Quand l’État de droit cède à l’État voyou · Le cas Olivier Vandecasteele et le traité belgo-iranien

Monseigneur Raphaël Collinet, vicaire épiscopal du diocèse de Liège

Juin 2023 • Note d’actualité 86 •


Arrêté en février 2022 pour « espionnage contre la République islamique d’Iran au profit d’un service de renseignement étranger », Olivier Vandecasteele, travailleur humanitaire de nationalité belge, a été condamné en janvier 2023, à l’issue d’un procès inique, à quarante ans de prison et soixante-quatorze coups de fouets. Rejetant la raison de son incarcération mais privilégiant la « diplomatie des otages », la Belgique a signé avec l’Iran un traité dit « de transfèrement de prisonniers » prévoyant le rapatriement d’Olivier Vandecasteele en échange d’Assadolah Assadi, un diplomate iranien condamné pour un projet d’attentat à la bombe qui devait avoir lieu à Villepinte en France. En décembre 2022, la Cour constitutionnelle avait suspendu l’accord à la suite d’un recours en annulation déposé par des opposants iraniens en exil. Le 3 mars, la Cour rejetait le recours et ouvrait la voie à la mise en œuvre de l’accord. Après que la Belgique avait introduit une demande officielle de transfèrement auprès de la République d’Iran, Olivier Vandecasteele a été libéré le 25 mai dernier. Si l’on ne peut que se réjouir de cette issue favorable, il convient de s’élever contre une telle instrumentalisation du droit et des traités internationaux dans de semblables affaires face à des États voyous.

Tout le monde, bien sûr, souhaitait la libération d’Olivier Vandecasteele, victime d’un État voyou qui ne se cache même plus de l’être. Mais pour obtenir cette libération est-il juste de conclure avec cet État – qui « n’est pas un membre honorable de la communauté internationale » comme dit le ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne – un traité international qui aura pour effet de libérer un terroriste international condamné en justice ?

La loi n’est pas faite pour régler des situations personnelles

Les éminents juristes, Anémie Schaus de I’ULB et Francis Delpérée de l’UCL, reconnaissent à la Cour constitutionnelle le droit de vérifier la constitutionnalité de la loi ratifiant ce traité et, par conséquent et indirectement, même s’ils semblent le mettre en doute, d’apprécier la conformité de ce traité avec la Constitution belge (1). On ne peut en effet raisonnablement distinguer le traité de la Ioi qui autorise son application. L’arrêt de suspension de la Cour constitutionnelle de décembre dernier le précise : « Le contrôle de constitutionnalité d’une loi d’assentiment à un traité international ne peut être utile que s’il tient compte du contenu des dispositions pertinentes de ce traité » (B.3.I). « L’assentiment à un traité international est un acte indivisible par lequel le pouvoir législatif marque son accord sur l’ensemble des dispositions de ce traité » (B.29) (2).

En revanche, ces deux professeurs estiment que cet examen de constitutionnalité n’est légitime que s’il se fait in abstracto et non in concreto, c’est-à-dire en fonction d’un cas particulier. Et ils font reproche à la Cour constitutionnelle de ne pas s’être tenue à cette règle dans l’examen du récent traité belgo-iranien organisant le transfert de prisonniers dans l’État d’origine de ceux-ci lorsqu’ils n’y sont pas détenus. « Ici, écrit Anémie Schaus, la Cour analyse le traité au regard de la situation d’Olivier Vandecasteele, détenu en Iran et de son échange avec Assadollah Assadi, détenu en Belgique pour faits de terrorisme. » « Je n’ai jamais vu, écrit-elle, un arrêt où l’on analyse « in concreto » la portée d’une convention internationale » (3).

