Le wokisme est la purge culturelle en cours

Aymeric de Lamotte, directeur général adjoint de l’Institut Thomas More

8 novembre 2022 • Opinion •


Aymeric de Lamotte présente son article en vidéo


Dans sa chronique mensuelle dans La Libre Belgique, Aymeric de Lamotte répond à l’opinion de Margherita Romengo, chargée de projets dans l’administration publique, publiée dans le même journal sous le titre « Quand la droite conservatrice fabrique le wokisme ».


Dans une chronique parue le mois dernier consacrée au wokisme, Margherita Romengo écrivait en substance que ce nouveau phénomène serait un fantasme de la « droite conservatrice » — l’expression est répétée à sept reprises dans un texte de trente lignes sans n’être jamais définie. Sa pensée reflète celle de la gauche francophone belge. Quant à la France, nous ignorions que le centre où l’on pourrait placer Emmanuel Macron — « Je suis contre la woke culture », a-t-il dit —, en passant par l’intégralité de la gauche universaliste — dont Caroline Fourest fait partie, n’en déplaise à Madame Romengo —, jusqu’au communiste Fabien Roussel appartenait à cette fameuse « droite conservatrice ». Ils seront ravis de l’apprendre.

Certes, il s’agit d’un concept théorique nouveau, protéiforme, en mouvement, parfois invoqué à tort ou à travers, que les intellectuels sont en train de scruter un sourcil froncé l’autre interrogatif, mais il n’empêche qu’il existe bel et bien et qu’il sévit quotidiennement. Il est un dérivé du mot « woke » qui signifie « éveillé » en anglais. Il peut être défini comme une vaste entreprise de déconstruction et de destruction de tous nos référents occidentaux (histoire, langue, repères anthropologiques et civilisationnels), qui pointe du doigt systématiquement le même coupable pré-désigné : l’homme blanc hétérosexuel occidental. Le wokisme se ramifie en plusieurs concepts : théorie du genre, décolonialisme, islamo-gauchisme, racialisme, écriture inclusive, antispécisme, culture de la censure et de l’intimidation, etc. Ces concepts servent une idéologie que l’on pourrait qualifier de « néoprogressisme », qui s’affranchit dangereusement de la réalité.

Quelle est cette tendance, si ce n’est du wokisme, qui consiste à préférer systématiquement le mot « genre » au mot « sexe », jusqu’à vouloir supprimer ce dernier du Code civil comme le plaide à demi-mot Sarah Schlitz, secrétaire d’État fédéral chargé de l’Égalité des genres avec la complicité d’Alexander De Croo ? Un Petit guide pour une écriture respectueuse du genre, distribué récemment par le gouvernement fédéral, conseille à l’administration de ne plus débuter ses courriers par « Madame » ou « Monsieur ». Quelle est cette attitude, si ce n’est du wokisme, assumée par la présidente de Disney, Karey Burke, qui consiste à considérer la transidentité chez les mineurs comme une avancée sociétale et qui pousse chaque enfant à s’interroger sur la pertinence du sexe qu’il a reçu à la naissance ? Est-ce que la gauche pense sérieusement que l’ostracisation de J.K. Rowling (elle n’a pas été invitée aux vingt ans d’Harry Potter, sa propre création) et les menaces de mort qu’elle reçoit parce qu’elle a ironisé sur le fait que « les personnes qui ont leurs règles » appartenaient sans doute au sexe féminin est un fantasme de la « droite conservatrice » ?

Le wokisme s’exprime aussi par la pensée décoloniale ardemment défendue par Thomas Dermine, secrétaire d’État fédéral chargé de la Politique scientifique. Celle-ci n’opère pas un rééquilibrage fécond entre les apports européens et africains, mais s’échine plutôt à rejeter aveuglément — même à diaboliser — les premiers au profit des seconds. La justice l’a reconnu en condamnant récemment l’État belge, car il était impensable pour le Musée royal de l’Afrique centrale de relater simplement et justement un sauvetage héroïque des soldats belges en République Démocratique du Congo. En 2021, la sociologue française Nathalie Heinich a publié un tract aux éditions Gallimard, intitulé Ce que le militantisme fait à la recherche, qui montre bien que la neutralité axiologique — posture méthodologique essentielle dans un cadre scientifique — ne guide plus les chercheurs dans leur travail.

Vivons-nous dans le même monde que nos néoprogressistes ? Ne voient-ils pas, comme nous, le pistolet braqué sur la tempe de celui dont la marche s’apprête à dévier du chemin goudronné par la doxa ambiante ? N’ont-ils pas assisté, comme nous, au spectacle macabre de ces réputations broyées par les meutes d’aristarques auto-proclamés ? Oseraient-ils aller dire aux collègues enseignants de Samuel Paty à qui l’on prie — encore maintenant, après la décapitation — de « ne pas faire de vagues », que le wokisme est un fantasme ? Car, oui, la tyrannie des minorités est l’une de ses chevilles ouvrières. Margherita Romengo mentionne la « justice sociale » comme remède à la situation ; peut-être mais pas n’importe quelle justice sociale : car c’est trop souvent par l’utilisation de cette notion que l’individu se victimise et que le corps social se fragmente davantage.