Quelle stratégie européenne face aux investissements chinois ?

Laurent Amelot, directeur de recherche à l’Institut Thomas More

Décembre 2023 • Note 64 •


Une lente prise de conscience européenne

Le vingt-quatrième sommet Union européenne-Chine qui s’est tenu le 7 décembre dernier à Pékin s’est conclu sans incident mais sans résultat. Les demandes européennes de rééquilibrage dans les relations commerciales se sont heurtées à une fin de non-recevoir polie mais ferme. Cet échec s’inscrit dans un moment où les Européens cherchent enfin les moyens de mieux contrôler les investissements chinois sur leur sol en renforçant leurs mécanismes de filtrages des IDE (investissements directs à l’étranger).

Une stratégie d’investissement qui change et s’adapte

S’ils sont en recul régulier depuis plusieurs années, l’Union européenne demeure l’une des principales destinations des IDE chinois : 141 milliards de dollars en 2022. Alors que les secteurs privilégiés furent longtemps l’énergie, les infrastructures, l’immobilier et la finance, le changement de stratégie de Pékin conduit aujourd’hui à réorienter les investissements de ses entreprises vers des secteurs où elles sont compétitives, comme l’automobile ou les produits de consommation. Mais l’augmentation ces dernières années du nombre de mécanismes de filtrages en Europe ainsi que la volonté d’unifier le discours des pays européens face à une Chine considérée comme un « rival systémique » oblige celle-ci à adopter des stratégies différenciées selon les caractéristiques des territoires à pénétrer.

Une approche géographique différenciée

En Europe occidentale, les investissements réalisés montrent que les sociétés chinoises cherchent principlament à accéder à des marchés à haut potentiel de consommation tout en captant l’expertise technologique. En Europe méridionale, Pékin s’intéresse plutôt aux infrastructures énergétiques et portuaires susceptibles de constituer des points d’ancrage le long de ses routes maritimes commerciales. Toutefois, la décision de la première ministre italienne Georgia Meloni de retirer l’Italie de l’Initiative ceinture et route ne sera sans doute pas sans conséquences. En Europe centrale et orientale et dans les Balkans, la Chine cherche à s’aménager des territoires carrefour et de transit en direction des marchés de l’Europe de l’Ouest et à se façonner une utile sphère d’influence.

Des revers

Cependant, onze ans après la création du groupe 16+1 en 2012 (devenu 17+1 en 2019), les résultats ne se révèlent pas à la hauteur. Les trois pays baltes l’ont quitté et la République Tchèque est tentée de les suivre. L’ouverture d’un bureau de représentation de Taïwan en Lituanie en 2022 et les interrogations de la Slovénie et de l’Estonie sur l’opportinuté de le faire irrient Pékin. Plus globalement, son soutien à Moscou dans la guerre en Ukraine et la recherche, même vague et chaotique, d’« autonomie stratégique » des Européens contrecarrent ses plans.

Propositions pour mieux contrôler les investissements et mieux protéger les infrastructures vitales européennes

Face aux défis posés par une Chine prédatrice, qui considère l’Europe comme un terrain de chasse technologique, l’UE et ses États membres doivent regarder la réalité en face : le Parti-État chinois n’est pas un simple concurrent, mais un rival stratégique. C’est la raison pour laquelle nous formulons quatre propositions visant à l’augmentation et au durcissement des mécanismes de filtrages des IDE au sein des pays membres de l’UE et participant à l’amélioration de la protection des infrastructures vitales européennes ainsi qu’à l’impérieuse nécessité de de réindustrialisation du continent. Cette stratégie requiert également une composante politique pour donner sens aux actions de l’Union et de ses membres, pour protéger leurs valeurs et défendre leurs intérêts.

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L’auteur

Laurent Amelot est directeur de recherche et directeur du Programme Indo-Pacifique de l’Institut Thomas More. Diplômé de l’Institut d’Etude des Relations internationales (ILERI) et titulaire d’un Master 2 en sécurité internationale et défense de l’Université Lyon 3 (CLESID) et en géographie-aménagement du territoire de l’Université Paris 4 Sorbonne, il a été rédacteur en chef de la revue Outre-Terre et, en 1997, lauréat du prix Amiral Daveluy. Il est aujourd’hui chargé d’enseignement à l’ILERI et membre du groupe de réflexion Asie21. Après avoir longtemps consacré ses travaux à l’Asie du Sud-est et à l’Asie du Sud principalement, il s’est intéressé ces dernières années à la Chine, à sa politique étrangère et tout particulièrement à la dimension maritime de sa stratégie de puissance