Visite de Xi Jinping à Paris · Pour une parole sans équivoque de la France

Laurent Amelot, directeur de recherche à l’Institut Thomas More

3 mai 2024 • Analyse •


Le président chinois Xi Jinping sera en France les 6 et 7 mai. A cette occasion, Laurent Amelot, qui a publié la note Quelle stratégie européenne face aux investissements chinois ?, explique pourquoi la France ne doit pas se laisser aller à la tentation d’une «troisième voie» face à la lutte que mène la Chine contre l’Occident.


Moins de trois semaines après que le chancelier Olaf Scholz, à l’occasion d’une visite de trois jours en Chine, à la mi-mai 2024, se soit vu opposer une fin de non-recevoir, Xi Jinping – qui minimisa ses inquiétudes sur l’iniquité des pratiques commerciales en Chine, protesta contre les enquêtes et les sanctions européennes à l’encontre des entreprises chinoises (qu’il considère comme du protectionnisme occidental à l’égard de la technologie de son pays) et nia tout rôle dans l’aide à la Russie dans son effort de guerre contre l’Ukraine – effectuera une mini-tournée en Europe qu’il débutera en France, les 6 et 7 mai, avant de se rendre en Hongrie, puis en Serbie.

Au-delà du caractère commémoratif de la visite, l’année du soixantième anniversaire de la reconnaissance française de la république populaire de Chine et du vingtième anniversaire de l’élévation au rang de « partenariat stratégique global » des relations bilatérales, c’est la symbolique qui associe Paris à Budapest et à Belgrade à l’occasion de cette tournée européenne qui questionne.

Si la Hongrie, pragmatique, apparaît tout de même comme l’oreille attentive de Pékin en Europe centrale et orientale et au sein de l’Union européenne, et la Serbie le pays-pivot de la politique chinoise dans les Balkans, la France cherche-t-elle à son tour quelque « accommodement raisonnable » avec Pékin ? Espère-t-elle quelques compensations à une posture équivoque et complaisante ? L’impression est troublante et demande à être rectifiée lors de cette visite de deux jours.

En effet, dans un monde en perte de sens et de boussole, où l’Occident est sur la défensive (même s’il se restructure) et l’ONU en perdition, la Chine de Xi Jinping réaffirme son ambition de réaliser son rêve de devenir la puissance centrale du système international à l’horizon de 2049. Pour atteindre cet objectif, elle conduit une double politique de compétition géopolitique et géoéconomique avec les États-Unis et plus globalement l’Occident et de remodelage de l’ordre international afin de l’imprégner de ses caractéristiques et de ses valeurs, selon une géométrie variable toutefois.

Ainsi, dans son hinterland maritime, la Chine adopte une posture offensive. Dans le prolongement de l’élection de William Lai à la présidence de Taïwan, en janvier 2024, et de l’incident de Kinmen, en février, la Chine affiche son intention de remettre en question la ligne médiane dans le détroit de Formose et le statut international dudit détroit, augmentant corrélativement la pression sur Taipei et interrogeant sur l’avenir de la circulation maritime dans une zone cruciale pour la Corée du Sud et le Japon, notamment. Plus au sud, en mer de Chine méridionale, Pékin poursuit ses manœuvres en zone grise et ses actions de grignotage contre les Philippines, voire le Vietnam, testant la solidité de l’alliance renouvelée entre Manille et Washington.

A l’inverse, dans les conflits d’Ukraine et à Gaza, la Chine reste plus en retrait. Si elle a esquissé, à l’hiver 2023-2024, une approche proactive en Ukraine avec son plan en douze points, cet épisode n’a pas été renouvelé. Et à Gaza, elle ne joue que les seconds rôles, tant son influence sur les protagonistes, en vue d’une amorce de dialogue, est limitée (malgré son parrainage donné au rapprochement entre l’Iran et l’Arabie saoudite en avril 2023). Aussi, sur ces deux théâtres, la Chine pense surtout à l’après-guerre et à la reconstruction, c’est-à-dire aux retombées politiques de manœuvres économiques – ce qui peut interroger sur les contours profonds de sa puissance et sur son mode de gouvernance, une fois devenue puissance centrale, dans un ordre international remodelé à son image.

Toutefois, cette posture permet à la Chine de polir cette même image sur la scène internationale et lui attire, à moindre coût, la sympathie d’un nombre croissant d’États, du Moyen-Orient à l’Asie du Sud-Est en passant par l’Afrique et l’Amérique latine. Son attitude à l’égard du conflit à Gaza a un impact significatif sur cette évolution. Ainsi, en Asie du Sud-Est, l’enquête d’opinion 2024 publiée par l’ISEAS-Yusof Ishak de Singapour précise que plus de la moitié des personnes interrogées préfère s’associer à la Chine plutôt qu’aux États-Unis, soit une augmentation de près de 12% par rapport à 2023. Une première, même si l’enquête précise aussi que 50% des interrogés font preuve de scepticisme à l’égard de la Chine et plus de 45% s’inquiètent de la mise en péril de leurs intérêts et de leur souveraineté en cas de mobilisation par la Chine de sa puissance économique et de sa puissance militaire.

Aussi, l’attractivité chinoise se renforce dans le fameux « Sud global » où l’Organisation de coopération de Shanghaï et les BRICS+ représentent d’utiles outils de mobilisation. Associée à la Corée du Nord, à l’Iran et à la Russie, qui lui offre une conséquente profondeur stratégique, la Chine est à l’avant-garde de la lutte contre l’Occident, à laquelle se dessine l’association de l’Arabie saoudite, au grand dam de Washington.

Face à cette perspective, la France ne doit pas se laisser aller à la tentation d’une « troisième voie », être Occident et « Sud global ». Si chaotique et insatisfaisant soit l’ordre du monde actuel, que chacun réfléchisse bien à ce que serait un monde dominé par Pékin, ses alliés et ses amis. Comme puissance, même fragilisée, elle doit faire entendre une voix claire – et sûre pour ses alliés.

Car elle ne peut, ni ne doit, agir seule. L’action doit se situer à l’échelle de l’Europe, dans un premier temps, à l’échelle de l’Occident, dans un second. En effet, si la Chine mise sur l’Europe pour écouler ses surproductions et ainsi déstructurer des pans entiers de son économie, la France et l’Union européenne doivent penser géopolitique et protection, à défaut de promotion, de leurs intérêts à court, à moyen et à long terme. Cela passe, notamment, à l’échelon politique, par une cohésion renforcée de l’Union et, à l’échelon économique, par une évaluation raisonnée des phénomènes de distorsion à la concurrence de la part de nos partenaires commerciaux, dont la Chine, et l’imposition ferme de sanctions, si nécessaire, contre ces derniers.

A l’échelle de l’Occident, l’Europe doit s’affirmer comme un pôle crédible de puissance, susceptible de coordonner ses actions avec celles de ses partenaires américain et asiatiques, dans le respect des valeurs et intérêts communs. La France a un rôle stratégique à jouer dans cette reconfiguration.