Israël, le Hamas et l’Occident · Le « piège » gazaoui

Jean-Sylvestre Mongrenier, directeur de recherche à l’Institut Thomas More

2 novembre 2023 • Opinion •


Depuis les massacres perpétrés par le Hamas, le 7 octobre dernier, et la réponse israélienne à ce terrorisme de masse, le terme de « piège » s’est imposé chez les commentateurs, non sans mimétisme par facilité de langage. Pourtant, la thèse d’un « piège gazaoui » mérite réflexion.


Certains parlent ainsi pour faire comprendre que les Israéliens devraient prendre sur eux et laisser impuni le terrorisme de masse, afin de se consacrer à l’élaboration d’une « solution à deux États ». Cette approche techno-pacifiste repose sur l’idée que les conflits découleraient d’un « échange raté » ; elle nie la profondeur psychologique des conflits et ce qu’est le politique, saisi dans son essence.

De fait, piège il y a, moins pour l’État hébreu, habitué à mener des guerres et des opérations dans un milieu international hostile, que pour ses alliés et partenaires occidentaux, placés en porte-à-faux. Encore faut-il s’interroger sur ceux qui ont monté ce piège. A maints égards, le Hamas apparaît comme l’exécutant d’une manœuvre d’ensemble, cela n’excluant par une certaine autonomie tactique et opérationnelle. Toujours est-il que ces « islamikazes » ont engagé une entreprise suicidaire, la réaction d’Israël, frappé dans ses intérêts vitaux, ne pouvant qu’être terrible. Ses chefs sont-ils conscients d’être instrumentalisés ?

De prime abord, on pense au régime iranien qui, patiemment, a mis en place au Moyen-Orient un dispositif militaro-terroriste, dont l’envergure panislamique dépasse les limites du « croissant chiite ». Au sein de ce dispositif, le Hamas, branche palestinienne des Frères musulmans, constitue une sorte de Hezbollah gazaouite. Selon ce schéma, le Hamas a déclenché une réaction en chaîne. Protégé par son statut de quasi-État nucléaire, l’Iran fait planer la menace d’ouvrir d’autres fronts contre Israël et ses alliés, en Irak, au Liban-Sud, à la frontière syro-israélienne, avec des répercussions dans les détroits d’Ormuz et de Bab-el-Mandeb. Ainsi Téhéran prendrait-il la direction de la région et du monde islamique.

Nul doute que la guerre ne bénéficie également à la Russie, appuyée par la Chine. Outre le fait que la guerre accapare les ressources des États-Unis, possiblement aux dépens de l’Ukraine et du détroit de Taïwan, l’axe Moscou-Pékin veut chasser les Occidentaux du Moyen-Orient, vu comme morceau d’une « Grande Asie » sino-russe. Au-delà, l’enjeu est de rallier le « Sud global » contre l’Occident, en dénonçant le « deux poids, deux mesures ». Nul besoin d’une démonstration rigoureuse : la mobilisation des haines et des ressentiments est aisée.

Il serait erroné de voir dans les jeux pervers de la Russie au Moyen-Orient un simple effet d’aubaine. D’une part, il y a longtemps que le Kremlin entretient des liens suivis avec le Hamas, le Hezbollah et d’autres organisations de ce type, avec en toile de fond un axe régional Moscou-Damas-Téhéran. Ce dispositif n’était pas destiné à remporter un concours de beauté. D’autre part, le niveau de renseignement dont bénéficiait le Hamas soulève bien des questions. La sphère politique et la société civile israéliennes seraient-elles perméables aux opérations de renseignement d’une puissance extérieure ? Une telle puissance serait-elle simultanément capable d’exciter des groupes de colons en Cisjordanie et d’inciter le Hamas à passer aux actes ? En somme, tiendrait-elle les deux bouts de la chaîne ?

Les implications du « piège » gazaoui vont au-delà, avec des répercussions sur l’unité de l’Occident, plus encore celle de l’Europe. On songe aux foules qui défilent dans les capitales occidentales, derrière le slogan « La Palestine, du Jourdain à la mer », en écho à la volonté du Hamas de détruire l’Etat hébreu, avec ses conséquences pour les Juifs du Proche-Orient. En Europe occidentale, le poids des minorités de religion musulmane pèse sur les gouvernements et les élus.

D’ores et déjà, les membres de l’Union européenne peinent à s’accorder sur les termes d’un discours diplomatique commun, certains exigeant un cessez-le-feu qui priverait Israël de son droit de légitime défense, et donc de sa souveraineté effective. A l’Assemble générale des Nations unies, ces États ont dispersé leurs voix, les uns réaffirmant leur position en faveur d’Israël, d’autres se ralliant à la « trêve humanitaire » exigée par Pékin, Moscou et plusieurs capitales de l’ex-tiers monde. Le plus navrant fut de voir Paris passer de la proposition d’une « coalition anti-Hamas » à la « trêve humanitaire », et ce sous l’enseigne d’une Initiative pour la paix et la sécurité pour tous. Déjà, certains partisans du gaullo-mitterrandisme rêvent d’un axe euro-arabe qui ferait de la France un tiers pacificateur.

Bref, il faudrait perpétuer la longue suite d’erreurs commises sur la Russie poutinienne, puis sur la Chine néo-maoïste, qui menace Taïwan. Dans le cas présent, la sécurité d’Israël et sa profondeur stratégique seraient des variables d’ajustement, avec la « solution des deux États » comme martingale. Si la diplomatie macronienne persistait en ce sens, elle diviserait l’Occident. Voyant que la France et quelques-uns des Européens considèrent la sécurité d’Israël comme le problème des États-Unis, une partie de la classe politique et de l’opinion américaines rétorqueraient que l’Ukraine est celui de l’Europe. Alors, le piège gazaoui se refermerait sur une Europe divisée, privée de son grand arrière nord-atlantique : un « petit cap de l’Asie » sous pression militaire russe, bousculé dans ses œuvres vives par les logiques moyen-orientales. Gageons que des « réseaux caucasiens » assureraient la synergie des menaces.

Aussi importe-t-il que la claire conscience des périls et de ce qui lie les nations occidentales l’emporte sur le verbe, la grandiloquence et les faux-semblants. La conservation de l’être et l’équilibre du monde sont en jeu.


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