Belgique · La nomination d’Hadja Lahbib, une nouvelle atteinte à la méritocratie ?

Aymeric de Lamotte, directeur général adjoint de l’Institut Thomas More

19 juillet 2022 • Opinion •


Aymeric de Lamotte s’inquiète du choix de la journaliste Hadja Lahbib pour remplacer Sophie Wilmès à la tête du ministère des Affaires étrangères alors que d’autres candidats en lice, dont Alexia Bertrand, semblaient plus indiqués pour occuper cette fonction. Il y voit une nouvelle atteinte à la méritocratie après la nomination de Mathieu Michel, frère de Charles Michel, en octobre 2020. La méritocratie implique une continuité entre le travail fourni et le fruit récolté grâce à ce travail. Or, Hadja Lahbib est gracieusement remerciée pour un travail politique qu’elle n’a jamais fourni. Assisterions-nous au sacrifice de la compétence et de la méritocratie (Alexia Bertrand) sur l’autel de la diversité (Hadja Lahbib) et du népotisme (Mathieu Michel) ? Il semble que oui.


La récente nomination d’Hadja Lahbib en tant que ministre des Affaires étrangères et européennes laisse d’aucuns circonspects. Je fais partie de ceux que ce choix étonne. Son parcours personnel est-il déméritant ? Non, en aucun cas : elle a, entre autres, été envoyée spéciale en Afghanistan et au Moyen-Orient, elle a présenté avec brio pendant deux décennies le journal télévisé à la RTBF et est réalisatrice de documentaires.

La question n’est cependant pas celle-là, mais celle-ci : est-elle méritante relativement à la fonction briguée et aux potentiels autres candidats en présence, dont, par exemple, Alexia Bertrand, actuelle cheffe de groupe des députés MR au Parlement bruxellois et ancienne cheffe de cabinet de Didier Reynders, alors vice-premier et ministre des Affaires étrangères, et qui par ailleurs à donner des cours de négociation à Harvard ? Non, probablement pas : Hadja Lahbib n’a jamais été affiliée à un parti, n’a jamais été élue, elle n’a pas une maîtrise suffisante du néerlandais et de l’anglais qu’une telle fonction requiert et n’a pas, mis à part un intérêt prononcé pour la politique internationale, de compétence significative qui puisse véritablement servir le ministère en question. Cela fait passer l’idée que suer sang et eau pour sa famille politique, militer sur le terrain pour répandre les idées de celle-ci, se frotter à l’électeur et sortir victorieux des urnes est négligeable.

La méritocratie implique une continuité entre le travail fourni et le fruit récolté grâce à ce travail. En l’espèce, Hadja Lahbib est gracieusement remerciée pour un travail politique qu’elle n’a jamais fourni. Certains ne tarderont pas à répliquer qu’il est sain d’introduire des personnalités issues de la société au sein du sérail politique. Je suis en accord avec ce raisonnement, mais la manière de le faire importe. Il existe une nette différence entre promouvoir des profils intéressants sur des listes électorales et parachuter une novice à la tête d’un ministère « plein de technicité et extrêmement complexe », selon la précision de Marc Eyskens, ancien ministre des Affaires étrangères, au nez et à la barbe d’autres personnes beaucoup plus affûtées. Le politologue Pascal Delwit note qu’un tel grand écart ne s’est jamais vu.

En outre, à la question de savoir si elle est libérale, Hadja Lahbib rétorque : « Je ne suis ni de gauche, ni de droite, je suis fondamentalement libre. » On peut lire dans cette réponse une volonté de marquer son indépendance ; mais on peut aussi y lire une esquive justifiée par un manque de colonne vertébrale politique et idéologique. Quoi qu’il en soit, on n’y lit aucune affiliation par rapport au MR. Par le passé, elle a d’ailleurs été soutenue par le PS et par Écolo. Le MR fait-il dès lors un choix judicieux en offrant un tel strapontin à une personne qui ne s’affirme pas de son bord ? On a souvent vu que ceux qui ne savent pas où ils habitent sur le plan politique ont tendance à quitter le navire dès le premier grain.

Assisterions-nous au sacrifice de la compétence et de la méritocratie (Alexia Bertrand) sur l’autel de la diversité (Hadja Lahbib) et du népotisme (Mathieu Michel) ? Il semble que oui. L’injustice a changé de camp ; le plafond de verre n’est plus placé au-dessus des mêmes têtes. Dans son ouvrage La révolte des élites ou la trahison de la démocratie, le célèbre sociologue américain Christopher Lasch observe qu’une élite intellectuelle et financière s’est désaffiliée de la masse de ses concitoyens et ne se sent plus concernée par la vie en commun. Il considère que l’égalité des chances n’est plus équitablement répartie et que la mobilité sociale et professionnelle est devenue une illusion pour une grande portion de la population. En l’espèce, le diagnostic préoccupant s’élargit en début de rupture avec le mérite lui-même, et son juste retour. On pourrait paraphraser le titre de l’ouvrage de Lasch ainsi : La révolte des élites ou la trahison de la méritocratie. Le processus de sélection des universités anglo-saxonnes connaît le même phénomène inquiétant : à compétence égale, un candidat sera préféré à un autre si le premier est issu d’une famille réputée, Malia Obama ou la princesse Élisabeth par exemple, ou issu d’une minorité ethnique, religieuse ou sexuelle.