La France est-elle prête à remettre en ordre ses finances ?

Sébastien Laye, directeur de recherche à l’Institut Thomas More

5 octobre 2022 • Opinion •


Le ministre des Finances allemand, Christian Lindner, a affirmé que la rigueur budgétaire devait faire son retour. Certains paraissent s’en offusquer en France, voire l’accusent de vouloir provoquer une récession. Or, la situation est très différente de celle qui a prévalu lors de la crise financière de 2008, où l’Europe a trop attendu pour stimuler son économie. Depuis 2015, nous avons été sous soutien monétaire permanent, par l’action de Mario Draghi (l’inventeur du « quoi qu’il en coûte ») à la tête de la BCE d’abord, puis avec la réaction face au Covid (d’une ampleur sans précédent), à base de création monétaire et de déficits budgétaires. Inadaptée dans sa masse, cette création monétaire a fini par créer le contexte inflationniste que nous connaissons.

Pour juguler l’inflation, nous avons commencé à mener une politique monétaire restrictive (hausse des taux, avec trop de retard) mais nos politiques budgétaires en Europe ne sont toujours pas coordonnées et dans certains cas (celui de la France) expansionnistes, fondées sur des déficits colossaux. Pour la France, avec une croissance initialement prévue en 2023 autour de 2% (mais qui est désormais estimée entre 0 et 1%), nous avons voté un déficit de 5%, comme en 2022 et ce alors que le coût de la dette est passé sur la même période de 0,7% à 2,5%. Christian Lindner a raison de rappeler que les politiques budgétaires actuelles, qui suivent deux ans de stimulation effrénée et d’aides dans tous les sens, doivent désormais être au diapason de la politique monétaire.

Si chacun en Europe mène sa politique budgétaire dans son coin, le risque est grand d’avoir un resserrement de la politique monétaire (qui a, pour freiner l’inflation, un impact négatif sur la croissance de court terme) inutile et d’échouer dans la lutte contre l’inflation, simplement parce que quelques États auront continué à soutenir la demande et à injecter des liquidités dans l’économie. C’est un discours mal compris par les opinions mais, aujourd’hui, le plus grand mal pour les ménages, ce n’est pas le chômage ou la croissance molle, mais bien l’inflation et la crise du pouvoir d’achat. Il faut terrasser l’hydre de l’inflation rapidement, en quelques mois, plutôt que de traîner le problème durant plusieurs années.

De toute manière, inflation ou pas, un ralentissement devait arriver, du fait simplement des cycles économiques. Autant accepter maintenant et vite la potion amère. Au niveau des pays endettés qui freinent cette normalisation, on retrouve toujours les mauvais élèves, la France et l’Italie. Ils ont en effet un certain poids politique, mais le conflit va se faire entre membres de la BCE (faucons et colombes, qui vont discuter du nombre de hausses des taux d’intérêt) ainsi qu’à la Commission, sur la flexibilité autour des fameux critères de Maastricht. Pour l’instant, l’Europe ne nous force qu’à une trajectoire de finances publiques à l’horizon 2027.

Bruno Le Maire ne semble pas conscient de ce tournant nécessaire : il se contente de faire des promesses, notamment sur les économies que générerait la réforme des retraites, mais fondamentalement ne se place pas sur le terrain de la BCE et de la macroéconomie. Christine Lagarde aurait pu aussi se faire le chantre de politiques plus expansionnistes : elle a en général suivi les vents du moment – ou plutôt la Fed – et devient donc ces jours-ci, un peu trop tardivement, un semi-faucon embarquée dans une hausse résolue des taux.

Après la crise économique et financière de 2008, les pays européens avaient multiplié les erreurs, notamment en pratiquant la rigueur budgétaire, aggravant la faible demande. Mais en 2008-2012, lors de la crise financière, nous sortions d’une longue période sans soutien monétaire, qui était devenu taboue, et nous avons eu plusieurs années de croissance molle. La BCE a changé de doctrine (sans que les Français ne changent vraiment leur cadre budgétaire) en relevant l’économie de la crise (comme la Fed en 2009) entre 2014 et 2017 ; avec la crise du Covid, ces interventions ont changé de nature et de magnitude, avec trop de création monétaire face à une demande restreinte par le Covid et fragmentée par les évolutions du monde. Aujourd’hui, l’enjeu est bien différent : il n’est pas de restimuler nos économies (elles ont reçu des centaines de milliards des États) mais bien de sortir en douceur de ce régime d’exception. Redoubler de dépenses publiques et de stimulation monétaire dans le contexte actuel détruirait l’euro et le pouvoir d’achat des ménages. Aucune stimulation n’est envisageable tant que l’inflation reste au-dessus de 4%.

Les centaines de milliards dépensés lors de la crise du Covid, notamment le coûteux dispositif de chômage partiel, n’ont pas profité à tous et, pour l’essentiel, ont simplement figé les situations économiques et sociales face aux risques des confinements : ainsi peu de ménages ont eu l’impression de connaître une France prospère entre 2020 et 2022. Les Français attendent une situation économique assainie, avec moins d’inflation, et certainement pas de nouveaux engagements grandiloquents de dépenses publiques, qui seraient peu crédibles dans le contexte actuel. Les huit prochains mois vont être difficiles, particulièrement cet hiver du fait de la crise énergétique : autant dire la vérité économique et sociale aux Français et préparer les conditions d’une sortie de crise pour l’été prochain.