Quelles sources d’énergies du futur pour la production d’électricité ?

Jean-Pierre Schaeken Willemaers, président du pôle Energie, Climat, Environnement de l’Institut Thomas More

27 décembre 2023 • Analyse •


Les sources d’énergie pour la production d’électricité sont multiples et différemment appréciées dans le monde. Quelques-unes font l’objet d’anathèmes par les uns alors que d’autres les considèrent comme une aubaine.


Les prédilections pour l’une ou l’autre sont généralement fonction, dans le monde, de considérations économiques telles que leur disponibilité locale, leur coût ou la pollution qu’elles produisent. D’autre part, des préoccupations de nature plus conjecturale que scientifique ont conduit, surtout en Europe, à vilipender certaines d’entre elles pour ensuite les interdire.

Il est nécessaire d’analyser les propriétés de ces différentes sources et de les comparer afin de pouvoir identifier celles qui contribueront le mieux à la production électrique du futur. Commençons par comparer le nucléaire, source d’énergie qui fait régulièrement la une des médias, aux énergies éolienne et photovoltaïque de loin les plus utilisées parmi les renouvelables.

Le clivage entre les pays en Europe et dans le monde suscité par la production d’électricité à partir de combustible nucléaire a tendance à s’estomper. En effet au deuxième jour de la COP 28 organisé par le Qatar en décembre 2023, un appel d’une vingtaine de pays à tripler les capacités de l’énergie nucléaire dans le monde d’ici 2050 par rapport à 2020, illustre le regain général d’intérêt pour l’atome.

Quelles sont les technologies nucléaires du futur ?

À l’avenir, deux catégories de réacteurs seront fabriquées : ceux de capacité élevée et ceux de puissance plus basse (de quelques MW jusqu’à 300 MW). Un inventaire des principales caractéristiques des réacteurs nucléaire (quelle qu’en soit la puissance) offre une base pertinente pour la comparaison susmentionnée.

La production continue d’électricité. La continuité de la génération électrique ne pose pas de problème pour la production nucléaire, son facteur de charge étant supérieur à 95%. Si ce dernier est également élevé pour l’électricité à partir de gaz et de charbon, ce n’est plus vrai pour les productions éolienne et photovoltaïque qui sont intermittentes.

En Europe, à l’exception du bassin méditerranéen, on enregistre des valeurs d’ensoleillement comprises entre 1500 et 2000 heures en raison de la nébulosité, des brumes et des brouillards fréquents. C’est le cas également pour une grande partie du Canada et de la Russie. Le facteur de charge du solaire photovoltaïque varie de 10% à 24% selon les régions en Allemagne, en moyenne, 13% en France, 21% en Espagne et 24% aux États-Unis (1).

Est-il bien raisonnable avec des rendements aussi faibles d’investir massivement dans le photovoltaïque au nord et à l’ouest de l’Europe, la question étant d’autant plus fondée que les grands parcs photovoltaïques empiètent sur des terres agricoles ou des forêts.

Quant aux éoliennes, leur facteur de charge est d’une vingtaine de pour cent pour celles qui sont implantées sur terre et d’une quarantaine de pour cent pour celles en mer. Avec de tels rendements, ces deux sources d’électricité renouvelable ne sont pas en mesure d’assurer une part suffisante de l’énergie censée compenser la fermeture des centrales thermiques d’ici à 2050.

La stabilité du réseau électrique. Pour le bon fonctionnement du système électrique, il faut veiller à maintenir, dans la durée, l’équilibre entre la production et la consommation d’électricité, la stabilité de la fréquence du courant alternatif dans une fourchette de 49,99 Hz à 50,01 Hz ainsi que celle de la tension. Une telle exigence ne peut être satisfaite par les énergies renouvelables éoliennes et photovoltaïques en raison du caractère aléatoire de leur production dépendant du vent et du soleil.

La compétitivité. Le calcul devant inclure les coûts du cycle complet : celui des matériaux (extraction des matières premières et le traitement de celles-ci) nécessaires à la fabrication des équipements, celui de ces derniers par kWh généré, celui du combustible éventuel ainsi que du démantèlement des équipements incluant les fondations ainsi que du traitement et du stockage des déchets rapportés à la quantité d’énergie produite durant la durée de vie et, en ce qui concerne le renouvelable intermittent, le coût des investissements liés à l’intermittence : renforcement du réseau électrique et stockage de l’énergie.

Le renouvelable intermittent requiert, à partir d’un certain degré de pénétration, une adaptation de l’architecture des réseaux électriques et un stockage d’énergie indispensables pour assurer la sécurité d’approvisionnement électrique. Ces deux contraintes augmentent fortement leur coût global de production électrique et contribuent à rendre la génération nucléaire compétitive.

En ce qui concerne le stockage d’énergie, l’hydraulique est une solution performante, mais limitée vu les contraintes de dénivellement et les batteries n’ont pas encore atteint un niveau de développement suffisant pour contribuer à l’équilibre des réseaux de grande puissance en cas de forte pénétration du renouvelable intermittent. Quant au stockage d’hydrogène vert, il est encore excessivement cher à cause du coût de production de ce gaz. Les réseaux intelligents pourraient apporter une solution à ces problèmes, mais ils nécessitent des investissements considérables dans les prochaines décennies.

