7 juillet 2022 • Opinion •
Aymeric de Lamotte, directeur général adjoint de l’Institut Thomas More, co-signe avec plus de 200 personnalités une tribune dans La Libre Belgique à propos du changement de sexe chez les mineurs. Les auteurs s’inquiètent devant ce phénomène en pleine expansion et constatent que celui-ci n’est pas interrogé. Le « ressenti » de l’enfant est pris à la lettre, comme s’il allait de soi et qu’il faille d’emblée y répondre positivement. Cette décision peut déboucher sur des traitements hormonaux et chirurgicaux aux conséquences irréversibles. En Belgique, les hôpitaux sont très permissifs : il est possible de recourir à des bloqueurs de puberté dès l’âge de 8 ans chez les filles et 9 ans chez les garçons (stade 2 de Tanner). 85% d’entre eux voudront « détransitionner » d’ici la fin de leur adolescence. Nous considérons que tout traitement hormonal ou chirurgical propre au changement de sexe doit rester inaccessible aux enfants et adolescents. Nous ne pouvons plus feindre d’ignorer cet enjeu capital de santé publique ».
Il y a aujourd’hui de plus en plus de jeunes – adolescents mais aussi enfants – qui disent « ressentir » ne pas être en adéquation avec leur sexe anatomique ; à ce titre, on les appelle « dysphoriques de genre » ou « transgenres » ; certains veulent s’habiller et se faire prénommer selon leur genre d’élection, y compris à l’école, mais aussi avoir droit à une réponse médicale, pouvant aller jusqu’à la thérapie hormonale, et plus tard chirurgicale.
Le plus étonnant, c’est qu’une telle demande soit prise à la lettre, comme s’il allait de soi qu’il faille d’emblée y répondre positivement. Autrement dit, le « ressenti » individuel devrait faire autorité. Ne sont dès lors plus pris en compte ni la réalité du corps déterminé génétiquement, qui pourtant restera irréductible même si on en modifie l’apparence, ni la collectivité via notamment les autres enfants et adolescents ; ainsi, par exemple, le heurt que pourra représenter l’exigence d’un condisciple trans, à savoir concrètement le désarroi d’une fillette de 9 ans qui ne comprendra pas pourquoi, aux douches de la gym, elle est à côté de Julien, tout nu qui s’affirme fille.
Est ainsi passée sous silence la question pourtant centrale de la légitimité d’une telle demande : est-il justifié et souhaitable de conférer à des enfants et à des adolescents le droit, à partir de leur seul « ressenti », de changer de genre ?
Tout le monde sait qu’à ce moment de sa vie, l’adolescent, voire l’enfant, aura à se situer par rapport à son identité sexuée. C’est le temps où il est nécessaire que le jeune rencontre des adultes qui assument une éventuelle confrontation, condition même de la construction de l’autonomie. Est-ce « aimer » un enfant ou un adolescent, est-ce assumer notre responsabilité d’adultes à son égard, que de lui reconnaître d’emblée et sans condition la capacité et le pouvoir de s’autodéterminer ? N’est-ce pas plutôt laisser ainsi libre cours à sa toute-puissance et ouvrir la voie à devoir entériner n’importe quelle revendication individuelle ?
Certains placent la demande de l’enfant qui s’affirme « transgenre » sur le même pied que « l’orientation homosexuelle ». Il ne s’agit pourtant pas de la même chose. Il y a une différence radicale entre une attirance vécue dans la réalité de son corps et le fait de vouloir changer de genre à partir de sa seule conviction. Aujourd’hui, les « thérapies de conversion » – qui visent à re-normaliser – sont légitimement frappées d’interdiction. Dans le cas de l’orientation homosexuelle, cette interdiction ne pose aucun problème. En revanche, il ne faudrait pas qu’au nom de cette interdiction, soit désormais condamnable le simple fait de prêter oreille au questionnement d’un jeune sur son identité sexuée et sur l’opportunité et les risques d’en passer par un traitement hormonal, voire chirurgical.
Par ailleurs, pour justifier une telle prise en charge médicale, il est souvent invoqué la souffrance de l’enfant qui ne serait pas reconnu dans sa conviction intime. Mais n’instrumentalise-t-on pas le jeune en brandissant envers et contre tout le spectre d’une conviction intime réprimée ? Ne devrions-nous pas plutôt nous demander comment il se fait qu’une telle conviction soit devenue aussi fréquente en aussi peu de temps ? N’est-on pas en droit de faire l’hypothèse qu’on a créé une soi-disant conviction à la mode, mais qui serait alors surtout un effet de suggestion contagieuse pour une partie des jeunes qui s’affirment transgenres ? Quelle est la part d’autonomie propre et la part d’influence et de pression des jeunes entre eux dans la formation de cette conviction intime? Quel est le rôle des réseaux sociaux ? Et celui des associations militantes ?
Pour des traitements hormonaux inaccessibles aux adolescents
La question fondamentale reste bel et bien celle-ci : un enfant souffre-t-il de ne pas obtenir ce qu’il veut, ou souffre-t-il de ne pas avoir été préparé à supporter de ne pas avoir tout ce qu’il veut ?
Un tel questionnement pourtant essentiel est hélas aussitôt battu en brèche par ceux qu’il faut bien appeler des prosélytes de la cause accusant immédiatement quiconque pose de telles questions, d’être transphobe, si pas pire encore.
Dans un autre ordre d’idées, comment se fait-il qu’en Belgique, considérée comme l’un des pays les plus démocratiques au monde, la majorité des citoyens n’ait pas eu voix au chapitre ? Alors que devraient se poser quelques questions pour le moins pertinentes, même si elles sont embarrassantes. Par exemple, prenons-nous la mesure des effets que ces éventuels changements de genre pourront avoir sur les corps de ceux qui le souhaitent : irréversibilité de certaines pratiques hormonales, voire chirurgicales (question à ne pas poser puisque que tout serait soi-disant réversible, ce qui est inexact) ; soumission du corps à une dépendance hormonale permanente avec ses conséquences délétères ; embarras lors des compétitions sportives : où ira celui ou celle qui se serait déclaré(e) de l’autre genre ; qu’implique de contraindre une école à appeler Julie celui qui s’est jusque-là appelé Julien ?
Bref, comment encore faire société si la conviction intime de chacun doit ainsi prévaloir ? Au nom de quoi la carte d’identité devrait-elle céder devant une identité désormais à la carte? Et jusqu’où ce processus pourra-t-il aller ? Si demain, un adolescent veut changer de parents parce qu’il a honte des siens, va-t-on l’y autoriser au nom de sa souffrance ?
Il s’avère aussi important que les autorités politiques ne cèdent pas face aux exigences de lobbies en la matière. Rappelons cependant que reconnaître la pertinence à l’individualité de chacun ne peut se penser hors le maintien d’une articulation avec la collectivité, ceci contrairement à ce que soutient l’idéologie néolibérale pour laquelle il n’y aurait que des individus définis par leurs droits et par leurs intérêts. Mais c’est l’intimidation que rencontre celui qui ose encore poser les questions pertinentes. Le formatage de ce « politiquement correct » peut ainsi empêcher toute remise en question des prémisses erronées sur lesquelles s’est fondée cette idéologie.
Les signataires de ces quelques lignes souhaitent simplement que ces questions essentielles soient débattues rationnellement, c’est à dire en questionnant les a priori idéologiques et anthropologiques sous-jacents aux différentes positions en présence. Par ailleurs, ils considèrent que les traitements hormonaux et chirurgicaux propres aux changements de sexe devraient rester inaccessibles aux enfants et aux adolescents.