« Les méthodes isolantes actuelles ne sont pas compatibles avec le bâti ancien »

Noé Morin, chercheur associé à l’Institut Thomas More et vice-président de La Table Ronde de l’Architecture

5 décembre 2023 • Entretien •


Noé Morin, chercheur associé à l’Institut Thomas More et qui publie la note Performance énergétique et isolation des bâtiments : vrais défis et fausses pistes, conteste l’efficacité des techniques modernes pour isoler les bâtiments, pourtant auréolés de toutes les vertus écologiques.


Vous commencez par critiquer le bilan écologique de la politique de rénovation thermique menée en France depuis plusieurs années. Mais, isoler ne fait-il pas baisser la consommation d’énergie ? Vous parlez de l’« isolation de masse » comme d’un fléau.

L’isolation thermique des bâtiments est un exemple éclatant de la manière dont l’industrie de la construction fait valoir de fausses solutions dans le but de répondre à la crise du climat par un regain de consumérisme vert. Pour pallier les mauvaises performances thermiques du béton, il est désormais nécessaire d’isoler les constructions à grand renfort d’isolants souvent chimiques comme le polystyrène et le polyuréthane. En plus d’entamer considérablement l’espérance de vie des nouvelles constructions par la mise en œuvre de matériaux aux propriétés fort différentes, ces isolants ne font baisser la consommation d’énergie des ménages que pendant deux ans, comme le souligne une étude récemment publiée par l’université de Cambridge.

Vous souhaitez favoriser les biens immobiliers existants pour conserver le patrimoine – aisé à comprendre – mais aussi pour réaliser des économies d’énergie. Les constructions neuves ne consomment-elles pas moins ?

Nous souhaitons que l’énergie grise des bâtiments, c’est-à-dire l’énergie dépensée pour leur construction, soit prise en compte dans le calcul de leur bilan carbone. De fait, la majeure partie (de 60 à 90 %) du bilan carbone des nouvelles constructions provient de leurs phases de construction et de démolition. Nous souhaitons également que la « durée de vie en bon état » des matériaux (et donc des constructions neuves) soit prise en compte. Or, cette durée de vie en bon état se raccourcit tendanciellement depuis l’introduction des structures en béton armé, des murs à cavité et des nouvelles méthodes isolantes en construction. Face à l’obsolescence de plus en plus rapide des nouvelles constructions, il appartient au législateur de donner l’avantage aux constructions existantes de conception traditionnelle qui ont fourni la preuve de leur résistance au passage du temps et aux changements de milieux.

Quelles techniques de construction recommandez-vous ?

Pour augmenter la qualité et la pérennité des nouvelles constructions, nous proposons la création d’un coefficient d’enracinement qui serait une nouvelle mesure du degré d’écologie et d’implantation locale des constructions. Il pourrait avantageusement remplacer les analyses de cycles de vie au sein de la RE2020. Il conserverait l’ambition initiale de la RE2020 en lui donnant les moyens de son ambition : pour être véritablement écologique, le bâti neuf doit être pérenne, employer des matériaux et des corps de métier locaux, s’adapter au climat et à l’identité régionale.

Une de vos solutions serait d’exempter le bâti ancien de l’obligation de DPE (Diagnostic de performance énergétique). En gros, le statu quo ?

Les constructions existantes ont ceci d’écologique qu’elles ne dépensent aucune énergie grise liée à leur phase de construction. Par ailleurs, le bâti ancien (pré-1948) repose sur des méthodes constructives pérennes, naturellement isolantes et peu carbonées. Les méthodes isolantes actuelles ne sont pas compatibles avec la respiration naturelle du bâti ancien, qu’elles menacent de pourrissement. C’est pourquoi il faut absolument exempter le bâti pré-1948 de l’obligation du DPE ou, à défaut, modifier le DPE pour qu’il pondère son résultat en fonction de ses qualités intrinsèques.

Il n’est pas question ici d’arrêter de bâtir du neuf. Au contraire, comme le rappelait l’Institut Thomas More dans un rapport de mars 2023, la France a besoin de l’ordre de 395 000 nouveaux logements par an. En revanche, il faut faire profiter le calcul du DPE au bâti ancien dans la mesure où le coût énergétique de sa construction a été largement absorbé par une durée de vie considérable, contrairement aux nouvelles constructions.