Une dizaine d’années après les premières installations, la production d’électricité photovoltaïque européenne n’est toujours pas rentable sans subventions (2). La suppression ou l’atténuation de ces dernières en Allemagne, en Italie et en Espagne, trois pays en pointe dans le domaine du renouvelable électrique, ont mis un terme à l’effet d’aubaine et ont réduit l’attractivité de l’investissement. En outre, la Chine a inondé les marchés de cellules photovoltaïques à des prix imbattables, ce qui a provoqué la faillite de nombreux fabricants européens. Une analyse de la situation des trois pays précités est révélatrice des conséquences désastreuses des décisions fondées sur des considérations plus idéologiques que scientifiques.

La situation de l’éolien n’est pas meilleure. L’industrie éolienne traverse une crise grave. Tous les constructeurs européens souffrent. Une succession d’annonces concordantes indique que les leaders de la filière éolienne licencient et opèrent actuellement des désengagements (Vestas, Siemens/Gamesa, Nordex, Enercon, Sapie, etc.).

La durée de vie. Les études du professeur Gordon Hughes sur les performances des parcs éoliens au Danemark et au Royaume-Uni ont conclu, à partir d’une analyse statistique, que le facteur de charge des éoliennes terrestres chute progressivement de 24% après un an à 15% au bout de 10 ans et à 11% en 15 ans (3). Le vieillissement des éoliennes fait baisser notablement leur production. C’est la raison pour laquelle les exploitants préfèrent les remplacer après une dizaine années de fonctionnement. Une telle courte durée de vie contraste avec celle des réacteurs nucléaires qui peuvent fonctionner 60, voire 80 ans. Quelques pays « nucléaires » ont d’ailleurs décidé de prolonger l’exploitation de leurs centrales jusqu’à 60, voire 80 ans.

L’emploi. Si le nucléaire continue de créer des emplois dans les pays qui l’ont intégré dans leur mix électrique, les filières éolienne et photovoltaïque n’en génèrent que sous perfusion : entre autres, exonération d’impôts, aides européennes, tarifs subventionnés, émission de certificats carbone, pesant sur les factures des contribuables. À l’inverse, la fin des subventions conduit à d’importantes pertes d’emplois dans ce secteur d’activités à la suite de licenciements et de faillites.

Les réacteurs de quatrième génération. Alors que la troisième génération des réacteurs nucléaires n’est qu’une version améliorée de la deuxième, la quatrième présente un saut technologique (4). Celle-ci et, plus précisément les réacteurs à neutrons rapides, répondent aux attentes et besoins de durabilité, de baisse des coûts d’exploitation, de sûreté accrue, de forte réduction des déchets radioactifs, de non-prolifération du plutonium, de résistance aux attaques terroristes, de non-utilisation de métaux rares, voire de terres rares, etc.

Les petits réacteurs modulaires et les mini réacteurs. Une tendance se dessine pour des réacteurs plus simples et de puissance nettement plus faible requérant des investissements plus abordables : les petits réacteurs modulaires (les SMR, Small modular reactor) de capacité de quelques MW à un maximum de 300 MW. Cette technologie se caractérise, entre autres, par : un système de sûreté entièrement passif sans intervention humaine et sans l’aide de pompes pour la circulation du liquide de refroidissement ; une plus grande facilité de mise hors service du réacteur et de démantèlement en fin de vie ; un refueling tous les trois ans à 7 ans au lieu d’un à deux ans pour les grands réacteurs ; une diminution de la quantité de déchets radioactifs.

Elle permet, en outre : d’enterrer le réacteur, assurant ainsi une meilleure protection contre les risques naturels ou humains ; une production en série ; un temps de construction nettement raccourci (3 ans, depuis le premier coup de pioche jusqu’à la commercialisation) ; la possibilité de satisfaire la demande d’électricité dans des marchés étroits, dans des endroits retirés et dans des régions pourvues de réseaux électriques de faible puissance, voire pour celle de grosses entreprises ; de pouvoir assembler le réacteur sur site à partir de composants standards préfabriqués en usine, voire de l’installer complètement monté en usine ou du moins dans un environnement industriel, ce qui améliore la qualité et l’efficacité (temps) de la construction ; une programmation d’investissement en fonction de la croissance de la demande d’électricité, en constituant progressivement un ensemble de capacité plus élevée par addition successive d’unités supplémentaires.

Compacts, facilement transportables et flexibles, les mini-réacteurs (de quelques MW) peuvent servir de générateur électrique de secours pour les hôpitaux ou remplacer des groupes électrogènes au diesel des communautés isolées, des sites industriels ou miniers

À l’échelle mondiale, trois pays ont progressé nettement plus que les autres dans le développement des SMR et sont susceptibles de les connecter au réseau avant 2030 : les États-Unis, la Chine et la Russie. Toutefois, des entreprises d’autres pays prévoient également que les réacteurs qu’ils construisent pourront être connectés au réseau électrique avant la fin de cette décennie.

