Baisse de la natalité · Le résultat d’un déni

Gérard-François Dumont, professeur émérite de l’Université de la Sorbonne, directeur de la revue Population et avenir et membre du Conseil d’orientation de l’Institut Thomas More

30 janvier 2024 • Analyse •


La France paie le refus de prendre en compte un paramètre déterminant des évolutions de la fécondité et de la natalité : les décisions de politique familiale.


Baisse spectaculaire des naissances, selon le grand quotidien du matin, « en 2023, la chute des naissances se poursuit », selon le grand quotidien du soir. Puisque de grandes institutions n’anticipaient nullement une telle évolution, il faut s’en étonner. Quel déni a empêché de voir ce qui était pourtant prévisible ?

Effectivement, le citoyen qui lit les relais médiatiques des publications des grandes institutions statistiques de la République française ne pouvait pas anticiper une telle baisse de la natalité. Ainsi, à l’automne 2018, l’Institut national d’études démographiques (Ined) écrivait dans sa revue : « Quant au nombre de naissances, il devrait à nouveau croître. » Le 29 janvier 2020, alors que l’Insee venait d’annoncer la baisse de la fécondité et des naissances de l’année 2019, une société d’études très renommée écrivait : « Baisse des naissances : un épisode transitoire ».

Quant à l’Insee, ses projections démographiques réalisées en mai 2021 annonçaient, dans leur scénario cen­tral, 716000 naissances en 2023 dans l’ensemble formé par la France métropolitaine et les cinq départements d’outre-mer, avec un indice de fécondité de 1,8 enfant par femme. Or, les résultats sont fort différents : 678 000 naissances en 2023, soit 38 000 de moins que la projection moyenne réalisée seulement deux ansauparavant,1,68 enfant par femme, un chiffre inférieur de 7% à la projection.

Comment comprendre un tel écart entre les affirmations ci-dessus et les résultats alors même que le solde migratoire a apporté beaucoup plus de personnes que projeté : l’Insee affiche un solde migratoire de 183 000 en 2023, deux fois et demie supérieur à l’hypothèse centrale de 70 000. Or, ce solde migratoire est composé d’un flux d’immigration de personnes jeunes en âge de procréer, notamment dans le cadre du regroupement familial. Il a évidemment contribué à la natalité davantage que s’il n’avait été que de 70 000.

Tout cela apparaît comme le résultat d’un déni: le refus de prendre en compte un paramètre important des évolutions de la fécondité et de la natalité, à savoir les décisions en matière de politique familiale. En effet, comme nous l’avons montré, au fil de ces dernières décennies, la politique familiale a été le facteur central des mouvements à la hausse ou à la baisse de la fécondité. Pour ne donner que deux exemples, la baisse de la fécondité des années1982-1984 s’inscrit dans un contexte de réduction des prestations familiales et de la première instauration d’un plafond au quotient familial. À l’inverse, la remontée de la fécondité des années 1995-1996 fait suite à un ensemble de mesures voulant permettre aux parents de mieux concilier vie familiale et vie professionnelle.

En conséquence, la remise en cause, au milieu des années 2010, des principes mêmes de la politique familiale tels qu’ils avaient été fondés et maintenus de façon transpolitique pendant des décennies ne pou­vait pas ne pas avoir de conséquences. Ont été notamment mis en œuvre la fin de l’universalité des allocations familiales, une réforme du congé parental ne le rendant plus satisfaisant, un plafond for­tement abaissé du quotient familial, sans oublier les importantes baisses de dotations de l’État aux communes les conduisant à réduire les investissements dans les crèches et relais petite enfance, pourtant essentiels pour faciliter la conciliation vie professionnelle vie familiale.

Et j’ai alors annoncé que la fécondité allait baisser. En outre, depuis, les mesures négatives ci-dessus se sont trouvées prolongées, parfois accentués et complétées par un ensemble de réglementations malthusiennes qui conduisent, par exemple, à une insuffisance de logements, avec une forte baisse des mises en chantier.

Dans ce contexte, en dépit du nombre accru d’immigrants originaires de pays du Sud dont la fécondité est plus élevée que la moyenne, la baisse des naissances était inévitable. Toute politique exerce des effets sur les comportements des populations. La politique familiale, comme les autres politiques, n’est pas neutre. Et nos gouvernants doivent prendre en compte que la dénatalité a des effets nocifs sur la possibilité de maintenir le système français de protection sociale. Quant à la politique familiale, elle est surtout justifiée au titre du premier principe inscrit au fronton des mairies, la liberté, précisément la liberté d’avoir le choix du nombre de ses enfants, sachant que le désir d’enfant est à 2,3 enfants par femme. Le droit de ne pas avoir d’enfant est assumé collectivement par la prise en charge par les budgets publics des moyens de contraception (pilule, stérilet…) et de l’avortement. Le droit d’avoir un enfant ne peut se réaliser pleinement que si les pouvoirs publics affichent un engagement à long terme à accompagner ceux qui veulent élever des enfants. Ceci appelle une renaissance de la politique familiale.