Stabilité économique · Le risque sous-estimé des législatives

Sébastien Laye, chercheur associé à l’institut Thomas More

7 juin 2022 • Opinion •


L’absence de débat économique à la veille des législatives pourrait masquer une instabilité politique à venir problématique pour les entreprises.


Alors qu’on ne parle plus que des dégâts de l’inflation et des risques sur le pouvoir d’achat, le risque politique local – et non le géopolitique, peut-être surestimé autour de la guerre d’invasion de l’Ukraine par la Russie – paraît rétrogradé au second plan après la réélection d’Emmanuel Macron. Or cette dernière, du fait de l’absence de débats, y compris et surtout sur les sujets économiques, porte en germe de nombreux soubresauts économiques pour les futures années, dans un contexte macro-économique en constante détérioration.

L’environnement pour les entreprises

Le premier écueil jalonnant la stabilité des politiques économiques à venir et l’environnement pour les entreprises est sans conteste celui des législatives. Certes traditionnellement négligée par une partie de l’opinion depuis que l’inversion du calendrier n’en a fait qu’une caisse enregistreuse de l’élection présidentielle, elle pourrait cette année retrouver de son lustre du fait de citoyens dépités de n’avoir vu aucun débat réel lors de la campagne présidentielle.

Si un bloc élitaire et âgé autour de Macron se maintient au pouvoir, ce n’est qu’avec un soutien d’environ 18% de la population. Pour le reste de la population, il y a désormais une volonté révolutionnaire de remettre les choses à plat dans notre pays, pour le meilleur et pour le pire. Cette volonté de tabula rasa ne pouvant favoriser de vieux partis traditionnels de droite et de gauche incapables de se refonder et de parler aux classes populaires, le bloc populaire s’incarne à tâtonnement dans des solutions plus ou moins extrémistes : pendant longtemps, le RN fut la solution, allant pourtant d’échec en échec.

À l’élection présidentielle, une personnalité de la société civile comme Zemmour aurait pu capter cet électorat, mais une mauvaise campagne et un positionnement exclusivement identitaire l’aura empêché d’être le héraut de la révolte populaire et citoyenne. Cette fois-ci, nombre d’éléments du bloc populaire pourraient être tentés d’utiliser le bulletin de vote de la NUPES pour exprimer cette volonté de renverser la table. Et ce pour plusieurs raisons.

En premier lieu, la NUPES n’est pas que le parti des Insoumis avec sa cohorte de promesses irréalisables. Les autres partis de gauche lui amenèrent des élus et quelques réformes plus pragmatiques, notamment dans le domaine écologique. Probablement pas assez pour séduire les libéraux mais la nasse du marais social-démocrate pourrait se laisser tenter, après avoir trop cru en Macron. Au moins pour ces législatives.

Par ailleurs, la NUPES et Mélenchon ont le seul discours clair lors de ces législatives : à l’inverse de LR par exemple, ils affichent clairement la tendance, exposant qu’un vote pour un candidat NUPES, c’est un vote pour imposer une cohabitation à Macron. Voilà un discours clair, guerrier voire irénique par certains aspects, mais à l’heure de l’affrontement bloc populaire/élitaire, c’est un parfait moyen de capter l’électorat. Ainsi, la NUPES récolterait environ 130-150 députés, première force d’opposition largement devant LR/UDI et même le RN.

Inversion des rapports de force

Cette configuration politique va inverser le rapport de force et les pressions externes sur le gouvernement en contrepoint du premier quinquennat. Durant ce dernier, Macron, venu historiquement de la gauche, eut à combattre une pression populaire essentiellement venue de la droite républicaine puis identitaire, et au-delà, un mouvement dextrogyre de la population, qui culmina en une situation, vers le mois de janvier, où les forces additionnées du RN, LR et Reconquête tutoyaient les 60%. Le Sénat, acquis à LR, fut le meilleur opposant au gouvernement notamment lors de l’affaire Benalla.

Pour ce second quinquennat, le bloc élitaire de Macron devra endiguer une force d’opposition bien plus virulente et mobilisant la totalité de la gauche, ancienne comme nouvelle. Rappelons que si le programme de Mélenchon additionne les utopies collectivistes sans aucun réalisme, il défend aussi des mesures précises sur les minima sociaux, la transition écologique, le renouvellement citoyen, qui ne sont pas toujours éloignées des promesses des macronistes : les mélenchonistes pourront à juste titre reprendre dans le texte les vagues déclarations de Macron, notamment sur l’écologie, pour demander des mesures concrètes.

Par ailleurs, la tradition parlementaire veut que la présidence de la Commission des Finances de l’Assemblée nationale reviennent à la première force d’opposition. C’est donc désormais une certitude : un Insoumis (Quatennens ? Ruffin ?) dirigera cette Commission, discutant année après année le nouveau budget avec Gabriel Attal. Macron avait déjà abandonné tout réalisme économique avec le « quoi qu’il en coûte », mais il devait sans cesse surveiller son opposition de droite plus austère en la matière.

Désormais, il va pouvoir lâcher les vannes pour contrecarrer (ou sous la pression) ses nouveaux meilleurs opposants mélenchonistes ; une bonne dose de collectivisme économique attend la France durant ce second quinquennat. LR, dans sa forme actuelle, avec probablement pas plus de 40 députés, aura du mal à jouer les arbitres des élégances et à ramener un peu de crédibilité économique dans le débat politique…

Sauf si deux conditions se réalisent. La première tient de l’ordre du fantasme à l’heure actuelle mais on peut toujours imaginer qu’à l’automne, lors de l’élection de la présidence des LR, surgisse un candidat enfin crédible sur les sujets économiques, capable de capter l’attention du bloc populaire et non des seuls retraités. À cette condition et en cas de refondation du parti, l’influence de la NUPES sera en partie neutralisée au-delà des formes institutionnelles, au moins dans le débat médiatique.

La seconde condition est plus audacieuse : aujourd’hui tous les politistes attendent une majorité absolue pour Macron et 150 députés pour la NUPES. Mais cette dernière bénéficie d’un vrai élan lors de cette dernière semaine de campagne. En nombre de voix, elle est en passe de devenir la première formation politique. Sur les circonscriptions de Français de l’étranger (où le premier tour a eu lieu ce dimanche), elle a remporté des résultats inespérés, comme 33% en Amérique du Nord, souvent au détriment des macronistes. On peut donc imaginer une majorité relative du bloc macroniste Ensemble, ou une majorité absolue mais avec un En Marche stricto sensu dépendant du Modem et des autres alliés pour avoir sa majorité absolue.

Poussée de la NUPES

La poussée de la NUPES, sans lui donner la majorité absolue propulsant Mélenchon à Matignon (ce qui ne demeure pas impossible, mais cette fois-ci au prix d’une victoire écrasante et presque révolutionnaire !), pourrait entraver le fonctionnement de la majorité présidentielle telle que Macron la conçoit : loin d’être à ses ordres, sur différents textes, cette majorité dépendrait tantôt d’un allié proche – encombrant ? – comme le Modem ou Horizon, éventuellement LR.

Une cinquante de députés de centre-droit (UDI, Horizons, LR tendance orléaniste, Les Centristes) pourrait in fine être la clef de la majorité de Macron : une situation qui n’enchanterait pas un palais élyséen pris entre le marteau de l’extrémisme populaire NUPES et de l’enclume d’un parlementarisme d’alliances en voie de renouveau.