Le Maroc, acteur du dialogue islamo-chrétien

Sophie de Peyret, chercheur associé à l’Institut Thomas More

7 février 2020 • Opinion •


Sophie de Peyret, chercheur associé à l’Institut Thomas More, vient de publier la note d’analyse « Nation et religion : l’expérience marocaine » (en savoir +).


Alors que depuis près de trois siècles, la science, les Lumières et le culte de la raison ont tenté de supplanter les croyances, la réalité du monde montre que l’époque est, comme l’écrit Gilles Kepel, à « la revanche de Dieu ». Au même titre que l’économie ou la politique, le religieux constitue indéniablement une clef de compréhension et une composante incontournable de la marche du monde. Parmi les manifestations les plus prégnantes de ce retour du religieux figurent la montée du fondamentalisme islamique et la récurrence des attentats terroristes qui en découlent. Pour endiguer ce fléau mondial qui frappe indifféremment les pays d’Orient et d’Occident, riches ou émergents, musulmans ou non, les États usent de leviers multiples qui vont du sécuritaire au social, en passant par l’éducatif et le diplomatique. Mais si ces outils se révèlent indispensables, ils ne doivent pas occulter l’exploration d’une autre voie, celle du fait religieux proprement dit. Le dialogue interreligieux en général, et islamo-chrétien en particulier, ne doit pas être négligé.

En effet, face à l’ennemi, unanimement identifié et universellement combattu qu’est le fondamentalisme islamique, il faut l’association de toutes les forces. « Nous sommes condamnés au dialogue », martelait inlassablement le Cardinal Jean-Louis Tauran, lorsqu’il présidait le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux auprès du Saint-Siège. C’est ce qu’a intégré le Maroc qui, par la voix du roi Mohammed VI évoquait en 2016 « la nécessité d’une coopération impérieuse et inéluctable entre les adeptes de toutes les religions ».

Ce tropisme au dialogue n’est pas nouveau dans le royaume chérifien. Au fil de son histoire, il a toujours été amené à composer avec de multiples minorités religieuses sur son sol (juifs, chrétiens, chiites, etc.). L’expérience du monastère de Toumliline en est une parfaite illustration. Pendant seize ans (1952-1968), une communauté de moines bénédictins installée dans le Moyen Atlas a permis de rassembler chaque été de nombreux intellectuels et penseurs, notamment musulmans et chrétiens, pour discuter et débattre. Aujourd’hui plus que jamais, le Maroc mesure l’importance des échanges interculturels et se pose comme un acteur du dialogue interreligieux.

La partie la plus visible de cette volonté marocaine reste les relations tissées entre le Commandeur des croyants et le Pape. Tous deux dépositaires d’une autorité temporelle et spirituelle, ils peuvent s’entretenir d’égal à égal aussi bien des questions politiques que doctrinales. En 1985, Hassan II avait été le premier chef d’État d’un pays arabe à recevoir un souverain pontife, Jean-Paul II à l’époque. Trente quatre ans plus tard, en mars 2019, Mohammed VI accueille à son tour le Pape François qui appelle à « développer et assumer constamment et sans faiblesse la culture du dialogue comme chemin à parcourir, la collaboration comme conduite, la connaissance réciproque comme méthode et critère. »

Plus loin de l’exposition médiatique, et au-delà des déclarations d’intention, le Maroc met également en œuvre un certain nombre de programmes destinés à favoriser les échanges entre monothéismes. L’Institut œcuménique al-Mowafaqa (Rabat) s’inscrit dans cette dynamique où les différents cursus permettent non seulement d’étudier, de promouvoir mais surtout d’expérimenter le dialogue. En affirmant que « par l’apprentissage du dialogue interculturel et œcuménique, il s’agit de lutter contre la tentation de radicaliser son identité en opposition aux autres » la structure annonce nettement ses objectifs. Quant à l’Institut Mohammed VI de formation des imams, il intègre à sa formation des enseignements obligatoires sur le christianisme et le judaïsme.

Deux paramètres sont susceptibles d’expliquer pourquoi le Maroc peut ainsi s’engager sur la voie du dialogue. Le premier relève de la conception marocaine de la religion, la wasatiyya (ou « islam du juste milieu »), directement issue du rite malékite en vigueur depuis des siècles. Alors que d’autres structures politiques ou universitaires optent pour une lecture littérale et hors-sol des préceptes islamiques, le royaume chérifien s’efforce depuis longtemps de montrer son attachement à l’esprit plus qu’à la lettre des normes religieuses, à l’intérêt général et au contexte. En d’autres termes, c’est bel et bien cette conception de la wasatiyya qui autorise le dialogue tout autant que le dialogue nourrit la wasatiyya.

De plus, l’exercice du dialogue exige d’être au préalable solidement ancré dans sa propre foi. Or, le Maroc, conformément à son histoire, à ses traditions et à ses institutions, reste un « État musulman » dans lequel « l’islam est la religion de l’État », selon les termes de la constitution de 2011. Dans un pays où la religion est ainsi assumée, le dialogue n’est pas un risque mais un moyen de réfléchir avec d’autres en se décentrant d’une vision exclusivement islamique.

Bien sûr, la lucidité impose de reconnaître que le dialogue interreligieux à lui seul ne suffira pas à endiguer le fondamentalisme. Il peut néanmoins y contribuer dès lors qu’il repose sur des échanges authentiques qui ne font pas abstraction des points de divergence et se révéler fructueux si chacun admet qu’il ne constitue pas une fin en soi mais un moyen d’œuvrer ensemble contre une menace commune.