Le populisme est une expression démocratique qui a droit de cité

Aymeric de Lamotte, directeur général adjoint de l’Institut Thomas More

11 octobre 2022 • Opinion •


Aymeric de Lamotte présente son article en vidéo


Au sein du monde médiatique et politique, le mot « populisme » est souvent employé comme étant un synonyme de démagogie. Sous sa plume ou dans sa bouche, il est exclusivement une injure. Or, la philosophe française, Chantal Delsol, explique que le populiste est plutôt l’homme politique qui s’intéresse à ce qui est proche. La philosophe poursuit : « Je maintiens que le populisme est autre chose que de la démagogie. Le démagogue flatte les désirs populaires qui vont contre l’intérêt général alors que le populiste flatte les enracinements de proximité ». Le populiste se préoccupe des Somewhere, les gens de « quelque part », pour évoquer la profonde incompréhension qui traverserait nos démocraties occidentales selon l’essayiste britannique David Goodhart entre les Anywhere, les gens « de n’importe où :» — en bref, l’élite libérale-libertaire de la mondialisation prétendument heureuse — et les Somewhere, les gens de « quelque part » — ceux moins mobiles, qui souffrent de la disparition des frontières économiques et migratoires. Le populisme est dès lors une expression démocratique qui a droit de cité. Il convient cependant de préciser que, comme toute autre offre politique, le populiste peut très bien tenir un discours caricatural, mensonger, voire dangereux. Aux citoyens d’exercer leur esprit critique.

Cette importante précision sémantique ayant été faite, posons-nous désormais la question qui occupe les esprits au lendemain des scrutins suédois et italien : pourquoi le populisme a-t-il le vent en poupe ? Pourquoi séduit-il à tel point l’électorat ? Une partie de la réponse se trouve dans le mépris et le déni technocratiques du prétendu « cercle de la raison », qui sévissent depuis plusieurs décennies à l’égard des valeurs d’enracinement. Le mépris des Anywhere pour les inquiétudes des Somewhere : le déclassement économique de la classe moyenne, la perte d’identité en raison de la peur d’une immigration extra-européenne de peuplement et d’un renoncement à transmettre une culture, la perte de repères dû à la promotion sans discernement de l’idéologie woke ou de la théorie du genre dans les écoles, ou encore l’aveuglement devant l’irrationalité d’un écologisme décroissant. Comment ne pas voir que derrière chaque vote antisystème se terre une revendication niée par les Anywhere ? Pourquoi une certaine élite européenne méprise-t-elle avec un tel zèle ce besoin de continuité historique et culturelle qui tenaille tant d’Européens ? Les électeurs se vengent d’une telle attitude. Ainsi que l’avait perçu Alain Finkielkraut, Donald Trump fut la Némésis (déesse grecque de la vengeance) du politiquement correct américain ; Georgia Meloni est aujourd’hui la Némésis d’Ursula von der Leyen.

Ce papier n’est pas une charge anti-élite. Chaque démocratie a besoin d’une élite, c’est-à-dire la promotion des meilleurs éléments dans un cadre méritocratique, qui oriente le mieux possible sa marche en avant. C’est une charge contre une certaine élite hors-sol, qui baigne encore dans la perspective enchanteresse de la fin de l’Histoire et de l’interchangeabilité des hommes au sein d’un doux commerce planétaire — rêve aujourd’hui complètement périmé. Ce dernier a fragilisé le continent européen, et la responsabilité des garde-chiourmes du politiquement correct dans notre crise civilisationnelle est immense. Avec le Brexit, nous espérions que cette élite débuterait un travail d’introspection et adopterait une attitude d’humilité. C’était faire preuve de naïveté. À titre, d’exemple, deux jours avant le scrutin italien, Ursula von der Leyen a encore déclaré qu’elle était prête à utiliser des « outils » contre les méchants qui votent mal.

Nous faisons aujourd’hui face à une crise démocratique qui s’exprime sous la forme d’une radicalisation de l’antagonisme entre un bloc élitaire très puissant et des blocs contestataires éparpillés sur le continent européen. Le premier a le devoir de résorber cet antagonisme en se mettant à l’écoute des seconds. Ce mot de Péguy pourrait sans doute l’aider : « Il faut dire ce que l’on voit, et ce qui est plus difficile, il faut voir ce que l’on voit » ; ainsi que la lecture du petit livre de l’écrivain belge, David Van Reybrouck, Plaidoyer pour le populisme, qui est « un cri passionné pour que l’on voie l’électeur populiste derrière le leader populiste ». Cette certaine élite entendrait alors le souhait que l’Union européenne s’inscrive dans un temps et un lieu qui se nomment la civilisation européenne et le souci de protection des citoyens de son propre continent.