Service national universel : chronique d’un ratage annoncé

Marlène Giol, chercheur associé à l’Institut Thomas More

19 juin 2023 • Analyse •


Marlène Giol, auteur du rapport Le Parcours France en commun : un nouveau souffle pour l’engagement de la jeunesse, regrette l’entêtement de l’exécutif à maintenir ce dispositif. Elle y voit une tentative de réponse brouillonne et inadaptée aux enjeux que doit affronter la jeune génération, qui fragilise l’institution scolaire.


Après plusieurs années d’atermoiements sur la direction à donner au service national universel (SNU), le projet vient de connaître un énième changement de cap. Dans un entretien accordé au Figaro, la secrétaire d’État à la Jeunesse Sarah El Haïry a annoncé que le SNU allait être intégré en classe de seconde sur la base du volontariat. À partir de mars 2024, les élèves pourront réaliser le séjour de cohésion de douze jours sur le temps scolaire. Cette déclaration s’inscrit dans la longue liste d’annonces, souvent contradictoires, qui ont jalonné la mise en place du SNU depuis sa présentation en 2019.

Au gré de modifications et de rétropédalages incessants, entretenant le flou autour du dispositif, le SNU aboutit à un «stage accéléré de la citoyenneté», une mesure vidée de son contenu et dépourvue de ses ambitions initiales. Il fut d’abord question de le rendre obligatoire avant de le proposer sur la base du volontariat ; de le mettre en place pendant les vacances avant de l’intégrer au temps scolaire… Le dispositif apparaît finalement comme une nébuleuse et révèle un profond manque de vision, d’organisation et d’anticipation. Non seulement l’exécutif fait la démonstration de son incapacité à mettre en œuvre ses propres réformes (rappelons que le SNU était la clef de voûte du programme jeunesse du candidat Emmanuel Macron dès 2017) mais, pire, il parvient par son entêtement à fragiliser et déstabiliser une politique de la jeunesse qui souffrait déjà de très nombreuses faiblesses, et maintenant l’école. Dans sa version concrétisée, le SNU apparaît plus que jamais comme une tentative de réponse brouillonne, superficielle et inadaptée aux enjeux que doit affronter la jeune génération dans un contexte de crise protéiforme.

Le SNU ne peut se substituer à une politique de la jeunesse globale (logement, études, santé, alimentation). Pourtant, il mobilise attention et moyens (140 millions d’euros cette année, soit un septième du budget total «Jeunesse et vie associative»), occultant complètement les problématiques et les besoins de la jeunesse. Loin d’enrichir l’offre d’engagements déjà à disposition, le SNU vient au contraire épuiser un écosystème qui lui préexiste en absorbant et en appauvrissant les dispositifs en place. Les dernières annonces de la secrétaire d’État à la Jeunesse viennent, quant à elles, fragiliser l’école. En inscrivant le SNU sur le temps scolaire, l’exécutif lui impose un nouveau poids qu’elle ne pourra guère supporter puisqu’elle peine déjà à remplir son rôle : baisse alarmante du niveau des élèves, violence grandissante, phénomènes de communautarisme avérés, etc. Qui plus est, la mesure va perturber l’organisation du temps scolaire, mise au défi depuis de longues années par la densité des programmes. Une problématique d’autant plus importante en classe de seconde, qui se trouve déjà amputée de la moitié du dernier trimestre, organisation du bac oblige. Intégrer à cet emploi du temps la réalisation du séjour de cohésion du SNU revient non seulement à nier les difficultés qu’affronte l’école mais à les aggraver in fine.

Par ailleurs, mener une politique efficace à destination de la jeunesse ne peut se concevoir sans associer l’ensemble des acteurs qui environnent le jeune. Or, en persistant à vouloir imposer son dispositif d’en haut, le gouvernement balaye d’un revers de main les réticences – amplement justifiées – de ceux qui seront pourtant au cœur du dispositif, notamment le monde associatif et les enseignants.

Dès sa présentation en 2019, le SNU montrait de nombreuses lacunes. Son déploiement réussit aujourd’hui à l’éloigner encore plus de ses objectifs initiaux. Le gouvernement ne semble pas prendre la pleine mesure de l’enjeu qui se présente à lui. En annonçant la nouvelle mouture du SNU, Sarah El Haïry compare le séjour de cohésion à un «voyage scolaire» ! Le problème est que le SNU ne devrait pas être considéré comme un «voyage», encore moins «scolaire». Les enjeux sont tels qu’ils ne peuvent souffrir l’approximation. Il est d’usage de dire que les voyages forment la jeunesse, certes, mais à condition qu’on lui propose un horizon. Ce que ne fait absolument pas le gouvernement. Il est illusoire de croire que passer d’une salle de classe à une autre permettra de changer quoi que ce soit aux problèmes que rencontre la jeune génération. Proposer une parenthèse sans véritable ancrage dans la durée ne mènera nulle part. Il faut au contraire mettre en place un dispositif global permettant l’acquisition pérenne des valeurs de l’engagement, du service et de l’attachement à la France. Il faut agir sur le milieu de vie des jeunes, le rendre attractif et donner à chacun l’opportunité d’y jouer un rôle actif.

D’autres solutions existent, au sein même de la société. C’est pourquoi nous avons conçu le Parcours France en commun, un outil qui s’appuie sur trois principaux objectifs : garantir un socle commun à l’ensemble de la classe d’âge tout en favorisant la responsabilité et l’autonomie ; agir en profondeur grâce à la mobilisation de l’ensemble des acteurs qui environnent le jeune (famille, école, commune, associations, etc.) ; et faire le choix du temps long, sur plusieurs années, afin de laisser une empreinte réelle dans le parcours de chaque jeune Français. C’est à ces seules conditions que nous parviendrons à une solution positive et substantielle pour la jeunesse, garante du véritable esprit d’engagement et du sentiment d’appartenance à une «communauté de destin».