Mais le reproche fait en l’espèce à la Cour constitutionnelle n’est-il pas celui que l’on peut, bien plus légitimement, adresser à la loi qui a proposé et fait ratifier le traité litigieux. Les discussions au Parlement le disent explicitement : le traité n’a été présenté à la ratification que dans « le seul but » et comme « le seul moyen » de faire libérer un travailleur humanitaire belge (et certains autres ?), otage de Téhéran pendant un an. De cela tout le monde convient. Téhéran, en effet, a coutume d’emprisonner, le plus souvent sous le prétexte fallacieux d’espionnage, des Occidentaux que le gouvernement utilise ensuite comme monnaie d’échange de ses terroristes justement et légitimement condamnés au terme d’un vrai jugement dans le pays de leurs faits.

La loi, comme les traités, règle des situations générales. Elle est par définition libellée in abstracto conçue abstraitement pour rencontrer des situations préalablement définies. Il serait dès lors hors de propos et abusif qu’elle veuille régler des cas individuels, des situations personnelles. Et ce qui vaut des lois vaut aussi des traités internationaux. N’a-t-on jamais vu des traités établis dans l’intérêt d’une personne ? Il est donc normal d’examiner in abstracto des lois et des traités qui sont rédigés de cette façon comme devant s’appliquer à un ensemble de cas prédéfinis. Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit ici. En effet nous sommes en présence d’un traité et d’une loi rédigés et voulus pour résoudre un cas particulier, celui d’Olivier Vandecasteele (et d’autres détenus comme nous l’avons appris il y a peu). Comment juger in abstracto ce qui a été conçu in concreto ?

Avec l’appui d’un parlement d’ailleurs profondément divisé, le gouvernement belge a en effet fait ratifier un traité, dans le but unique de libérer une ou des personnes condamnées sans motif ni raison en Iran. Peut-on reprocher à la Cour constitutionnelle d’avoir soulevé ce motif ? D’avoir analysé concrètement un traité rédigé dans un but concret ? D’avoir mis en balance la situation d’Olivier Vandecasteele avec celle, tout aussi particulière, d’autres personnes plus nombreuses, toute une population iranienne réfugiée en Belgique et potentiellement victime de l’Iran, et des terroristes qu’elle entretient dans le monde comme c’est le cas d’Assadollah Assadi et de ses émules ?

Le ministre compétent, Vincent Van Quickenborne, l’a d’ailleurs reconnu : « Il est peu probable que les personnes de nationalité iranienne condamnées et emprisonnées en Belgique en raison de « faits de droit commun » consentent à un transfèrement vers leu’ état d’origine » (B.20.3.). C’est reconnaître explicitement que le traité, ainsi que la loi du 30 juillet 2022 qui le propose à l’assentiment du Parlement, soient indissociables des cas personnels d’Olivier Vandecasteele et d’Assaddollah Assadi. Le traité belgo-iranien n’existe qu’en fonction de ce but particulier, il sera sans effet au-delà. De cela, personne ne doute, pas même les auteurs du traité.

L’amnistie pour des actes de terrorisme n’est pas envisageable

La Cour constitutionnelle a pris la décision de suspendre le traité belgo-iranien en estimant, notamment, qu’il violait l’article 2.1 de la Convention européenne des droits de l’Homme. Cet article dispose que « le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi (…) » (4). Valeur fondamentale des États démocratiques, « ce droit, d’après la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, oblige chaque état à prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes. Cette obligation vaut aussi à l’égard des personnes qui ont été confrontées à un risque imminent pour leur vie, même si elles n’ont pas été blessées » (B.16.2.). Elle implique aussi le devoir, pour chaque État, « d’exécuter sans délai les jugements définitifs » intervenus (B.16.3.). L’exécution d’une peine infligée dans le cadre du droit à la vie doit être considérée comme faisant partie intégrante de l’obligation de l’État en vertu de cet article 2.

On ne voit pas, sur ces fondements, comment la protection de la vie pourrait être assurée si l’on relâche un criminel d’état, un terroriste désigné comme tel par la communauté internationale et condamné à ce titre. La Cour européenne des droits de l’homme, et la Cour Constitutionnelle à sa suite, relèvent la particulière gravité des actes de terrorisme. Ils constituent « une menace pour la paix et la sécurité internationale » (B.17.). Vu leur gravité, ils ne sont pas susceptibles, en cas de transfèrement de détenus, de faire l’objet d’une amnistie ni d’une grâce.