Les sources d’énergie renouvelable non intermittente

Les biocarburants. Les biocarburants sont produits à partir de matières organiques. On en distingue trois catégories, dont la troisième présente l’avantage de ne pas empiéter sur les terres agricoles, ni sur les forêts, d’être moins onéreuse que les deux premières et de pouvoir être produite en grandes quantités. La troisième génération a recours aux micro-organismes photosynthétiques (cyanobactéries, microalgues). Les microalgues contiennent des lipides, dont la conversion en biocarburant se réalise soit par transestérification soit hydrogénation.

Les avantages des microalgues par rapport à d’autres plantes comme source de biocombustibles sont nombreux : entre autres, rendement en biomasse à l’hectare très élevé, culture dans l’eau de mer ou saumâtre, recours au CO2 pour sa croissance, pas d’engrais, ni de pesticides chimiques. Cependant, la production de biocarburants à partir de microalgues n’en est qu’au stade des recherches. Des progrès sont encore nécessaires pour réduire le coût et passer à une production à grande échelle.

L’hydrogène. Après s’être concentrée sur l’éolien et le photovoltaïque, l’Union européenne, et en particulier les États membres à l’ouest de celle-ci (France, Allemagne, Belgique), se focalise de plus en plus sur l’hydrogène pour décarboner le secteur électrique et celui de la mobilité. Les partisans du tout renouvelable d’ici à 2050 y voient le moyen de pourvoir, lorsque la technologie sera au point, au stockage de l’énergie nécessaire à la compensation de l’intermittence de la production d’électricité d’origine éolienne et photovoltaïque, ainsi que le carburant idéal de substitution aux combustibles fossiles pour la mobilité bas carbone.

Les principales carences associées à son usage concernent sa production et son stockage. En outre, ce gaz présente un risque plus important d’explosion que l’essence lorsqu’il est compressé.

Dans ce contexte, des procédés de fabrication bas carbone et moins onéreux que l’électrolyse de l’eau, font l’objet de recherches, notamment celui par pyrolyse. Le coût de celle-ci serait comparable à celui du vaporeformage du méthane avec capture et séquestration du carbone (5). Cette technologie suscite aujourd’hui un intérêt croissant. Elle est basée sur la pyrolyse du gaz naturel à haute température avec coproduction d’hydrogène et de carbone solide (ou noir de carbone hautement valorisable). Un autre avantage de cette méthode est qu’elle est thermodynamiquement nettement moins énergivore que l’électrolyse de l’eau, nécessitant environ sept fois moins d’énergie par mole d’hydrogène (38 kJ vs 285 kJ par mole H2) (6).

Quoiqu’il en soit, il n’y aura pas suffisamment d’électricité pour produire une quantité suffisante d’hydrogène, en Europe, pour supplanter le gaz naturel, ni d’ailleurs pour une production massive d’hydrogène dans le secteur électrique et celui de la mobilité dans le cadre d’un système électrique européen totalement renouvelable (largement intermittent), sans une politique ambitieuse de génération d’électricité à partir de combustible nucléaire.

De toute façon, l’utilisation de l’hydrogène dans les secteurs du stockage de l’énergie ou de la mobilité est encore au stade du développement et, en ce qui concerne l’infrastructure, des doutes subsistent quant à la disponibilité de réseaux de transport d’hydrogène pur en temps voulu.

Le gaz naturel. Selon Mckinsey, le gaz n’a pas fini d’augmenter sa part dans la demande globale d’énergie jusqu’à atteindre un plateau en 2035 (7). Beaucoup de pays dans le monde continuent d’investir dans la construction de nouvelles centrales à gaz, pour différentes raisons.

En ce qui concerne plus particulièrement l’UE, au-delà d’un certain degré de pénétration de l’éolien et du photovoltaïque et à fortiori lorsqu’elle continue de croître, la capacité d’électricité générée à partir de gaz doit augmenter pour compenser leur intermittence, seule solution pour longtemps encore.

La fourniture de gaz ne pose pas de problème. Les réserves prouvées de ce combustible sont énormes. De nouveaux gisements sont découverts non seulement dans les pays qui en exploitent déjà, mais aussi, entre autres, au large des côtes est et ouest de l’Afrique et à l’est de la méditerranée. Ici on ne parle que des régions qui ont été prospectées. Il en existe d’autres qui devraient receler de grandes réserves telles que la zone arctique.

En outre les technologies de prospection et d’extraction ne cessent de s’améliorer.

Notes •

(1) Vers une électricité durable, UARGA (le site d’anciens du nucléaire).

(2) La gageure de l’électricité photovoltaïque européenne, J.P. Schaeken Willemaers.

(3) The performance of windfarms in the United Kingdom and Danemark, Gordon Hughes.

(4) Le chiffre 4 provient du nom du groupe créé par le département de l’Énergie des États-Unis : Generation-IV International Forum (GIF)

(5) Hydrogen production using methane : techno-economics of decarbonizing fuels and chemicals, Brett Parkinson et al., Science direct.

(6) Production d’hydrogène décarboné : la troisième voie, Laurent Fulcheri.

(7) Global Energy perspective, Mckinsey, 2019.