Genèse et rôle des porte-avions dans la géopolitique de la Chine

Hugues Eudeline, directeur de recherche à l’Institut Thomas More

Mai 2023 • Note 61 •


L’ouverture de la Chine au commerce international par Deng Xiaoping en 1978 et le remarquable essor économique qui en a résulté n’a pu se faire que par la voie maritime

Entourée de voisins terrestres dont aucun ne lui est favorable, c’est une île géopolitique. C’est en se dotant de ports autour desquels des zones économiques spéciales ont été établies que l’Empire du Milieu a pu se développer avec un taux de croissance annuel de son PIB qui a souvent dépassé 10 % et qui reste l’un des plus élevés de la planète. Les flux de matières premières et énergétiques qui alimentent ses industries et ceux des produits manufacturés qui irriguent le monde en retour empruntent des routes maritimes qui sont vitales à ces échanges. La nécessité d’une protection permanente de ses approches maritimes que sont les mers de Chine et la mer Jaune est existentielle. Elle l’assure par la plus importante flotte de garde-côtes qui soit et une milice maritime qui lui permet de jouer sur l’ambiguïté de son statut. La défense de son trafic maritime et de ses flottes de pêche sur l’océan mondial — où ses navires jouissent du principe de la liberté de navigation — partout où ils peuvent être menacés dans le monde nécessite une marine de combat à l’échelle de ses intérêts.

L’Empire du Milieu se mue progressivement en une véritable thalassocratie

La République populaire de Chine (RPC) est devenue le premier constructeur de navires marchands en 2022 et sa marine de guerre dispose de plus de bâtiments de combat que celle des États-Unis d’Amérique. Elle n’est cependant pas suffisamment équilibrée pour être la première puissance navale au monde, capable de faire face partout et sur toutes les mers à quelque adversaire qui menacerait ses intérêts. Elle manque pour cela de moyens de projection de puissance lui permettant d’agir loin et longtemps, capables de frapper à terre comme en mer. Elle manque de porte-avions et veut combler ce déficit.

La Chine développe un programme de porte-avions qu’elle mène tambour battant

L’intérêt qu’elle porte à ces bâtiments de guerre repose avant tout sur le retour d’expérience historique d’évènements particulièrement douloureux la concernant directement. Elle a été confrontée à plusieurs reprises à la puissance de l’aviation embarquée américaine sans pouvoir s’y opposer. La maîtrise de la conception qu’elle met en œuvre mêle rétro-ingénierie de technologies de toute provenance, recherche, développement et innovation créatrice. Son premier véritable porte-avions qui devrait entamer ses essais dès 2024 pourrait, s’il est réussi, être la tête d’une série qui permettrait à l’Armée populaire de libération-Marine (APL-M) de contester la maîtrise de l’océan mondial à l’US Navy et à ses alliés en 2049 au plus tard.

Une progression systémique

Comme elle le fait dans tous les aspects du domaine naval, la Chine ne s’est pas bornée à analyser les seuls aspects tactiques et stratégiques liés à l’utilisation des groupes aéronavals intégrés. Elle l’a fait également au plan technique, progressant par étapes sans chercher à en brûler, consciente de la complexité du projet et de la nécessité de maîtriser parfaitement la conception des différents segments qui les composent (bâtiment, aéronefs embarqués, escorte, logistique, etc.) d’un « carrier strike group » tels que ceux que l’US Navy met en œuvre avec efficacité depuis soixante-dix ans.

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L’auteur

Le CV (h) Hugues Eudeline est directeur de recherche à l’Institut Thomas More. Ancien officier de marine (EN 72) et ingénieur, il est docteur en histoire militaire, défense et sécurité de l’École Pratique des Hautes Études (EPHE, Paris), breveté de l’enseignement militaire supérieur français (École supérieure de guerre navale et Cours supérieur interarmées, Paris) et américain (Naval Command College, Newport) et titulaire d’un Master of Science (Salve Regina University, Newport). Précédemment chargé de cours à Sciences Po Paris, l’ESCEM et l’ICES, conférencier, essayiste, il consacre ses recherches à la géopolitique et la géostratégie de l’océan mondial. Il est en particulier spécialiste de la Chine maritime. Tant en France qu’à l’international, il publie chaque année une dizaine d’articles sur l’importance croissante du fait maritime dans le monde. Vice-président de l’Institut culturel et géopolitique Jacques Cartier, il est membre correspondant de l’Académie royale de marine suédoise. Il a reçu le prix de Stratégie maritime générale 2022 de l’Académie de marine.