Crise de l’énergie · Comment l’Union européenne a sacrifié sa production énergétique sur l’autel de la décroissance

Cyrille Dalmont, directeur de recherche à l’Institut Thomas More

4 février 2024 • Entretien •


Dans son rapport La stratégie énergétique européenne aura-t-elle raison de l’écosystème numérique européen ?, Cyrille Dalmont, directeur de recherche à l’Institut Thomas More, démontre que l’UE est la seule grande région du monde où la production et la consommation d’électricité baissent depuis plusieurs années.


Alors que la crise de l’énergie continue d’impacter les foyers et les entreprises, l’Union européenne reste la seule grande région du monde à la considérer comme un simple bien de consommation et non comme une ressource stratégique. Pourquoi ?

Cette vision du marché de l’énergie tient au fondement même de l’Union européenne. Dans ses traités constitutifs, l’UE a défini que son rôle était de libéraliser les réseaux. La clé de voûte de ce fonctionnement est le consommateur. Pour le satisfaire, une concurrence soi-disant « pure et parfaite » a été mise en place pour proposer des prix attractifs en oubliant totalement l’outil de production. En somme, en libéralisant le marché du gaz, de l’eau et de l’électricité, l’UE ne fait qu’appliquer les traités. Par conséquent, les sources d’énergie des États membres sont devenues des biens de consommation soumis à l’offre et à la demande.

Quelles sont les contraintes qui pèsent sur la production et la consommation d’énergie européenne et quelles sont leurs conséquences ?

En créant un marché commun de l’énergie, l’Union européenne a confisqué à ses États membres leurs compétences sur le sujet. Désormais, c’est la Commission européenne qui impulse la politique énergétique et elle fait ce qu’elle est censée faire : dérégulariser le marché de l’énergie, autoriser la concurrence complète entre les opérateurs et casser les monopoles nationaux. Ce positionnement a un impact direct sur plusieurs secteurs dans un contexte de baisse de la production d’énergie. Si vous êtes une entreprise et que vous n’êtes pas protégée par un bouclier tarifaire, vous devez vous fournir en énergie sur un marché ouvert à la concurrence avec un volume d’énergie disponible en baisse constante depuis plusieurs années. Par conséquent, les prix atteignent des sommets et il devient ardu pour les sociétés de se fournir en énergie. En 2023, l’entreprise Cofigeo, (William Saurin, Garbit, Raynal et Roquelaure, Zapetti…) avait dû fermer plusieurs sites de production car la facture énergétique était trop élevée. Les entreprises de l’armement se retrouvent elles aussi impactées. Sur le marché de l’énergie, elles sont bien souvent en concurrence avec les GAFAM.

Pourquoi l’UE s’est-elle tournée vers le dogme du « découplage » entre croissance économique et consommation énergétique ? Ce concept est-il le responsable du décrochage économique entre l’UE et les autres régions du monde, comme les États-Unis par exemple ?

Premièrement, le découplage n’a rien de mathématique. En réalité, il s’agit d’un dogme qui s’est imposé dans le milieu des années 1990. Le postulat est simple : on peut faire mieux avec moins. Un constat qui peut paraître intéressant sur le papier mais qui ne se base sur aucune démonstration scientifique. A contrario, il y a un lien, établi depuis des années, entre la croissance du PIB et celle du volume d’énergie disponible. Cette élasticité a été analysée sur une période d’une cinquantaine d’années et le résultat est limpide : les courbes se suivent et sont quasiment similaires. Malgré ce résultat scientifique, l’Union européenne part du postulat qu’il est possible de découpler ces deux indicateurs afin de créer la croissance verte. Une position à l’opposé de ce qui s’applique dans les autres zones du monde et qui est le fruit d’un important lobbying écologiste. Aujourd’hui, il est manifeste que ce dogme ne fonctionne pas. L’Europe est désormais confrontée à des pénuries d’énergie et à des prix s’envolant toujours plus haut. Depuis la mise en place de ces politiques, l’écart entre le PIB des États-Unis et de l’Union européenne n’a fait que s’accroître : une différence de 8 500 milliards de dollars en 2022.

En quoi la stratégie énergétique européenne impacte-t-elle l’écosystème numérique européen ? Aura-t-elle raison de lui un jour ?

Premièrement, l’écosystème numérique européen est impacté par le droit européen de la concurrence. Cet ensemble de normes empêchent les concentrations, les ententes entre entreprises et limite les aides d’État. Une absence de financement qui ne permet pas aux opérateurs numériques européens de lutter contre leurs concurrents étrangers qui ont pu grandir notamment en s’appuyant sur des subventions publiques, leur permettant de capter 60 à 80% d’un secteur économique sur marché mondial. Deuxièmement, le secteur a besoin de beaucoup d’énergies pour se développer. Au niveau mondial, il représente 15% de la consommation totale d’électricité. Pour pouvoir se développer, le numérique européen aurait besoin d’une production électrique plus importante mais l’UE continue de réduire les volumes disponibles.

Selon vous, quelles sont les mesures à mettre en place pour sauver l’écosystème numérique européen ?

Aujourd’hui, la politique énergétique européenne a entraîné le déclassement d’un secteur qui représente 30% de la capitalisation boursière mondiale. Sur les 50 premières entreprises du numérique, l’UE ne représente que 5%. Pour sauver ce secteur, il faut sortir de la contrainte du droit européen à la concurrence afin de permettre l’existence de marchés publics réservés. Assurer à ces sociétés une souveraineté leur permettrait de pouvoir grandir sans craindre de se faire absorber par une entreprise étrangère plus grande. Enfin, il faut relancer la production d’énergie et donc investir dans les outils productifs et donc en finir avec le dogme du découplage.