Le Conseil national de la refondation ou l’illusion de la démocratie participative

Jean-Thomas Lesueur, directeur général de l’Institut Thomas More

8 septembre 2022 • Opinion •


Emmanuel Macron lance ce 8 septembre cette instance conçue comme un outil pour rapprocher les décisions gouvernementales des Français. Pour le délégué général de l’Institut Thomas More, la France a besoin, entre autres, d’un meilleur équilibre des pouvoirs et non de gadgets inutiles.


C’est dans une atmosphère de grand scepticisme autant que de méfiance qu’Emmanuel Macron installe ce jeudi 8 septembre son Conseil national de la refondation. Peu d’acteurs politiques, sociaux et économiques de notre pays s’y pressent avec enthousiasme. Après avoir renâclé, certains syndicats et les associations d’élus locaux ont fini par annoncer leur participation. Mais d’autres syndicats, le président du Sénat et l’ensemble des partis d’opposition ont refusé de s’y rendre.

On peut certes regarder cette affaire comme dérisoire et secondaire au regard de la gravité des sujets qui occupent l’actualité et préoccupent les Français : crise géopolitique, crise énergétique, pouvoir d’achat, délinquance et hyperviolence endémiques, etc. On peut aussi en sourire. Il est vrai que la défiance que l’initiative provoque jusque dans les rangs de la majorité prête à sourire. Il est vrai que le choix du nom du « bidule » présidentiel, dont l’acronyme renvoie aux heures mythifiées de 1944, laisse pantois : quel fade communiquant de cabinet ministériel peut-il croire qu’une si grosse ficelle ait encore une quelconque efficace ? Il est vrai enfin que le choix de François Bayrou pour diriger le « bidule » présidentiel est désarmant. La nomination d’un homme qui fait de la politique depuis bientôt quarante ans et qui dirige déjà le fantomatique Haut-Commissariat au Plan témoigne ironiquement de ce qu’est la macronie : un champ clos politique et technocratique, coupé du pays et de ses forces vives, disposant d’aussi peu de cadres que de troupes, sans prise réelle avec le « monde de la vie ».

Mais sourire ne suffit pas. L’affaire n’est pas anecdotique. Elle mérite au contraire attention et sérieux. Car elle en dit long sur la relation malaisée et contrainte que le président de la République entretient avec la démocratie française. Après le « Grand débat » inventé en 2019 en réaction à la crise des Gilets jaunes, après la « Convention citoyenne pour le climat » de 2020, le « Conseil national de la refondation » est la troisième initiative d’Emmanuel Macron prétendant revitaliser notre démocratie en crise. L’analyse de ces initiatives met au jour deux erreurs : celle de la foi dans les ressources prétendues de la démocratie participative, étrangement conjuguée à un étatisme et un recours sans failles à la verticale du pouvoir.

Cela fait vingt ans et plus que sociologues, politologues, activistes des ONG et responsables politiques tournent autour du concept de démocratie participative et en chantent les louanges. En invitant à une participation citoyenne accrue, elle serait une réponse efficace à la défiance et à l’indifférence politique. Pourtant, force est de constater son bilan plutôt maigre. Comment l’expliquer ?

D’abord parce que des a priori idéologiques l’empêchent de convaincre au-delà du cercle de ses militants : on a bien vu comment la « Convention citoyenne pour le climat » avait été confisquée par les acteurs de l’écologisme politique, on voit bien comment les « conseils de quartier » fonctionnent à Paris, on voit comment la nouvelle Constitution « progressiste, féministe, écologique et sociale », conçue par une « assemblée citoyenne », vient d’être sèchement rejetée par référendum au Chili. Ensuite, parce que le fond « gauchiste » qui a présidé à l’émergence de la démocratie participative a poussé ses acteurs et ses promoteurs à la concevoir contre les institutions et les élus plutôt qu’en soutien. Enfin, parce que ces mêmes acteurs ont oublié un fait sociologique majeur : le refus de s’impliquer d’un grand nombre de citoyens. Qu’il s’agisse de défiance, de banale indifférence, de manque de temps ou au contraire de confiance maintenue dans la démocratie représentative, une majorité de personnes n’éprouve pas le besoin ni l’envie de s’engager. Pour la plupart des citoyens, tout n’est pas politique. Et la politique n’est pas tout.

De là vient l’impression d’artificialité, d’entre-soi et de démocratie confisquée que laissent la plupart des expériences réalisées de démocratie représentative. Peu frottés au terrain et sans grand ancrage local (les résultats des élections municipales de 2020 et l’implantation quasi nulle du parti présidentiel en attestent), Emmanuel Macron et sa majorité semblent pourtant goûter ce produit de synthèse : si son empreinte est faible sur la France et les Français, il a le mérite d’offrir à ses initiateurs une parfaite maîtrise des procédures (et des conclusions) ainsi que des éléments de langage et des images pour la communication.

Mais le président conjugue ce goût à une pratique, assez contradictoire dans ses principes, très verticale du pouvoir. Qu’il s’agisse d’une inclinaison personnelle ou des effets des mauvais génies de la Ve République, il semble croire que l’impulsion ne peut venir que d’en haut, que la pyramide institutionnelle et politique française repose fatalement sur sa pointe. C’est en effet une étrange chose que, dans le pays occidental où l’exécutif dispose du pouvoir le plus étendu (et le moins contrôlé), l’offre de renouveau démocratique vienne de lui avec une telle insistance. Mais, de fait, après la crise des Gilets jaunes, le président préféra prudemment un « Grand débat » taillé sur mesure pour lui à l’instauration d’un RIP (référendum d’initiative populaire), qui aurait pu être local dans un premier temps, qui aurait fait respirer la démocratie par le bas mais hors de son contrôle. Et, de fait aujourd’hui, il morigène les syndicats, les corps intermédiaires, les représentants du pouvoir législatif qui refusent ou rechignent à participer au show que va constituer l’installation de son Conseil national de la refondation.

Si le président souhaitait réellement soigner notre démocratie assurément malade, il renoncerait à ses « bidules », qui ne se contentent pas d’être de la poudre aux yeux puisqu’ils contribuent à frapper d’inutilité et d’archaïsme les corps intermédiaires et les acteurs de la démocratie représentative. Avec modestie, il apprendrait à comprendre que la démocratie se construit par le bas. Il respecterait alors davantage le Parlement et ses membres et engagerait sans attendre une réforme constitutionnelle pour accroître leurs pouvoirs et leurs moyens de contrôle sur l’exécutif. Il proposerait le déploiement progressif d’instruments de démocratie directe, comme le RIP local, et aurait l’audace de soumettre certaines questions cruciales pour l’avenir du pays (choix énergétiques, traités européens, immigration) à l’article 11 de la constitution. Il lancerait enfin un vaste mouvement de décentralisation et d’allègement des contraintes (juridiques, réglementaires, budgétaires) qui pèsent sur les collectivités territoriales, en vue de revitaliser la démocratie locale, dernier espace de confiance politique dans notre pays.

Bref, il prendrait des initiatives qui favorise des outils, des pratiques, des procédures qui ne dépendent pas de lui. Ce dont la France a besoin, c’est d’un meilleur équilibre des pouvoirs, d’une démocratie qui ne repose pas sur une tête d’épingle, d’un exécutif plus modeste. Pas de « bidules », de la confiance et des libertés.