Réforme des collectivités territoriales · L’Europe a-t-elle des choses à nous apprendre ?

Jean-Thomas Lesueur, délégué général de l’Institut Thomas More et Céline Moyon, consultante, Public Evaluation System

2 mars 2009 • Analyse •


Alors que la Commission Balladur rendait au président de la République ses conclusions sur la réforme des collectivités en France, l’Institut Thomas More s’est associé à l’agence de notation des collectivités françaises Public Evaluation System pour conduire une étude sur l’organisation territoriale de 12 autres pays de l’Union européenne. Si « comparaison n’est pas raison », elle est au moins illustration… Petit tour d’horizon européen.


Chaque pays a bien évidemment une histoire et un système politique qui lui est propre : une analyse comparative en la matière n’a pas vocation à favoriser l’importation de solutions toutes faites, mais vise plutôt à éclairer les termes du débat français. Comment le Danemark a-t-il pu passer d’un système à 300 communes chapeautées par des provinces à un maillage de 99 communes aux compétences élargies face à des régions elles-mêmes renforcées ? Comment les départements roumains gèrent-ils l’aménagement du territoire en l’absence de régions institutionnalisées ? Comment le gouvernement fédéral allemand garantit-il à tous ses Länder des recettes équivalentes en tout point du territoire ? Comment le système belge fonctionne-t-il administrativement avec quatre échelons dont deux de même rang (les communautés et les régions) ? Comment l’Angleterre a-t-elle entériné dans son organisation un principe de géométrie variable, distinguant l’urbain du rural, conférant à Londres un statut ad hoc ? Derrière ces questions, trois constats peuvent inspirer notre propre réflexion.

Le nombre des échelons est-il un point de fixation légitime ?

Parmi les douze pays que nous avons étudiés, aucune réforme réussie n’a visé l’abolition d’un niveau de collectivité au profit d’un autre : si les provinces danoises ont été supprimées par exemple, elles ont été regroupées en régions plus autonomes vis-à-vis des municipalités et dotées de compétences élargies, notamment en matière de santé ; les systèmes anglais et portugais ont laissé coexister l’échelon municipal en charge des compétences « techniques » – districts et municipios – avec des paroisses infra-municipales, élues, chargées plutôt d’animer la vie de la collectivité et de tisser les solidarités. Le nombre d’échelons ignore la règle de trois : ici et là des systèmes à quatre ou deux échelons fonctionnent et produisent les trois strates d’intervention publique territorialisée : celle de la planification et parfois de la coordination, celle de la fourniture de services intermédiaires, et celle de la proximité. En Autriche, les Länder ont créé des « autorités administratives de districts » en déconcentrant certaines de leurs compétences tandis que les communes restent cantonnées à leur rôle de proximité. En Belgique, régions et communautés, institutions toutes deux de rang régional, ont des compétences exclusives l’une vis-à-vis de l’autre mais chacune nouent des partenariats avec les provinces et les communes selon leur domaine de compétence (la santé pour les premières, l’enseignement pour les secondes par exemple).

La prééminence du lien citoyen élu peut-il être un critère de sélection des échelons ?

L’élection des assemblées locales au suffrage universel direct est souvent retenue comme critère générateur de la collectivité. Au-delà du mode de scrutin, il ressort de la comparaison que tous les élus locaux ne bénéficient pas de la même légitimité auprès de leurs citoyens et face au pouvoir étatique. Les élus français jouissent ici d’une position privilégiée : les communes sont dépositaires de fonctions régaliennes et éminemment symboliques avec la tenue de l’état civil – les élus locaux sont ainsi les témoins de toutes les étapes de la vie des individus, de la naissance au décès en passant par le mariage – et l’organisation de la police municipale. Seules la Belgique, l’Italie et l’Espagne ont également confié à l’échelon local une compétence de police – la compétence incendie et sécurité civile est également dévolue pour les deux premières.