En conséquence, la Cour constitutionnelle estime que le traité belgo-iranien viole la Constitution et les obligations internationales de la Belgique en prévoyant explicitement, en son article 13, qu’Assadollah Assadi, auteur d’actes de terrorisme, et inscrit, par l’Union européenne, sur la liste des terroristes internationaux, pourra bénéficier en Iran de l’amnistie pour les actes de terrorisme qu’il a commis avec le soutien et l’assistance de l’Iran lui-même : actes terroristes pour lequel il a été condamné par un jugement devenu définitif. L’amnistie envisagée par le traité effacerait la sanction encourue. Elle serait d’autant plus choquante qu’elle serait accordée par un État complice du crime d’Assadollah Assadi, agissant sous ses ordres, contre la communauté iranienne exilée en Europe.

Personne ne doute qu’une fois transféré en Iran, ce criminel bénéficiera de l’amnistie. Il n’y accomplira jamais le reste de la peine encourue pour son crime comme le droit international l’exigerait. La Cour constitutionnelle le reconnaît explicitement : « La Belgique sait, ou doit savoir que si, en exécution du traité du 11 mars 2022, l’Iran et celle-ci s’accordent sur le transfèrement sur le territoire de l’Iran d’une personne de nationalité iranienne qui a été condamnée par les cours et tribunaux belges, pour avoir commis, avec le soutien de l’Iran, une infraction terroriste en vue d’attenter à la vie d’autrui, l’Iran n’exécutera pas cette peine en application de l’art.13 de ce traité » (B.21.).

Il n’est pas crédible de laisser dire qu’Assadollah Assadi pourrait être emprisonné lors de son retour en Iran, un pays qui a soutenu et voulu ses crimes, comme il est tout à fait inimaginable de penser qu’Olivier Vandecasteele de retour en Belgique pourrait être placé sous bracelet électronique. Parler ici d’une simple hypothèse relève du mensonge que l’on se fait à soi-même.

Un arrangement revêtu des oripeaux du droit

Anémie Schaus et Francis Delpérée ne pouvaient ignorer les pressions et les menaces que subissent les Iraniens qui ont fui la dictature de leur pays. On doit louer le sens humanitaire qu’ils témoignaient dans leurs contributions à l’égard d’Olivier Vandecasteele, on doit regretter que ce sentiment s’arrête chez eux à son cas et ne s’exerce plus vis-à-vis des réfugiés iraniens.

Le traité signé par la Belgique et la loi qui l’entérine n’ont que l’apparence d’un traité et d’une loi. Ce ne sont qu’arrangements, habillés en loi et traité, pour régler une situation particulière ; cet arrangement n’est guère acceptable en ce qu’il met sur le même plan le crime et l’innocence et que pour préserver l’innocence, il entend exempter du crime, céder au chantage dont il est issu : un arrangement qu’à raison refusent de prendre les autres États concernés confrontés au même problème que la Belgique. l’Iran, en effet, détient aujourd’hui quelque dix-sept otages occidentaux dont des Français et des Américains.

Lorsque de semblables traités d’échange de prisonniers sont envisagés c’est pour permettre que la peine prononcée — et en principe maintenue — soit appliquée de manière à mieux assurer une possible réinsertion du condamné. Ils ne sont pas envisagés pour lui permettre d’échapper à la condamnation prononcée. Et c’est encore plus évident en matière de terrorisme. C’est précisément ce qui se passera en cas de transfert en Iran d’Assaddollah Assadi, un terroriste agissant avec le soutien de l’Iran. La Cour constitutionnelle en le précisant ne fait qu’énoncer une évidence qui n’échappe à personne. Pour l’Iran, c’est même le but du traité. C’est la porte ouverte à de nouveaux actes de terrorisme perpétrés contre l’opposition iranienne.

