Nier la différenciation biologique des sexes, ce qui se cache derrière l’idéologie trans

Christian Flavigny, pédopsychiatre, psychanalyste, directeur de recherche à l’Institut Thomas More

29 mai 2024 • Entretien •


La différenciation biologique des sexes ne relève pas de l’opinion mais de la réalité scientifique. Il est cependant possible de respecter la biologie et les droits et la dignité des personnes trans. Retrouvez ici les réponses de Christian Flavigny, auteur de Comprendre le phénomène transgenre (Ellipses, 2023), à l’entretien croisé avec Olivier Vial, directeur du CERU, réalisé par Atlantico.


Les Républicains ont présenté un texte de loi concernant la transidentité des mineurs qui n’est pas sans provoquer un certain remous au Sénat. Il prévoit notamment l’interdiction des traitements hormonaux pour les mineurs et le contrôle script des prescriptions de bloqueurs de puberté. Que dire, pour commencer, de ce texte ?

Je valide complètement le rapport de la sénatrice Jacqueline Eustache-Brinio. Ses préconisations sont les bonnes et je regrette que la Commission cherche aujourd’hui à les dénaturer parce que, j’en suis convaincu, ce ne serait pas aller dans le sens de l’intérêt des enfants. Ce serait regrettable.

Que dit la science sur la question de la différenciation biologique des sexes ?

La science est très claire sur la question de la différenciation biologique des sexes. Entre les hommes et les femmes, les chromosomes sont différents, les organes sexués sont différents, même s’il est vrai que la question des personnes intersexes a pu brouiller les lignes et le débat. Il faut bien comprendre, toutefois, que c’est là une anomalie très rare, qui engendre la naissance d’un enfant avec des organes génitaux externes ne correspondant pas (ou ne semblant pas correspondre) à ses chromosomes. Il s’agit d’une malformation corporelle rare, de laquelle est née la théorie du genre. Des travaux scientifiques, concernant la politique à adopter dans ce cas de figure, ont été menés aux États-Unis comme en France et n’ont pas donné lieu aux mêmes conclusions.

Ce premier point étant évacué, il m’importe maintenant de rappeler que la question ne concerne pas seulement la différenciation biologique des sexes stricto sensu. Il s’agit aussi et avant tout de parler de la différenciation psychologique des sexes qui est tout l’enjeu de la dispute actuelle. Depuis plus d’un an, maintenant, les chercheurs travaillent sur une théorie psychanalytique concernant cette même question. Il en ressort que le sujet de la sexualité, de la construction de l’identité sexuelle, repose sur la connaissance par l’enfant de la réalité de son corps. L’enfant sait qu’il a un corps, qu’il soit une fille ou un garçon. C’est une vérité biologique incontournable. A partir de là, il faut que cet enfant soit en mesure de s’approprier son corps comme étant le sien. C’est ainsi que ce corps devient la base biologique de son soi. C’est là que l’on retrouve tout l’enjeu.

L’enfant, c’est systématique, veut répondre au mieux aux attentes de ses parents et à celles de ses pairs. S’il sent que, ayant un corps de garçon, ses parents le chérissent parce qu’il est un garçon, il va se construire dans l’identification au masculin et donc à son père. Inversement pour une fille. Quand les choses sont plus embrouillées, cela peut engendrer une forme d’hésitation, qui découle ensuite sur le questionnement que nous avons déjà évoqué.

Que dit a contrario l’idéologie trans sur la question de la différenciation biologique des sexes ? Dans quelle mesure peut-on affirmer qu’elle tend à la nier ?

Je préfère parler de théorie ou d’« utopie » trans plutôt que d’idéologie stricto sensu. Ceci dit, l’idéologie trans affirme que l’enfant qui, né dans un corps de garçon, se sent fille est victime d’une erreur de la nature. La nature s’est trompée en plaçant ce dernier dans un corps qui n’aurait pas dû être le sien, en somme. Cette simple affirmation permet assez aisément de comprendre que nous nous sommes considérablement éloignés de la science et que nous nous rapprochons bien davantage de l’opinion.

C’est une grille de lecture qui témoigne d’un certain désarroi et qui cherche à fournir des réponses à celui-ci. Il faut aussi comprendre que ces réponses émanent, pour l’essentiel, de la culture nord-américaine et que celle-ci s’avère parfois assez sommaire sur le plan psychologique. Elle ne tient pas compte du processus d’appropriation de son corps propre que nous avons évoqué et ne sait donc pas comment accompagner celui-ci, comme résoudre les éventuels problèmes qui peuvent se présenter à ce moment-là. Il s’agit d’affirmer que le sexe véritable n’est pas en adéquation avec le sexe ressenti, qu’il faudrait donc adapter le corps véritable au corps ressenti.

Quelles sont, précisément, les dérives de cette idéologie ?

La première des dérives qu’entraîne l’idéologie trans, c’est l’idée qu’il faudrait corriger le corps, l’adapter au ressenti de la personne. Pour y parvenir, il faudrait donc user d’aides médicales et chirurgicales qui in fine mèneraient au changement de sexe de l’individu concerné. Comprenons bien que ces opérations ne permettent pas de changer de sexe : tout ce que l’on peut faire, c’est changer l’apparence sexuée de la personne.

La discussion en cours au Sénat concerne les enfants et les adolescents. Il s’agit de débattre de la capacité de ceux-ci d’affirmer s’ils sont ou non de l’autre sexe. Le rapport des Républicains conteste la possibilité d’engager des mineurs dans les parcours médicaux associés à la transition sur la seule foi de leur parole. C’est là tout l’enjeu de ce qui se trame en ce moment.

Comprenons-nous bien : il ne s’agit certainement pas de nier le mal-être de ces enfants, pas plus qu’il s’agirait de ne pas écouter ce qu’ils peuvent dire. Cependant et si les adultes doivent entendre ce que les jeunes ont à dire, cela ne signifie pas qu’il faille prendre tout ce qui peut être dit au pied de la lettre. « Je suis de l’autre sexe » signifie avant tout « Je me sens en désarroi dans ce qui est ma sexualité ». C’est un message dont il faut tenir compte pour les aider et les accompagner correctement sans tomber dans les processus de transition qui, à cet âge-là, ne sont rien de plus qu’un leurre. Plus tard, vers 25 ans, ainsi que je l’ai écrit dans mon livre Comprendre le phénomène transgenre : la réponse par la culture française, la question se pose bien davantage et je n’ai pas de raison de m’opposer à la décision qu’un adulte, mature, peut avoir réfléchi. D’autant plus si celle-ci a été prise dans l’idée d’assurer son bien-être psychologique.