L’audiovisuel public français est-il pluraliste ?

Jean-Thomas Lesueur, directeur général, et Aymeric de Lamotte, directeur général adjoint de l’Institut Thomas More

Mai 2024 • Rapport 30 •


L’obligation de pluralisme incombe en premier lieu à l’audiovisuel public

Le 13 février 2024, le Conseil d’État enjoignait à l’Arcom de « procéder au réexamen » de la demande de l’association Reporters sans frontières qui reproche à CNews de ne pas se conformer à ses obligations en matière de pluralisme et d’indépendance de l’information. Bien que cette décision soit dangereuse pour la démocratie, la liberté d’expression et le pluralisme dans les médias, il nous a semblé que, s’il y a un acteur médiatique auquel incombe l’obligation de pluralisme en premier lieu, c’est l’audiovisuel public, qui est financé par l’impôt de tous les Français. La tâche que s’assigne cette étude est donc d’examiner si celui-ci respecte ou non cette obligation.

Une orientation politique et idéologique des participants marquée : 25% sont socialistes et progressistes, 4% sont libéraux et conservateurs

La première partie de l’étude propose une analyse de l’orientation politique et idéologique des 587 participants qui sont intervenus sur les chaînes de France 2, France 5, France Info TV (canal 27), France Info Radio, France Culture et France Inter durant la période témoin du 19 au 24 février 2024, selon une nomenclature définie dans notre méthodologie. 294 participants relèvent de la qualification « Neutre », soit 50%. 26 participants relèvent de la qualification « Libéral et conservateur », soit 4%. 120 participants relèvent de la qualification « Libéral et progressiste », soit 21%. 147 participants relèvent de la qualification « Socialiste et progressiste », soit 25%.

Des biais manifestes dans l’orientation politique et idéologique des thématiques traitées

Fondée sur le même échantillon et la même durée que la première, la deuxième partie propose l’analyse de l’orientation politique et idéologique des thématiques traitées par l’audiovisuel public, à travers trois exemples :

• L’écologie : très forte domination des thèses décroissantes avec 65,6% des avis exprimés.

Le multiculturalisme : éloge unanime de la diversité, systématiquement présentée comme une chance pour le pays d’accueil et une condition pour le développement d’une société plus harmonieuse.

• Le traitement des personnalités politiques de droite : 57% des avis exprimés sur des personnalités politiques répondant à la qualification « Libéral et conservateur » sont défavorables, 8% sont favorables et 35% sont neutres.

Déséquilibres patents dans la représentation de certains invités, tendances politiques et idéologiques nettement marquées, positions politiques revendiquées

La troisième partie offre cinq études de cas :

• La représentation des invités politiques dans l’audiovisuel public : sur une période longue (quatrième trimestre 2023), on observe une surreprésentation des invités politiques de gauche sur 4 chaînes de télévision publiques (France 2, France 3 national, France 5, France Info TV) alors que les représentants de la droite radicale ont bénéficié d’un temps de parole correspondant à la moitié de ses résultats au premier tour des élections législatives de 2022.

France Inter se révèle la chaîne de l’échantillon de notre première partie dont l’orientation politique et idéologique est la plus marquée avec 32% de participants répondant à la qualification « Socialiste et progressiste ». Sur une période longue (4e trimestre 2023), les gauches bénéficient d’une audience nettement supérieure à leur poids électoral (+50%) alors que la droite radicale connaît une sous-représentation considérable (-58%). La directrice de la chaîne Adèle Van Reeth assume cette orientation quand elle affirme : « Les faits, c’est que nous sommes une radio progressiste, et nous l’assumons » (Le Figaro, 28 mars 2024).

• Le magazine Complément d’enquête sur France 2 : l’analyse de 86 émissions sur 3 ans (mars 2021-mars 2024) montre que 38% d’entre elles peuvent recevoir le qualificatif de « Socialiste et progressiste » avec un regard souvent caricatural, trompeur ou même malveillant. L’étude explore 3 émissions en détail.

• Le traitement médiatique de l’annonce du projet de loi relatif à « la fin de vie » se révèle éminemment partial avec 65% d’avis exprimés favorables sur cinq chaînes sélectionnées (France Info Radio, France Inter, France Culture, les journaux télévisés de 13h et 20h de France 2 et les émissions C à vous et C dans l’air sur France 5) pendant cinq jours (11 au 15 mars 2024).

• La plateforme France TV Slash du groupe France Télévisions se révèle un exemple de promotion de la déconstruction auprès des jeunes. L’analyse des 16 programmes disponibles sur la plateforme le jeudi 23 février 2024 montre que 56% des programmes peuvent être qua-lifiés idéologiquement de « progressistes », le reste pouvant être considéré comme neutre. Elle fait donc la promotion de thèmes et de positions largement minoritaires dans la population. Elle illustre parfaitement le propos de Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions : « On ne représente pas la France telle qu’elle est parce que si on représentait la France telle qu’elle est, on aurait toujours 5% de femmes dans les expertes (…) mais on essaie de représenter la France telle qu’on voudrait qu’elle soit » (Assemblée nationale, 5 juillet 2023).

L’audiovisuel public français faillit à sa mission de pluralisme : une prise de conscience est indispensable

Au terme de cette étude, nous croyons que l’ensemble des éléments présentés permet d’établir le constat solide et argumenté que l’audiovisuel public faillit à sa mission de pluralisme en ce qu’il ne diffuse pas équitablement les différents courants d’opinion. Nous espérons qu’elle permettra la prise de conscience de ses responsables et de leurs tutelles et les poussera à prendre les mesures nécessaires à faire vivre réellement le débat démocratique.

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Les auteurs

Jean-Thomas Lesueur est titulaire d’un Master d’histoire moderne (Paris IV Sorbonne), pendant lequel il a travaillé sur l’émergence de la diplomatie en Europe occidentale à l’époque moderne. Il a débuté sa carrière comme rapporteur de groupe de travail à l’Institut Montaigne avant de participer à la création de l’Institut Thomas More en 2004. D’abord directeur des Études, il est devenu directeur général en 2007. Au sein de l’équipe de l’Institut Thomas More, il supervise le suivi de la vie politique française. Il s’intéresse en particulier aux blocages politiques et institutionnels propres au « modèle français », à la décentralisation et à la démocratie locale. Il réfléchit également aux questions migratoires et aux problématiques politiques liées aux enjeux culturels et identitaires en France et en Europe  

 

Aymeric de Lamotte est titulaire d’un Master en droit européen et international de la Katholieke Universiteit Leuven et d’un Master spécialisé en droit économique des universités de Gand, Bologne et Varsovie (un programme de l’Union européenne, Erasmus Mundus). Il est avocat au barreau de Bruxelles depuis 2015. Il défend, entre autres, de nombreuses personnes physiques et morales qui luttent contre le wokisme (décolonialisme, culture de l’annulation, théorie du genre, etc.) en Belgique francophone. Il siège dans l’opposition en tant que conseiller communal indépendant dans la commune de Woluwe-Saint-Pierre à Bruxelles. Il écrit régulièrement dans la presse belge et française, notamment dans La Libre Belgique et Le Figaro. Aymeric a rejoint l’équipe de l’Institut Thomas More pour accélérer son développement et renforcer son influence tant en Belgique qu’en France. Il dirige Justitia, le collectif d’avocats de l’Institut Thomas More qui offre une réponse juridique aux nouvelles intolérances