On invoque ici le fait que le risque encouru par les dissidents iraniens résidant en Belgique ou en Europe ne serait que potentiel alors que le risque encouru par Olivier Vandecasteele serait quant à lui bien réel. Le risque couru par les dissidents iraniens de Belgique n’est pas moins réel que celui qui était couru par Olivier Vandecasteele. Il n’est potentiel qu’in abstracto, mais concrètement, il est bien réel et de tous les jours. C’est par la violence que le gouvernement iranien règle le sort de ses dissidents de l’intérieur, une violence qui va jusqu’à de nombreuses mises à mort — on le constate dans la manière dont est réprimée quotidiennement toute velléité de contestation du régime iranien — et c’est de la même façon qu’il se permet de réprimer ses opposants réfugiés hors de ses frontières et continuellement soumis par lui à des pressions, des menaces sur les familles restées au pays, des représailles qui vont jusqu’aux enlèvements, aux attentats, aux meurtres.

Le cas d’Assadollah Assadi est à cet égard significatif. Avec l’appui et l’aide de son gouvernement ce « diplomate » terroriste, basé semble-t-il en Autriche, avait planifié, en France, un attentat à la bombe visant un rassemblement d’Iraniens dissidents. Cet attentat, déjoué in extremis, aurait fait des dizaines de victimes. Arrêté en Belgique, en 2018, il a été condamné, en février 2021, à vingt ans d’emprisonnement par le tribunal correctionnel d’Anvers.

Le formalisme du droit contre la « décence ordinaire »

On nous dit que tout ceci doit s’apprécier en droit, et seulement en droit formule que Francis Delpérée répète comme un mantra dans son article, en ajoutant que puisqu’une loi (belge) existe, elle se doit d’être appliquée sans autre considération morale ou d’opportunité (5). Mais précisément, on ne peut mettre n’importe quoi sous le vocable « droit » et « loi ». Et la Cour constitutionnelle a eu raison de le rappeler dans son premier arrêt. On ne peut se résoudre à une conception formaliste du droit et de la justice. C’est au nom de cette conception formaliste du droit que les atrocités du vingtième siècle ont été commises, et c’est en son nom encore que l’Iran, ce pays du mensonge et de la malveillance, enferme des innocents sans raison ni justice mais après « un jugement » tout formel qui n’est que mascarade. La Cour constitutionnelle, dans un premier temps, a justement rappelé au gouvernement belge que tout ne pouvait s’appeler « droit » et « loi » et que la Belgique avait souscrit à des obligations internationales qu’elle se devait de respecter. Elle lui a rappelé qu’il y avait des choses qui ne se faisaient pas, qu’une « décence ordinaire » devait être respectée.

Par ailleurs, la lecture de ce premier arrêt de suspension montre bien que la Cour constitutionnelle a agi en droit, son argumentation est essentiellement juridique. La libération d’Assadollah Assadi à la suite de ce pseudo traité, c’est l’assurance donnée à l’Iran de pouvoir impunément commettre ses crimes futurs. Et le verra-t-on alors demander, en application du traité, la libération des auteurs de ces crimes, auteurs qu’il aura lui-même commandités, en s’assurant auparavant de quelques otages belges si nécessaire ?

On nous dit encore qu’Assadollah Assadi condamné à vingt ans de réclusion en février 2021 serait « libérable » en 2025, soit au tiers de sa peine si l’on tient compte de sa détention préventive (2018). Être libérable, ce n’est pas « devoir » être libéré. La libération conditionnelle comme son nom l’indique est soumise à des conditions. Elles se doivent d’être respectées. La libération d’un otage innocent ne peut en tenir lieu. Par ailleurs, il y a lieu dans un état de droit de respecter les décisions du pouvoir judiciaire. La Belgique entendait ici passer outre. Ce n’est pas acceptable. On s’étonne qu’Assadollah Assadi n’ait pas jugé bon de faire appel du jugement qui le condamnait à 20 ans de réclusion. Est-ce déraisonnable de soupçonner qu’il le jugeait inutile, assuré qu’il était par son gouvernement que le gouvernement belge, dès le départ, était d’accord de le libérer rapidement, avant qu’une décision d’appel puisse intervenir et ce au mépris de la décision judiciaire prononcée ? Ce n’est pas acceptable.

