Même si Xi Jinping tient la Chine d’une main de maître, il est possible que la situation dégénère

Hugues Eudeline, directeur de recherche à l’Institut Thomas More

21 décembre 2022 • Entretien •


Après des manifestations d’envergure, Pékin a levé la plupart des restrictions sanitaires en vigueur. Pour Hugues Eudeline, malgré cet assouplissement, la situation économique compliquée du pays pourrait pousser les urbains chinois à descendre à nouveau dans la rue.


Après trois ans de stratégie sanitaire extrêmement sévère, appelée zéro-Covid, la Chine a largement assoupli ses mesures depuis début décembre. Est-ce davantage dû à la mobilisation historique contre la politique de Pékin qu’à la situation économique du pays ?

La mobilisation contre le système politique est due à la situation économique du pays, donc les deux sont vraiment liés. Les dernières nouvelles économiques sont particulièrement mauvaises. Les exportations et les importations de la Chine se sont contractées à un rythme beaucoup plus soutenu que pendant les années précédentes du fait d’une demande extérieure qui diminue et de l’aggravation de la crise du Covid. La baisse des exportations est particulièrement grave parce que leur baisse intervient en pleine période de Noël, un moment où l’activité exportatrice est normalement particulièrement importante. L’équilibre social de ce pays repose sur un consensus, le pouvoir permet aux Chinois de gagner de l’argent de manière capitalistique, à condition qu’ils ne fassent pas de politique et ne touchent pas au parti communiste. Or là, les mouvements sociaux critiquent ouvertement le parti.

Ce consensus est à la base de la grande réussite du Parti communiste chinois depuis Deng Xiaoping jusqu’à aujourd’hui. Cette croissance économique phénoménale – et la stabilité sociale qu’elle génère – semble actuellement entravée. Elle devrait être de l’ordre de 3% en 2022 au lieu des 5 à 6% espérés.

Pour Pékin, le risque politique prime-t-il sur le risque sanitaire ?

La Chine est un pays qui a connu de nombreuses révoltes extrêmement dures dans son histoire. Or, la réflexion des dirigeants chinois s’inscrit toujours dans le temps long. Ils considèrent l’histoire, car ils savent que, si elle ne permet pas de prédire l’avenir, elle l’éclaire. Aussi les dirigeants savent très bien qu’une fois que les révoltes sont déclenchées, elles peuvent devenir très importantes et gêner, voir mettre à bas le pouvoir.

En cédant à la rue, le régime chinois ouvre-t-il une boîte de Pandore ? Peut-on s’attendre, dans les prochaines années, à davantage de mouvements sociaux contre le régime ?

Le risque que ces mouvements se multiplient en Chine est quand même limité. Le système de contrôle de la population est très perfectionné, très efficace, aussi je pense qu’ils ne laisseront rien dériver. Cependant, il est clair que la population et en particulier les jeunes diplômés sont très mécontents. Ces derniers ont beaucoup de difficultés à trouver du travail actuellement, du fait du ralentissement de l’économie. Plus de la moitié de ceux qui l’ont été cette année n’ont pas été embauchés. Les gens travaillant moins, l’économie s’affaiblit. C’est un cercle vicieux.

Quant à savoir si c’est dangereux pour les dirigeants, il faut considérer que le président n’a jamais eu autant de pouvoir qu’il n’en a actuellement. Il tient d’une main ferme les rênes du pays, et je vois mal ce qui pourrait faire bouger les choses face à une telle capacité de puissance en interne.

Vous citez les jeunes diplômés, est-ce les jeunes qui pâtissent le plus de la situation économique du pays ?

Oui probablement, bien que l’ensemble des travailleurs pâtissent de la fermeture des entreprises et de la récession économique. Il n’y a pas de sécurité sociale en Chine, aussi, même si l’État fournit de quoi se nourrir aux gens ils sont coincés chez eux. On peut comprendre qu’ils ne soient pas particulièrement heureux d’une situation qui s’éternise, en particulier les jeunes gens. Et ce sont eux qui sont, comme partout, les plus prompts à réagir, éventuellement de manière violente.

Est-ce que l’hétérogénéité sociale des manifestations, qui mêlent les jeunes diplômés et les ouvriers d’usine, les habitant des villes et des campagnes, n’a pas contribué à inquiéter le pourvoir chinois ?

Je pense qu’il n’y a pas beaucoup de risque dans les campagnes, parce que ce sont des populations moins nombreuses que dans les grandes villes. Cependant, le nombre de villes de plus d’un million d’habitants étant très important en Chine, de nombreux foyers pourraient être gagnés par les mouvements sociaux.

Je ne pense pas que l’on puisse encore parler de révolte, plutôt d’un mécontentement exprimé. Mais cela peut dégénérer, il ne faut pas oublier que le président XI Jinping avait promis de sortir l’ensemble du pays de la pauvreté à l’échéance 2020. Il n’a clairement pas tenu sa promesse. De plus, les Chinois savent que les mesures qui ont été prises contre l’épidémie dans le reste du monde n’ont pas été aussi drastiques qu’en Chine et que l’économie de la plupart des pays fonctionne à présent à plein régime, ce qui n’est pas le cas du leur.

En Chine, d’aucuns dénoncent un tour de passe-passe politique d’un régime changeant de pied abruptement, sans assumer ses responsabilités. Partagez-vous ce constat ?

Les régimes chinois ont souvent changé de pied et sans jamais avoir dû s’en expliquer. Lorsque l’on a la puissance pour soi, on n’a aucun problème pour changer de direction à son gré. Pour le moment, le pouvoir réagit seulement à un problème de politique intérieure. Il peut le faire au besoin avec beaucoup de violences, comme on l’a vu dans un certain nombre de provinces par le passé (Tibet) ou actuellement (Xinjiang).

Ce que je crains personnellement, c’est que la crise ne se développe encore plus, et que, pour détourner l’attention des difficultés intérieures, dans la ligne du discours présidentiel du 16 octobre lors du XXe congrès du Parti communiste chinois, Xi Jinping ne décide d’utiliser la force contre Taïwan. Privilégier des opérations extérieures pour faire oublier les problèmes internes en flattant la fibre nationaliste. Bien sûr, cela n’est pas certain malgré la récente crise du détroit de Taïwan et même si le président a rappelé lors de son discours « nous ne promettrons jamais de renoncer à l’usage de la force de Taïwan ». L’exemple de la Russie en Ukraine incite probablement les stratèges chinois à aborder la planification d’une opération extérieure d’envergure avec beaucoup de prudence. Tout dépendra du degré d’exaspération de la population.