Dotée d’une identité historique et culturelle, quel que soit la construction de cette histoire, les institutions locales jouissent partout d’un crédit auprès des citoyens : on songe naturellement aux régions espagnoles ou aux Länder allemands, mais qui peut ignorer les protestations émises en France quand il s’est agit de supprimer le numéro de département sur les plaques minéralogiques? En 1998, un référendum convoquait les Portugais à répondre à la question suivante : accepteriez vous la suppression des 18 districts existants pour fonder un dizaine de régions dotées de compétences traditionnellement assumées par les districts et appuyées par l’Etat ? Le référendum s’est soldé par un échec et il n’existe à l’échelon régional que cinq entités étatiques déconcentrées.

Inversement, en Angleterre existent, jusqu’en 2009-2010, des Government Office Regions composées d’agences de développement et de chambres régionales. Les élus locaux des districts et des comtés siègent dans ces chambres. Les carrières politiques locales et nationales se recoupent très rarement et l’élu local est essentiellement considéré comme un fournisseur de prestations techniques. Les décentralisations menées par Tony Blair ont souvent consisté à déléguer des fonctions d’audit et d’évaluation de compétences toujours régies et exécutées au niveau national (par exemple la santé). La réforme des régions prévoit l’abolition des chambres régionales pour ne laisser que les agences de développement, entités quasi autonomes sur le plan fonctionnel mais extrêmement cadrée par l’Etat via ses financements et la législation en vigueur. Cette réforme s’inscrit dans le prolongement de l’échec d’un référendum organisé en 2004 dans le Nord-Est de l’Angleterre : les électeurs avaient refusé la constitution d’une assemblée élue au niveau régional.

Spécialisation ou subsidiarité : la fonction planificatrice et la clause de compétence générale

S’il n’existe pas de dogme en matière de nombre d’échelons, leur articulation semble se structurer autour de deux concepts clefs : la spécialisation et la subsidiarité. Ces deux termes sont trop souvent opposés alors qu’il faudrait voir entre eux une différence de degré plutôt que de nature.

En Allemagne par exemple, les communes sont en charge de l’accueil des jeunes enfants ; à l’échelon supérieur, les arrondissements sont responsables de l’hébergement et le soin des personnes âgées. Faut-il considérer cette répartition comme une spécialisation de chacun des échelons ? Ne peut-on pas plutôt considérer que la garde d’enfants se fait à l’échelon de proximité quand l’accueil médicalisé de personnes dépendantes requiert des moyens supérieurs à ceux dont dispose une commune ?

En Italie, les communes sont les pleines dépositaires des fonctions administratives sociales. Mais quand cette spécialisation ouvre la possibilité pour ces communes de déléguer à l’échelon supérieur l’exercice d’une compétence qui dépasse leur champ d’action, n’y a-t-il pas introduction d’une dose de subsidiarité ? Le principe de l’intérêt public local, pilier de notre organisation territoriale, s’accommode donc aisément de la subsidiarité introduite par la Charte européenne de l’autonomie locale de 1985.

On a pu lire la note que nous avons publiée comme un plaidoyer pour une Europe des régions. Ce n’était pas notre intention, mais partout nous avons effectivement observé qu’une instance doit planifier et coordonner les actions des différents échelons. Comment pourrait-on considérer les collectivités comme autant d’îlots de souveraineté quand leurs territoires sont imbriqués ? Il ne s’agit pas a contrario de se faire le chantre de la hiérarchie des échelons et de la mise sous tutelle de l’échelon local : en Roumanie, en l’absence de régions, les départements se sont constitués en associations pour coordonner et planifier l’aménagement du territoire ; en Italie, des conférences ont été inscrites dans la Constitution pour institutionnaliser le débat entre régions et Etat, entre régions et villes et entre les collectivités entre elles. Indépendamment de la légitimité sur laquelle peuvent s’appuyer diversement les collectivités, elles ne peuvent aspirer à devenir de pleines collaboratrices des politiques publiques et des interlocuteurs responsables de l’Etat que si elles sont associées aux processus législatifs et y participent de manière constructive.