Bruxelles dicte-t-elle la réforme des retraites ?

Sébastien Laye, directeur de recherche à l’Institut Thomas More

11 janvier 2023 • Opinion •


L’Union européenne s’est construite, sur le plan économique, en s’inspirant de l’ordolibéralisme allemand, estime Sébastien Laye. Et la France a toujours considéré Bruxelles comme un catalyseur de ses réformes, ajoute-t-il.


Le constat est bien connu que celui de nos finances publiques qui sont devenues exsangues. Après deux années de relâchement compréhensibles en 2020 et 2021 face au Covid, le budget 2022 a atteint 4,9% du PIB et celui de 2023 a été voté à 165 milliards d’euros, soit environ 5% du PIB attendu, sur la base d’une prévision de croissance de 1% déjà erronée (nous serons à peine positifs…). Notons que le sujet n’est pas nouveau, et avant le Covid, la France était incapable de respecter les fameux critères de Maastricht, avec même en 2019 un déficit effectif de 3,1%…

On peut s’en lamenter ou pas compte tenu de l’inanité, dans le détail, de ce cadre maastrichtien mais force est de constater que le laxisme budgétaire est la norme en France depuis vingt-cinq ans et que le rythme de la gabegie s’accélère – du fait aussi des difficultés exogènes et non uniquement du gouvernement. Or l’Union européenne fut construite, économiquement, sur l’ordolibéralisme allemand, qui s’accommode mal du laxisme budgétaire, même si avec la pandémie et l’expansionnisme monétaire de la BCE, le compromis fut de mise.

Mais clairement, à Berlin comme à Bruxelles, les faucons sont de retour. Et quand on voit le fardeau que nous allons faire payer à nos enfants, comment ne pas être d’accord avec eux ? Il faut réduire notre dépense publique et comprimer nos déficits. La France a donc toujours envisagé la pression bruxelloise comme un catalyseur de réformes, sur l’assurance chômage, le droit du travail, les retraites. Mais allons-nous vraiment économiser de l’argent public avec cette réforme ?

Après avoir perdu quelques années à tenter d’imposer une vague réforme systémique (retraites à points), le président Macron s’est tourné vers une réforme paramétrique, qui prolonge les réformes Touraine et Woerth, avec un report de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans très progressif (par trimestre, avec 63 ans en 2027 et 64 ans en 2032), mâtinée d’une durée maximale de cotisations de 43 ans. En pratique, chaque report d’une année fait gagner dix milliards d’euros aux finances publiques. Comme en réalité tout le monde ne partait pas à 62 ans, qu’il y a aussi le sujet de régimes spéciaux traités par la clause du grand-père, d’ici 2032 nous devrions plutôt économiser presque 30 milliards par an. Ce n’est pas rien mais il faut attendre presque dix ans et les chiffres de certaines dépenses donnent le tournis : le bouclier tarifaire plus de 50 milliards d’euros, le chômage partiel 70, même la reprise de la dette SNCF plus de 30, etc. Nous sommes loin d’une réduction systémique de la dépense publique.

Par ailleurs, pour arracher cette réforme, lors des discussions avec les partenaires sociaux ou politiques, Élisabeth Borne a dû faire deux concessions : sur la pénibilité et sur les retraites minimales ; ce dernier point assurerait à toute personne ayant travaillé au moins 1 200 euros par mois de retraite, pour marquer la différence avec l’ASPA (allocation de solidarité aux personnes âgées), le nouveau minimum vieillesse. Mais cette concession a un coût. Il est prévu d’aller ponctionner la caisse des accidents du travail, qui elle-même pourra relever les cotisations employeurs : plus de charges sociales donc, un État qui remet à la poche… la fin par clause du grand-père des régimes spéciaux comme celui de la RATP va-t-elle s’accompagner aussi de coûteuses concessions ? Allons-nous voir de nouvelles dépenses sociales émerger pour contrer les manifestations et acheter la paix sociale ?

Nous avons le précédent de la réforme Woerth. En théorie, elle aurait dû nous faire économiser vingt milliards d’euros mais les économistes ne retrouvent pas ce solde comptable du fait des nombreuses concessions. Le bilan comptable est mitigé. Ainsi, on ne doit pas attendre un bouleversement (positif) des finances publiques de cette réforme des retraites. Trop éloigné dans le temps (2032), accompagné de nombreuses concessions coûteuses, le projet en lui-même n’est pas susceptible de changer la donne. Mais, couplé à la prochaine réforme de l’assurance chômage, il envoie un signal à Bruxelles : un signal malheureusement déformé par le vote du budget 2023, comme si on acceptait de faire quelques économies dans le futur, mais pas au temps présent.