’autonomie fiscale en supprimant la taxe d’habitation et en opérant une recentralisation discrète mais implacable ; un étatisme qui promeut le multiculturalisme à bas bruit en invitant la France à assumer « sa part d’africanité » et en suscitant des initiatives comme les « Portraits de France » ; un étatisme qui s’érige en autorité morale et entend définir par la loi ce que sont les fake news et c’est qu’est la « haine en ligne » ; un étatisme qui impose sans grand débat le pass sanitaire et des restrictions considérables et inédites aux libertés publiques.

A l’issue de ce tour d’horizon inquiétant de la France d’Emmanuel Macron, il est temps de revenir à la question initiale : que faire ? S’il est faux d’affirmer que le clivage gauche-droite est entièrement dépassé, il est douteux qu’il suffise d’y revenir pour réunir une majorité de Français sur un projet alternatif. S’il est crucial de continuer de faire vivre une opposition au Parlement, il y a peu de chance qu’une alternative crédible émerge de longtemps à l’échelon nationale. Le seul champ politique qu’Emmanuel Macron ne peut conquérir, tant pour des raisons idéologiques que sociologiques, est le champ local.

On voit d’ici les responsables politiques, récents et expérimentés, lever les yeux au ciel ! Les réalités modestes et prosaïques de la politique locale ne les motivent guère. Souvent, ils les méprisent. C’est qu’ils n’ont pas compris, ou pas vu, ses potentialités considérables. Ils n’ont pas compris, ou pas vu, qu’il était possible de concevoir et de conduire des politiques, partielles sans doute, mais résolument alternatives à celles de l’État : en matière d’éducation, de culture, d’assimilation, d’écologie, de logement, d’aide sociale, etc. Ils n’ont pas compris non plus, ou pas vu, l’atout considérable du local – et sur lequel il est possible de bâtir l’alternance à venir : il est le dernier espace de confiance politique dans notre pays. Emmanuel Macron a gagné l’élection présidentielle mais il sait qu’il n’a pas la confiance du pays. Énorme différence. C’est au dépassement par le bas du dépassement macronien par le haut qu’il faut travailler dès aujourd’hui.