Tout un mouvement se dessine dans notre pays pour soutenir ceux et celles, des femmes principalement, qui, en Iran, se révoltent contre le régime tyrannique des mollahs. Qui ne voit cependant qu’il y a contradiction à vouloir, d’une part, soutenir ce mouvement et exiger, d’autre part, la libération d’Assadollah Assadi, un meurtrier à la solde de la dictature iranienne. On ne peut dénoncer le crime d’un côté et exempter les criminels de toute sanction de l’autre. On peut, et peut-être le doit-on, traiter avec des États voyous, mais certainement pas si c’est pour encourager leur politique criminelle. Et il devrait être clair que céder au chantage, c’est ne rien résoudre. C’est même l’encourager.

Des arguments indigents en faveur du traité

On reste stupéfait de lire dans la défense du gouvernement belge que donner satisfaction aux requérants, à savoir la communauté iranienne de Belgique et d’Europe, reviendrait à « privilégier des intérêts particuliers au détriment de l’intérêt général » (A.4.). En quoi la libération d’Olivier Vandecasteele, seul objet du traité, relèverait-elle de l’intérêt général, en quoi le sort d’iraniens ne serait-il que d’intérêts particuliers ? L’intérêt général, n’est-il pas que des décisions de justice soient respectées et non méprisées ou que des terroristes d’État soient mis hors d’état de nuire ? « Quels messages, déclare Me Tulkens, avocat d’une dizaine de requérants dont le Conseil national de la résistance iranienne (CNRI) (6), vont entendre tous ceux qui ont contribué à la condamnation d’Assadi : services de renseignement, policiers, juges, si demain ce meurtrier est libéré à l’initiative du gouvernement. Le dénigrement de fait de la justice et de ses décisions est-il devenu d’intérêt général ? » On reste également stupéfait lorsque cette même défense compare les meurtriers de Zaventem à Assaddollah Assadi. Alors que les premiers avaient utilisé quelques 60 kilos de TATP, le second comptait n’en utiliser que 500 grammes : argument dérisoire…

Quant à accuser l’opposition iranienne de vouloir instrumentaliser la Cour constitutionnelle et se substituer au Parlement belge, c’est ridicule. Il s’agit d’un pur effet de manche où se complaisent certains avocats en mal d’arguments. Interroger la justice, est-ce vouloir s’y substituer ? Interroger la validité d’une loi, est-ce vouloir se substituer au Parlement ? Un autre avocat laissait entendre que, n’étant pas faite de « citoyens belges », l’opposition iranienne devrait se taire. Seule sa bonne intention, la libération d’Olivier Vandecasteele, peut l’excuser d’avoir l’esprit à ce point rétréci.

On ne peut que constater le peu d’arguments développés par les défenseurs du gouvernement. Ils se résument en ceci : Olivier Vandecasteele était incarcéré sans motif en Iran, il est Belge, l’État doit protéger ses ressortissants. Le traité est le seul moyen pour qu’il soit libéré, il n’y en aurait pas d’autres. Est-ce suffisant ? C’est à bon droit et en droit que la Cour constitutionnelle avait suspendu le traité négocié par le gouvernement belge. Ce traité est de fait inacceptable (7).

Une démarche qui affaiblit la consistance et la cohérence du droit

La suspension du traité, encore qu’elle soit fondée sur le plan juridique, n’aurait évidemment pas résolu « le problème humanitaire ». On doit même se demander, dans le cas concret, s’il peut être résolu sur le plan juridique. Le brigandage iranien, comme l’agression russe en Ukraine, ne peut guère faire l’objet d’une solution juridique qui tienne debout, sauf à leur donner, quelque part, une apparence de justification. On peut se demander si l’erreur n’a pas été de traiter juridiquement un problème non juridique.

