Le « quoi qu’il en coûte » aura été une aubaine scandaleuse pour le CAC40

Sébastien Laye, directeur de recherche à l’Institut Thomas More

23 mars 2023 • Opinion •


Pour Sébastien Laye, directeur de recherche à l’Institut Thomas More, le « quoi qu’il en coûte », mis en place par Emmanuel Macron durant la crise du coronavirus profite principalement aux grandes entreprises, au détriment des ménages.


La singularité est consubstantielle à la culture française, au point d’avoir porté sur les fonts baptismaux l’expression idiomatique « exception française ». En matière économique, plus nous nous sommes enfoncés dans l’échec, plus de nouvelles illusions économiques ont fait leur apparition. Ainsi, entre État-Providence classique et économie libérale, le gouvernement français a inventé un Robin des Bois à l’envers d’un genre nouveau, avec un Corporate Welfare, un État-providence pour les grandes entreprises, comme l’ont qualifié Maxime Combes et Olivier Petitjean.

Considérons en effet les mécanismes d’aides durant la pandémie et face à l’inflation (suscitée par des erreurs monétaires) : là ou d’autres pays ont distribué des aides directes aux ménages – l’helicopter money pratiquée aux États-Unis – la France, avec son propre « quoi qu’il en coûte », a investi d’abord plus de 100 milliards pour le chômage partiel et les aides aux entreprises lors de la crise du Covid-19. À ce moment-là, le raisonnement était d’aider les entreprises à garder leurs employés.

Perte de pouvoir d’achat

Depuis le début de la période inflationniste, fin 2021, au lieu de tarir à la source les tensions sur les prix en favorisant l’augmentation des productions ou en faisant tout pour augmenter les salaires ou le pouvoir d’achat direct, on s’est contenté d’utiliser la technique du bouclier tarifaire. L’État ne tente pas indirectement d’influencer les prix, il les accepte tels quels et finance une partie du prix pour le consommateur : rien que pour l’énergie, un coût de 110 milliards d’euros et qui devrait, toutes aides confondues et d’ici la fin de la période inflationniste, atteindre les 200 milliards d’euros. On notera que ces dépenses colossales, véritables tonneaux des Danaïdes, obèrent toutes réformes ou investissements publics significatifs (avec des déficits encore votés à 5% du PIB trois ans après la crise du Covid-19).

L’ère du « quoi qu’il en coûte » inaugurée au printemps 2020 n’a que très peu profité à l’hôpital, à l’éducation et aux travailleurs essentiels. Le vrai « pognon de dingue » est celui qui a alimenté les caisses des grands groupes, pas celui qui finance les entrepreneurs ou les investissements publics. Cette injustice est flagrante lorsque l’on s’attarde sur la progression des salaires.

En période inflationniste (comme en France dans les années 1970) les salaires normalement progressent et tentent de rattraper l’évolution des prix. Or, à l’exception du SMIC et des salaires de la fonction publique (que l’État peut augmenter de son propre chef, ce qu’il a fait depuis le début de la période inflationniste), les salaires en France n’ont augmenté que de 3,7% en 2022 (quand l’inflation n’était que de 1%, soulignons que l’évolution des salaires se situait aux alentours de 1,5 à 2%), pour une inflation moyenne à plus de 6% ! La zone euro a connu en moyenne une hausse de 4,5% et les États-Unis 6% . Ce décrochage devrait se maintenir en 2023, avec une augmentation des salaires de 4% (mais attention, il s’agit d’une moyenne et, quand on enlève la fonction publique et les SMIC, on est plutôt aux alentours de 3% comme l’an dernier) et une inflation encore à 6% en moyenne : la perte de pouvoir d’achat se pérennise et fragilise la plupart des ménages.

Impact du « quoi qu’il en coûte »

Pourquoi les salaires augmentent-ils si peu en France et comment les entreprises gardent-elles un tel pouvoir de contrôle de ces salaires ? Tout simplement parce que les aides diverses de l’État prennent en charge l’inflation. Là où la mécanique économique voudrait que les salaires augmentent, permettant aux salariés de faire face au coût supplémentaire de l’inflation, c’est l’État qui finance ce surcoût des ménages pour maintenir le même niveau de consommation. On notera que cela n’influe pas sur le sempiternel débat économique sur la boucle prix-salaires : que l’argent vienne du salaire ou d’une aide d’État, dans les deux cas le maintien de la consommation engendre la hausse des prix. La différence ici est la prise en charge de l’inflation : c’est le budget de l’État et non la grande entreprise qui assume le surcoût.

Nous supportons tous un endettement public supplémentaire afin de permettre aux grandes entreprises françaises de maintenir leurs marges. Avec des marges d’environ 32%, nos grandes entreprises sont autant, voire plus florissantes aujourd’hui qu’avant le Covid-19. Elles arrivent à répercuter la hausse des matières premières sur le consommateur, mais elles ne connaissent pas d’inflation de leur masse salariale, l’État agissant comme tampon.

Le « quoi qu’il en coûte », entre le financement Covid et les boucliers tarifaires, aura gonflé artificiellement leurs marges, et aura été une aubaine scandaleuse pour le CAC40. Cette forme de crony capitalism, ou capitalisme de connivence, est unique en Occident mais assez courante en Chine, dans le secteur immobilier en particulier, ou en Russie. Au-delà des querelles idéologiques et politiciennes, on peut incriminer l’absence d’études d’impact de toutes ces mesures ou d’exercice de simulation : la précipitation et la pression de l’opinion publique semblent avoir occulté tout raisonnement sur l’usage de cet « argent magique ». Il est temps de demander une enquête parlementaire sur l’impact des mesures du « quoi qu’il en coûte ».