Qui va payer le bouclier tarifaire promis par l’exécutif ?

Sébastien Laye, chercheur associé à l’Institut Thomas More

15 septembre 2022 • Opinion •


Elisabeth Borne a annoncé la mise en place d’un bouclier tarifaire limitant la hausse des prix du gaz à 15% pour l’année 2023. Cette nouvelle décision, qui alourdit encore la dette publique, coûtera in fine aux contribuables français. Explications…


Cette décision du bouclier tarifaire va-t-elle réussir à enrayer la crise énergétique ?

Face à la crise énergétique, cette année, le gouvernement français a mis en place un coûteux bouclier tarifaire. Notre estimation du coût net pour les finances publiques 2022 est de 24 milliards d’euros : à titre d’information, c’est plus que ce que nous sommes censés économiser à l’horizon 2030 par une réforme des retraites qui n’est pas encore votée et qui est encore loin de faire l’unanimité. Pour 2023, l’exécutif va conserver le principe du bouclier sur les prix du gaz et de l’électricité, mais en atténuant les effets, afin de limiter le fardeau pour les finances publiques (mais au moment où les prix s’envolent véritablement). Actuellement, le bouclier permet de limiter la hausse du prix réglementé de l’électricité à 4% et le tarif réglementé du gaz ne doit pas dépasser le tarif d’octobre 2021.

Le bouclier va être réduit à 15%, faisant absorber une partie de la hausse actuelle et à venir (cet hiver) directement par les ménages. Sans cette protection – certes moins forte –, des hausses de 100% seraient possibles, comme on l’observe sur les marchés libres. Mais le passage de 4% à 15% de hausse (inéluctable) va être durement ressenti par les ménages et la pression des marchés du gaz et de l’électricité est trop forte pour les finances publiques.

Le gouvernement assure que cette mesure s’appliquera durant toute l’année 2023. Est-ce tenable ?

La réduction du bouclier doit le rendre plus digeste pour les finances publiques, avec un coût annoncé à 16 milliards. En réalité, peu d’économistes ont noté le tour de passe-passe budgétaire du gouvernement. Si le bouclier 2023 est moins puissant qu’en 2022, il est censé s’appliquer cette fois-ci toute l’année (le bouclier version 4%, lui, n’a pas été en vigueur toute l’année 2022). Son coût brut est en fait de 44 milliards d’euros, un niveau insupportable pour le budget.

Mais le gouvernement compte récupérer 28 milliards, d’où le coût net de 16 milliards, via trois choses. Tout d’abord, une taxation des super profits électriques (sur le marché de gros, les prix explosent parfois comme à 1 000 euros le MWh cet été, alors que les prix à la production sont plus faibles en réalité, vers 200 euros en ce moment, d’où la tentation de l’État de taxer la différence : cela devrait rapporter 19 milliards en 2023). Deuxièmement, une baisse des dépenses publiques de soutien/subventions aux énergies durables de 9 milliards. Enfin, le gouvernement compte récupérer une partie de la somme via une contribution exceptionnelle des producteurs de solaire et hydroélectrique.

Tout cela me paraît bien hasardeux, et surtout hypothétique: qui peut savoir si l’arbitrage entre marché de gros et marché de production perdurera en 2023 par exemple ? Est-ce une bonne politique de faire payer les centrales solaires ? In fine, ma crainte est que le coût soit tout de même beaucoup plus important que ces 16 milliards annoncés…

Cette crise énergétique survient à la suite des crises sanitaires et sociales qui ont donné lieu à des dépenses publiques très importantes. L’État a-t-il les moyens de ses ambitions ?

Non, comme l’a dit le sénateur LR Jean-François Husson, on remet une pièce dans le jukebox des mauvais choix. In fine, les Français paient toujours, via les contribuables, les actifs d’aujourd’hui ou de demain qui devront supporter le fardeau de la dette publique. Le budget 2023 avec un déficit de 5% (à nouveau, comme en 2022) est inflationniste et irréaliste. Comme je l’ai précisé dans ma dernière note pour l’Institut Thomas More, ces politiques de chèques et de subventions ne font qu’aggraver l’inflation. Aux États-Unis, afin de juguler l’inflation, une politique monétaire restrictive est désormais associée à une politique budgétaire plus orthodoxe ; nous, en France, nous allons avoir le couperet d’une augmentation des taux d’intérêt qui commence à peine et en même temps, un déficit abyssal qui est inflationniste par nature. Notre politique de lutte contre l’inflation n’a aucun sens.

Or en Europe, la facture énergétique joue un rôle encore plus important qu’aux États-Unis dans la composition de l’inflation. Avec en complément, la question de la guerre en Ukraine. Le gaz russe ne représente que 12% de la consommation européenne : s’il descend à 0%, même avec des compensations qui montent en puissance (LNG, gaz naturel liquéfié, importé, réduction de consommation/sobriété, montée en puissance des renouvelables), on a un déficit de 3% des volumes. Compte tenu du lien entre énergie et croissance, assez bien documenté, cela nous fera perdre un point de PIB dans la zone euro. Bruno Lemaire parlait en début de semaine d’une prévision de croissance du PIB 2023 français de 1%. En, réalité avec ce facteur susmentionné, on sera proche de zéro. Et la prévision de déficit à 5% sera revue à la hausse.

Le gouvernement a aussi promis des « chèques énergie exceptionnels » pour 12 millions de foyers modestes. La classe moyenne sera-t-elle la grande oubliée de la crise ?

Au lieu de vouloir traiter de manière généraliste le sujet de la hausse des prix, c’est ce qu’il aurait fallu faire dès le début : à savoir, mieux cibler les aides en fonction des revenus des ménages. Ces chèques énergie se rajoutent cependant au bouclier général, donc se pose bien sûr à nouveau la question du coût pour les finances publiques. S’agissant de votre remarque, on ne peut pas dire que les classes moyennes sont les grandes perdantes spécifiquement de cette crise énergétique, mais plutôt les grandes perdantes de la plupart des interventions de l’État ou des politiques publiques depuis dix ans. Trop ancrées pour avoir des revenus à l’export ou hors salaires, mais pas assez modestes pour profiter de notre État nounou dispendieux, ces classes moyennes sont victimes d’un effet ciseau de nos politiques de taxation en particulier qui les amènent progressivement à la disparition.