Avec le cas d’Olivier Vandecasteele, nous sommes en dehors du droit, dans l’extra juridique et c’est de manière extra juridique qu’il convient sans doute de traiter le problème et de le résoudre. Ceux qui soutiennent le traité belgo-iranien se font du droit une conception purement technique. Ce ne serait qu’un pur moyen susceptible d’habiller n’importe quelle situation. C’est aussi le cynisme de certains responsables politiques qui disent en substance : « on décide en politique, on habille en droit ». Ce ne peut être notre conception. Le droit a au contraire une consistance, une cohérence que l’on aurait tort d’abîmer comme on le fait dans le cas qui nous occupe en appelant « traité » et « loi » ce qui ne l’est pas et ne peut l’être. Dans le cas de l’Ukraine comme dans le cas d’Olivier Vandecasteele, il n’y a pas de solution juridique aussi longtemps que l’agression demeure et qu’elle est justifiée par l’une des parties.

Les partisans du traité belgo-iranien font état de ce que les Etats-Unis comme la France pratiquent l’échange des prisonniers, des espions et autres hommes de l’ombre. Mais, à notre connaissance, ils le font de manière extra juridique et n’ont pas l’idée de justifier en droit ce qu’ils font ce qu’ils font d’ailleurs le plus souvent secrètement et non sans quelque honte rentrée.

Un traité qui conforte l’Iran dans sa voie criminelle

Lors des travaux préparatoires, le ministre compétent avait signalé que, dès l’arrestation d’Assadollah Assani en 2018, l’Iran avait exercé des pressions sur la Belgique. Le traité se voulait une réponse à ces pressions. Le fait que ce fonctionnaire iranien, à la différence de ses trois complices belgo-iraniens, n’avait pas fait appel de sa condamnation prononcée à Anvers en février 2021, semble montrer pareillement que le traité était en route et rendait inutile sa démarche d’appel. En outre, des documents secrets piratés par l’opposition iranienne révèleraient qu’Olivier Vandecasteele aurait été « victime d’un accord d’échange de prisonniers », en ce qu’un échange de signatures entre les représentants belges et iraniens serait intervenu le 31 mai 2021. Cet accord concernerait un échange de prisonniers, l’Iran voulant rapatrier Assadollah Assadi (8).

Devant le Parlement, le ministre compétent avait signalé que le traité avait peu de chance de s’appliquer aux vingt-cinq prisonniers iraniens de droit commun détenus en Belgique, laissant ainsi entendre qu’il ne s’appliquerait qu’aux détenus politiques. Olivier Vandecasteele en était le seul représentant. Et l’on constate encore que le traité belgo-iranien a été conclu le 11 mars 2022, un mois après la détention arbitraire d’Olivier Vandecasteele en Iran (février 2022). Toute cette précipitation semble bien montrer que tant le traité que la loi d’assentiment ont été pensés, voulus pour résoudre d’abord un cas particulier, celui d’Olivier Vandecasteele. Et la Cour constitutionnelle l’avait bien relevé dans son arrêt du 8 décembre 2022. On aurait gagné du temps à ce qu’elle le confirme.

Lors des discussions au Parlement, le ministre Van Quickenborne avait d’ailleurs déclaré lui-même que ce qui devait « avant tout peser dans la balance était le sort des citoyens belges innocents qui sont pour le moment emprisonnés en Iran, comme otages d’un régime autoritaire ». Dans l’exposé des motifs de la loi d’assentiment, il était signalé que les traités de transfèrement (il y en aurait 74 signés par la Belgique) étaient envisagés en fonction du nombre de personnes disposant d’une nationalité étrangère parmi la population carcérale et du nombre de ressortissants belges détenus à l’étranger. Ce critère ne se vérifie pas ici, si l’on considère que les 25 iraniens détenus en Belgique pour des délits de droit commun n’ont, de l’aveu même du ministre, aucun désir d’être transféré en Iran et qu’Olivier Vandecasteele est le seul Belge détenu et condamné actuellement en Iran.

