Accord de sécurité avec les îles Salomon · Un test pour la Chine, une leçon pour les Occidentaux

Laurent Amelot, chercheur associé à l’Institut Thomas More

13 mai 2022 • Analyse •


L’accord de sécurité conclu le 19 avril entre la Chine et les îles Salomon traduit la volonté ferme de Pékin de substituer son influence à celle des Anglo-Saxons dans le Pacifique-Sud et de poursuivre la normalisation de son rôle en matière de sécurité internationale. Il constitue un test de l’engagement international de la Chine chinois et de sa visibilité renforcée à l’étranger mais aussi une leçon supplémentaire pour les Occidentaux, qui doivent clarifier leur discours et répondre de façon concrète aux attentes de leurs partenaires.


En signant le 19 avril 2022 un accord de sécurité avec la république populaire de Chine autorisant cette dernière, sur requête, à déployer des forces de l’ordre ou/et militaires sur son territoire, les îles Salomon ont suscité l’émoi aux États-Unis et parmi leurs partenaires au sein du Forum des Îles du Pacifique, en particulier en Australie. L’Australie, en effet, le deuxième partenaire commercial de Honiara, a conclu un accord similaire en 2017. Elle est intervenue dans le cadre de la RAMSI (Mission d’assistance régionale aux îles Salomon) entre 2003 et 2017 pour mettre un terme à la guerre civile et soutenir la reconstruction de l’État archipel, puis en novembre 2021, dans le cadre d’une opération de police, pour faire face à des émeutes locales à l’issue incertaine. Elle se voit désormais placer sur un pied d’égalité avec la Chine communiste, le premier partenaire économique de Honiara, avec lesquelles des relations diplomatiques n’ont été nouées qu’en 2019. Chine populaire avec laquelle l’Australie est en conflit diplomatique et économique ouvert.

Si cette manœuvre, ancrée dans sa doctrine diplomatique dite « amis de tous, ennemis de personne », initiée en 2020, participe de la volonté de Honiara d’élargir le spectre de ses relations extérieures et de réduire sa dépendance à l’égard de Canberra, elle traduit surtout la volonté ferme de Pékin, après avoir noué ces dernières années des liens diplomatiques avec les Fidji, Kiribati, la Papouasie Nouvelle-Guinée et Vanuatu, de substituer son influence à celles des Anglo-saxons dans leur pré-carré qu’est le Pacifique sud, d’étendre son périmètre de sécurité à l’est tout en pérennisant son accès à l’océan Pacifique, mais surtout de poursuivre la normalisation de son rôle en matière de sécurité internationale.

Contrairement à son principal partenaire, la Russie, et à son principal rival, les États-Unis, qui placent le recours à la force au cœur de leur politique étrangère, la Chine populaire reste ancrée dans l’esprit de la conférence Bandung, privilégiant le non-recours à la force, le refus d’une présence militaire permanente à l’étranger, la non-ingérence ou les rapports économiques gagnant-gagnant non conditionnés. Toutefois, cette retenue n’est qu’apparente et s’est singulièrement érodée depuis le début des années 2010.

Une visibilité renforcée

D’un côté, dans son « étranger proche », la Chine communiste n’hésite pas à recourir à la coercition pour faire avancer ses intérêts dans les mers de Chine contre ses voisins, du Japon à l’Indonésie en passant par le Vietnam, les Philippines, la Malaisie ou Taïwan, mais aussi le long de ses frontières terrestres, encore contestées, comme dans l’Himalaya, face à l’Inde. De l’autre, dans son étranger plus lointain, la Chine populaire reste plus prudente. Cependant, sa quête de centralité et sa projection croissante sur la scène internationale, associées à la politique offensive de Xi Jinping, traduisent une visibilité renforcée à l’étranger, source d’opportunités et de vulnérabilités. Les interrogations autour de la protection des actifs situés hors du territoire national demandent des réponses remettant en cause le caractère « pacifique » de la politique étrangère de Pékin.

Chaque étape de cette normalisation est associée à l’affirmation de coopérations. Ainsi, lorsque Xi Jinping promet en 2015 une force 8 000 hommes à l’ONU pour ses opérations de paix, il offre à son armée une formation et une expérience opérationnelle en matière de maintien de la paix, au contact du monde réel. Aujourd’hui, la Chine communiste déploie plus du double de soldats dans les opérations onusiennes que les quatre autres membres permanents du Conseil de sécurité réunis. Lorsqu’en 2017, Pékin inaugure sa première base logistique militaire à l’étranger (Djibouti), elle répond aux besoins de disposer des outils nécessaires pour lutter dans un cadre multilatéral contre la piraterie maritime sur un axe central de son commerce international, dont le golfe d’Aden est un point de passage obligé. Lorsque ces dernières années, les Chinois intensifient formations et exercices conjoints avec leurs partenaires de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) en matière de lutte contre le terrorisme, le séparatisme et l’extrémisme, les trois fléaux, avec l’Occident, pour Pékin et Moscou, et laissent stationner des contingents dans des bases au Tadjikistan, financées et construites par leurs soins, ils le font en parallèle au développement de projets infrastructurels et logistiques sous la bannière de l’Initiative ceinture et route (ICR) et des coopérations multilatérales à caractère sino-centrée liées.

Politique des petits pas

L’accord du 19 avril 2022, assorti d’une assistance économique et d’une formation policière, s’inscrit dans cette logique. Il offre la perspective d’opérations de sécurité collaboratives entre la Chine communiste et l’Australie, à la demande de Honiara et participe de la volonté de Pékin d’affirmer son droit et sa responsabilité à refaçonner l’ordre sécuritaire international à son image afin de défendre ses intérêts nationaux à l’étranger. Il caractérise la politique des petits pas qui légitimise les implantations permanentes « tout en douceur » de Pékin loin de son territoire national, tout en neutralisant les critiques : militarisation des mers de Chine, construction d’un réseau portuaire dans l’océan Indien et au-delà, projection à venir dans le Pacifique sud.

Dès lors, l’enjeu n’est pas nécessairement la perspective de construction d’une base navale chinoise sur l’île archipel, même si les îles Salomon se situent face au site qui devrait accueillir la future flotte de sous-marins à propulsion nucléaire australiens, mais plutôt celle d’un déploiement concret, voire durable, de forces de sécurité chinoises à même de transformer cet État archipel en protectorat, alors même qu’il est sur l’axe stratégique qui relie l’Australie aux États-Unis via Hawaï. A cet égard, il est nécessaire de s’interroger sur le caractère précurseur de cet accord et de sa duplication potentielle dans d’autres régions du monde où d’autres micro-États, mais pas seulement, cherchent à renforcer leur sécurité intérieure tout en diversifiant leurs relations extérieures.

Test à Pékin pour une nouvelle forme d’engagement à l’international en matière de sécurité, cet accord est une leçon supplémentaire pour les Occidentaux qui doivent clarifier leur discours et dépasser le cadre sécuritaire de leur politique dans le Pacifique Sud, mais pas seulement, pour réinvestir les zones où leur influence est contestée et pour répondre de façon concrète aux attentes de leurs partenaires en termes de soutien au développement ou de lutte contre le réchauffement climatique, dans le cadre de collaborations d’égal à égal. Une réflexion innovante sur les futurs contours de l’ordre régional dans le Pacifique sud et, plus globalement, dans l’Indopacifique est indispensable.