La rénovation énergétique des bâtiments doit se faire en harmonie avec l’histoire et les paysages français

Noé Morin, chercheur associé à l’Institut Thomas More et vice-président de La Table Ronde de l’Architecture

13 décembre 2023 • Opinion •


Alors que les pays de l’UE viennent de s’accorder pour accélérer la rénovation énergétique des bâtiments, le chercheur associé à l’Institut Thomas More, Noé Morin, qui vient de publier la note Performance énergétique et isolation des bâtiments : vrais défis et fausses pistes, critique les techniques modernes pour l’isolation du bâti, et avance de nouvelles pistes.


Avec une enveloppe prévue de 150 milliards d’euros consacrée à la rénovation énergétique des bâtiments d’ici 2030 et le durcissement de la directive sur la performance énergétique des bâtiments, qui prévoit désormais d’importants travaux de rénovation thermique d’ici 2033 et rehausse considérablement l’objectif européen contraignant de rénovation énergétique, le débat sur l’isolation thermique des bâtiments refait surface en Europe. Mais aussi en France où une partie importante de la Stratégie énergie climat, dévoilée fin novembre dernier par Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique, repose sur la rénovation énergétique des bâtiments.

Pour techniques et nébuleux qu’ils paraissent, ces textes, qui se suivent à grand train, ont un impact concret sur la vie des citoyens. C’est le cas par exemple de la traque aux « passoires thermiques » que les propriétaires sont sommés de rénover dans des délais déraisonnables et à des coûts souvent astronomiques – largement pris en charge par l’argent public (c’est-à-dire chacun d’entre nous) et qui font prospérer des entreprises qui ont flairer le bon filon. Regardons-y de plus près.

Le secteur immobilier représente aujourd’hui 27% des émissions françaises de CO2 (soit 0,243% des émissions mondiales de gaz carbonique). À compter de 2025, il sera interdit de mettre en location des logements dont le diagnostic de performance énergétique (DPE) est égal ou inférieur à G (la qualification DPE la plus basse) et cette exigence sera progressivement portée à l’étiquette F en 2028 et E en 2034. Cela revient à exclure, si l’on s’en tient aux chiffres de l’Observatoire national de la rénovation énergétique, près de quatre logements sur dix du marché locatif. Et cela malgré les promesses réitérées d’Emmanuel Macron de ne plus verser dans l’« écologie punitive »…

Quand bien même l’on considérerait qu’il n’y a pas de petites économies et qu’il est de la responsabilité de la France de prendre sa part, aussi modeste soit-elle, dans la lutte contre le réchauffement climatique, encore faudrait-il adopter les bons outils pour mener une action efficace. Or, les outils règlementaires adoptés par la France sont biaisés, tandis que l’essentiel des méthodes isolantes à base de substances chimiques, comme le polystyrène ou le polyuréthane par exemple, ont une durée d’action très limitée et mettent en péril le bâti ancien.

Une étude réalisée par des chercheurs de l’université de Cambridge, publiée en janvier dernier et ayant trouvé peu d’échos en France, montrent que l’isolation des combles et des murs à cavité des logements existants au Royaume-Uni (plus de 55 000 logements sur douze ans) n’a entraîné une baisse moyenne que de 7% de la consommation de gaz la première année, de 2,7% la deuxième année et que les économies d’énergie deviennent négligeables dès la quatrième année. En plus d’une durée d’efficacité extrêmement réduite, les isolants thermiques ont entraîné une baisse très marginale de la consommation en gaz des logements rénovés.

A cela s’ajoute que les techniques d’isolation actuelles (exception faite de l’isolation à base de matériaux biosourcés comme le chanvre, le bois, la paille, la terre, etc.) mettent en péril le bâti ancien. L’architecture d’avant-guerre repose sur la ventilation et la respiration naturelles, principes qui ont leur mérite dans la mesure où ils permettent la longévité exceptionnelle des structures. En combinant ce procédé architectural avec les méthodes actuelles d’isolation qui reposent sur l’herméticité, l’on risque de mettre en péril le bâti ancien à moyenne échéance. Or, l’essentiel de l’énergie consommée au cours de la vie d’un édifice, de 60 à 90% pour être exact, provient de ses phases de construction et de démolition. La priorité de politiques publiques réellement écologiques devrait donc être l’allongement maximum de la durée de vie du parc immobilier français, en particulier s’agissant du parc immobilier d’avant-guerre qui possède des qualités intrinsèques grâce à la qualité et la robustesse de ses matériaux de construction et aux techniques de mise en œuvre dont les bâtisseurs étaient alors capables.

Par ailleurs, le passage de la règlementation thermique 2012 à la règlementation environnementale 2020 s’accompagne de l’analyse obligatoire des cycles de vie (ACV) des matériaux qui entrent dans la composition d’un bâtiment, de la brique jusqu’à la tuile. Si, à première vue les intentions de la RE 2020 sont louables, l’application de ce nouveau règlement s’avère désastreuse. En plus d’être un fardeau administratif (donc financier) supplémentaire pour le maître d’œuvre, le maître d’ouvrage et les producteurs de matériaux, les ACV reposent sur des méthodes de calcul contestables qui ont pour effet d’avantager les grands producteurs de matériaux de construction au détriment des petites entreprises et des artisans.

Plus gravement, les durées de vie alléguées des matériaux enregistrés par les industriels sur la base de données officielle INIES confinent à l’absurdité. Au lieu de mesurer la longévité véritable des matériaux de construction ou, à défaut, de produire des estimations de durée de vie réalistes, le ministère de la Transition écologique a échafaudé un énième « machin », pur produit bureaucratique qui s’ajoute à l’interminable chemin de procédures que doivent déjà parcourir les maîtres d’œuvre et les maîtres d’ouvrage pour entériner un projet de construction. La base de données INIES se retranche derrière des valeurs fictives, avancées sans aucun contrôle par les industriels eux-mêmes, qui disqualifient le fameux « bilan carbone » des nouvelles constructions.

Devant tant d’impéritie, on se demande si les pouvoirs publics ne préfèrent pas se battre contre des moulins à vent plutôt que d’affronter le vaste enjeu de l’écologie du bâtiment. Il y aurait fort à faire pourtant pour verdir le secteur de la construction, à commencer par limiter la distance parcourue par les matériaux de construction, privilégier les produits naturels et locaux et soutenir le durable contre l’éphémère. Ces propositions pourraient prendre la forme d’un nouveau coefficient d’enracinement qui se substituerait aux analyses de cycle de vie. Il conserverait l’ambition initiale de la RE2020 en lui donnant les moyens de son ambition : pour être véritablement respectueux de l’environnement, le bâti doit être pérenne, faire appel à des matériaux et des corps de métier locaux et être en harmonie avec l’histoire et les paysages français. La véritable écologie est là.