La Chine menace l’économie, la souveraineté et la sécurité des nations européennes

Cyprien Ronze-Spillaert, chercheur associé à l’Institut Thomas More, et Alban Magro, économiste dans le secteur public

23 juillet 2025 • Analyse •


Le sommet UE-Chine du 24 juillet s’annonce tendu. La politique économique de Pékin vise à créer une Europe dépendante, et le continent doit réagir avant de mettre sa souveraineté en péril, alertent Cyprien Ronze-Spillaert et Alban Magro qui viennent de publier la note Prédation économique chinoise en Europe : il est temps de (ré)agir.


Le sommet entre l’Union européenne et la Chine du 24 juillet, initialement prévu pour célébrer les 50 ans des relations diplomatiques, a déjà été raccourci d’un jour. Il risque même de se limiter à un exercice symbolique, tant le dialogue semble dans l’impasse. Ces frictions ne sont pas anodines : elles révèlent l’ampleur des contentieux entre une Europe encore trop conciliante et une Chine résolue à étendre son emprise économique.

De fait, les tensions commerciales s’accumulent : en juin, l’UE a exclu certains équipements médicaux chinois de ses marchés publics, en réaction aux pratiques discriminatoires imposées par Pékin. La Chine a aussitôt riposté en ciblant les dispositifs européens du même secteur, tout en prolongeant son enquête antidumping sur les importations de porc. Auparavant, en avril, Pékin avait également restreint ses exportations de terres rares, notamment d’aimants aux terres rares dont elle détient le quasi-monopole. Ces restrictions visent à contraindre les industries automobiles occidentales, fortement dépendantes de ces composants, afin, notamment, de pousser Bruxelles à infléchir sa position sur les véhicules électriques chinois, largement subventionnés par l’État-parti. Mais l’UE refuse, pour l’instant, de céder à ces pressions.

Il est temps de comprendre que pour le Parti communiste chinois, l’économie est un levier politique. Pékin s’en sert pour asseoir sa domination, créer des dépendances durables et étendre son influence. La Chine exige un accès large aux marchés européens tout en verrouillant les siens.

Si la décision de l’UE d’exclure les dispositifs médicaux chinois des marchés publics européens va dans le bon sens et est la suite d’une série de mesures visant à protéger l’économie européenne de la concurrence déloyale chinoise (par exemple, la mise en place de droits de douanes sur les véhicules électriques), il est nécessaire d’aller plus loin.

En effet, la Chine représente une menace systémique, pas seulement pour l’économie européenne, mais pour la souveraineté et la sécurité des nations européennes. La Chine ne se contente pas de commercer avec l’Europe : elle la sape à bas bruit, par ses opérations agressives commerciales et financières. Après avoir acquis de nombreux actifs européens dans les années 2010, dont de nombreuses infrastructures stratégiques (par exemple : présence au capital de 14 grands ports européens ; acquisitions d’entreprises de semi-conducteurs dans les pays nordiques), la Chine cherche désormais à neutraliser notre industrie en inondant notre marché de biens subventionnés, comme les véhicules électriques de BYD. L’objectif de cet encerclement économique est clair : créer des dépendances pour accroître l’influence politique et diplomatique de Pékin en Europe.

Pour y parvenir, le pays investit massivement dans des surcapacités de production, au risque de provoquer, chez elle, une crise déflationniste et financière (l’inflation est négative ou proche de 0 % depuis mi-2023) et de mettre ainsi en péril son modèle économique intérieur. Ces surcapacités de production entraînent, par le jeu de la concurrence et des économies d’échelle couplés à d’importantes subventions publiques, des prix excessivement bas à l’exportation, permettant à Pékin de conquérir des parts de marchés en Occident.

Résultat ? La quasi-totalité des voitures électriques, panneaux solaires et éoliennes en Europe dépendent désormais de la Chine – soit par importation directe, soit via des composants clés qu’elle contrôle, comme le lithium, les terres rares ou le graphite. En ciblant ces secteurs stratégiques – transition écologique, énergie, défense, logistique portuaire –, Pékin construit des dépendances capables d’ébranler notre souveraineté, et potentiellement, notre sécurité.

Ces dépendances sont des armes. En 2021, la Chine a puni la Lituanie pour ses choix diplomatiques en bloquant ses exportations, puis en sanctionnant les entreprises européennes partenaires. Sans négociation. Sans avertissement. Face à ce comportement hostile, que penser des participations chinoises dans 14 ports européens ? Le port du Pirée, contrôlé par Cosco, est une emprise stratégique. En cas de crise – par exemple sur Taïwan – Pékin pourrait bloquer les chaînes logistiques, directement ou par des actions non revendiquées.

Cette guerre économique s’accompagne d’actions hybrides. Pékin n’hésite plus à déployer des agents, voler des technologies, procéder à des cyberattaques visant nos entreprises ou cibler des élus européens. Il est temps de comprendre que la Chine privilégie la conquête de marché à la rentabilité. Son but : faire tomber la base industrielle européenne et la remplacer. Cette stratégie lente et silencieuse sape nos chaînes d’approvisionnement, désorganise nos économies et fragilise nos pays et leur unité politique.

Si les Européens ne réagissent pas maintenant avec force et cohérence, ils perdront plus que des parts de marché : ils perdront leur souveraineté. Ils deviendront incapables de défendre leurs intérêts sans l’aval d’une puissance extérieure. Non par contrainte militaire mais par renoncement économique. Les succès d’entreprises comme Shein ou Temu doivent être pris au sérieux : ils incarnent cette vassalisation numérique et industrielle.

La Chine ne cache rien : elle veut un monde plus dépendant d’elle et elle-même moins dépendante du monde. Son objectif est le « grand renouveau de la nation chinoise » (Xi Jinping). Ce n’est pas un slogan : c’est une stratégie de « néo-hégémonie » assumée (selon la formule de l’historien et sinologue canadien Timothy Brook), visant à faire de la Chine la première puissance mondiale. Ainsi, la question n’est plus de savoir si la Chine constitue une menace pour l’autonomie de l’Europe. La question est de savoir si nous sommes assez courageux pour l’affronter avant que la porte ne se referme derrière nous.