Si ce traité a été négocié, c’est, de l’aveu même du ministre, pour répondre « à certaines menaces de l’Iran contre les intérêts de la Belgique… menaces qui se sont accentuées depuis l’été 2018 et qui se sont concrétisées par l’arrestation et la détention d’un ressortissant belge le 24 février 2022 ». Le ministre déclarait aussi s’appuyer sur l’avis des services de la sûreté nationale estimant que le traité pourrait mieux protéger les 209 citoyens belges (ils sont le plus souvent binationaux) œuvrant en Iran et potentiellement menacés d’enfermement. Bien que le ministre s’en soit défendu, on ouvre ici la porte à la diplomatie des otages. Par ailleurs l’application du traité aux binationaux, qui constituent l’essentiel des 209 personnes citées comme potentiellement menacées, est sujet à débat puisque l’Iran ne reconnaît pas la double nationalité.

Peut-on faire un traité pour tenter de répondre aux actions criminelles d’un État sans quelque part donner une caution à celles-ci ? Et suffit-il de dire que telle n’est pas l’intention pour qu’il en soit autrement ? Rappelons que la Belgique est le seul pays à avoir conclu un tel traité avec l’Iran, « principal sponsor du terrorisme » dans le monde, comme l’avait qualifié jadis un secrétaire d’État américain. Est-ce raisonnable ? On entend le ministre fanfaronner que « la Belgique n’a de leçon à recevoir de personne ». S’il le dit… Mais ne touche-t-on pas ici à quelque ridicule ?

Le ministre estime que la voie du traité était la seule admissible dans un État de droit. Il se trompe et tous les États civilisés se passent de cet instrument pour libérer leurs otages détenus arbitrairement par l’Iran. Et ce n’est pas pour cela qu’il y a lieu de les considérer comme des « marchands de tapis ». Traité ou pas, avec l’Iran, tous les gouvernements seront contraints de marcher dans une boue criminelle. C’est pourquoi loi et traité n’ont pas de place ici, sauf à conforter les États voyous et à participer de leur politique criminelle, sauf à se prévaloir d’une apparence de légalité. Mais qu’est-ce qu’une légalité apparente sinon un mensonge ?

Reste à se féliciter de la libération d’Olivier Vandecasteele et à prier pour les Iraniens qui meurent et vont mourir en Iran, comme en dehors de leurs frontières. À ce jour, ce sont cinq cents personnes opposées au régime iranien qui, dans le monde, ont été assassinées par des terroristes commandités par l’Iran. Sur ces cinq cents personnes, cinquante l’ont été en Europe. Le traité ne peut qu’encourager l’Iran à poursuivre dans cette voie. Difficile de voir ici « un réel espoir ».

Notes •

(1) Voir Annemie Schaus, « La Cour constitutionnelle peut protéger le droit à la vie d’Olivier Vandecasteele », Le Soir, 8 février 2023, disponible ici et Francis Delpérée, « Faut-il libérer un terroriste pour sauver Olivier Vandecasteele ? », La Libre Belgique, 18 janvier 2023, disponible ici.

(2) Cour constitutionnelle, arrêt n°163/2022, 8 décembre 2022, disponible ici.

(3) Annemie Schaus, art. cit.

(4) Conseil de l’Europe, Convention européenne des droits de l’homme, disponible ici.

(5) Francis Delpérée, art. cit.

(6) « Le sort d’Olivier Vandecasteele est entre les mains des juges de la Cour Constitutionnelle », La Libre Belgique, 15 février 2023, disponible ici.

(7) Il semble évident en revanche que le revirement de la Cour dans un deuxième temps a été motivé par des pressions et des considérations pratiques qui n’ont plus de justification juridique. Le pragmatisme a gagné.

(8) « Olivier Vandecasteele victime d’un accord qui aurait capoté ? Ce que révèlent des documents secrets qui ont fuité », La Libre Belgique, 8 mai 2023, disponible ici.

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L’auteur de la note

Monseigneur Raphaël Collinet est vicaire épiscopal du diocèse de Liège. Ordonné prêtre à l’âge de 27 ans, il est docteur en droit civil. Il a été nommé professeur au Séminaire de Liège en 1969 et maître de conférence à l’université catholique de Louvain de 1970 à 1985. Il a été nommé vicaire épiscopal en 1979 puis vicaire judiciaire en 1986. Le 16 juillet 2020, le pape François a admis Monseigneur Collinet au nombre de ses chapelains