Entreprises en difficulté · Pour une refondation du système français

Sébastien Laye, chercheur associé à l’Institut Thomas More

Juin 2021 • Rapport 24 •


Sébastien Laye présente son rapport sur BFM Business


La sortie de crise et la fin des mesures de soutien vont avoir un effet étalé mais significatif sur les défaillances d’entreprises et l’emploi

Si les mesures massives de soutien à l’économie ont permis d’éviter le pire pendant la crise sanitaire, le chiffre des défaillances d’entreprises est à surveiller de près dans les prochains mois. En effet, la France n’aura sans doute pas à affronter un « mur des faillites » dans les tout prochains mois mais le fardeau de dizaines de milliers d’entreprises en difficulté pendant plusieurs années.

Cette perspective justifie la remise à plat de l’ensemble du système français d’accompagnement des entreprises en difficulté

Des acteurs de plus en plus nombreux appellent à une réforme de fond du système (le rapport Ricol en avril dernier, le rapport des sénateurs François Bonhomme et Thani Mohamed Soilihi en mai, la mission de l’Assemblée nationale présidée par Romain Grau qui rendra ses travaux en juillet). Nous apportons aujourd’hui notre contribution.

Le système français d’accompagnement des entreprises en difficulté doit être mis au service des entreprises et des femmes et des hommes qui les font vivre chaque jour

Il convient de le réformer afin que certaines pratiques, certaines habitudes changent vraiment. Il convient de le simplifier afin que le chef d’entreprise pousse la porte du tribunal de commerce avant qu’il soit trop tard pour son entreprise. Il convient de l’ouvrir afin de briser les trop nombreuses barrières qu’il trouve sur sa route quand son entreprise va mal. Il convient de le renforcer afin que l’ensemble des acteurs de l’entreprise (dirigeants et salariés) soient mieux protégés.

L’Institut Thomas More formule 45 propositions en vue de faire du système d’accompagnement des entreprises en difficulté un système incitatif, efficace, transparent et cohésif

Incitatif, pour que l’entrepreneur soit invité à traiter les difficultés de son entreprise le plus tôt possible, dans un cadre qu’il ne redoute pas et avec des interlocuteurs de confiance

Efficace, pour que les difficultés soient traitées rapidement et de manière équilibrée entre les différentes parties prenantes de l’entreprise (actionnaires, créanciers et salariés)

Transparent, pour que les rémunérations et les pratiques de tous les intervenants servent les intérêts de l’entreprise en difficulté dans un climat de confiance ;

Cohésif, pour que l’accompagnement de l’entreprise soit autant celui du dirigeant que celui des salariés, au bénéfice de la cohésion de l’entreprise.

La démarche que nous proposons est exhaustive, claire et sans tabous

En traitant tous les aspects du problème (financement des entreprises, procédures préventives, administrateurs et mandataires judiciaires, justice consulaire et tribunaux de commerce, restructuration et créanciers, renforcement du régime de garantie des salaire AGS et protection des salariés, PGE et dettes fiscales et sociales, arbitrage et indépendants), nous proposons une démarche exhaustive (nous n’avons rien laissé de côté), claire (sans langage juridique abscons, notre rapport parle la langue des entrepreneurs) et sans tabous (les sujets qui fâchent sont abordés sous un angle pratique et applicable).

Nos propositions

1. Regrouper tous les dispositifs relatifs aux entreprises en difficulté sous le nom de « Mécanismes de prévention de la liquidation » (MPL)

Financement des entreprises

2. Réduire les délais de paiement pour améliorer la trésorerie des PME et des TPE en difficulté

3. Mieux organiser la réserve de propriété

Procédures préventives

4. Engager un effort massif d’information sur les procédures préventives en direction des entrepreneurs

5. Imposer à l’État de proposer systématiquement l’étalement du remboursement des passifs publics, qui est le plus important pour les TPE, en cas de difficultés

6. Réduire les coûts des procédures préventives stricto sensu en laissant les professionnels de l’insolvabilité accompagner le dirigeant systématiquement dans la prévention et les licenciements

7. Favoriser l’intervention de l’AGS en procédure de prévention

Administrateurs et mandataires judiciaires

8. Étendre à toutes les procédures le changement d’administrateur judiciaire en cas d’échec sur un dossier

9. Mettre fin au taux horaire pour les administrateurs et les mandataires judiciaires

10. Permettre la pleine transparence sur l’identité des administrateurs et des mandataires judiciaires ainsi que des autres prestataires (avocats, banquiers d’affaires, consultants, etc.) nommés dans le cadre d’une procédure collective ou préventive

11. Obliger chaque tribunal de commerce à publier le taux de rotation des intervenants

12. Améliorer la transparence sur ce qui se passe pendant l’administration judiciaire (publicité des rencontres et des décisions)

13. Stimuler la création d’équipes pluridisciplinaires lors du traitement des difficultés avec des managers de transition issus du même secteur

Justice consulaire

14. Demander aux juges consulaires une déclaration annuelle sur l’honneur de leurs intérêts économiques et la rendre publique

15. Renforcer par la loi le contrôle effectif sur les conflits d’intérêts potentiels des juges

16. Revoir les règles de compétence des juridictions et avoir recours au dépaysement, quand c’est nécessaire, afin d’éviter les conflits d’intérêts et de pallier l’émiettement de l’expertise

17. Favoriser l’hybridation et le mélange entre magistrats professionnels et élus dans les juridictions consulaires

18. Permettre au parquet d’intervenir dans les procédures au-delà de l’infraction pénale

19. Mieux contrôler les abus des dirigeants en matière de dépôts de bilan

Tribunaux de commerce

20. Nommer dans chaque tribunal de commerce un référent « Premières difficultés », qui jouera le rôle de conseil confidentiel auprès du chef d’entreprise

21. Renforcer les moyens financiers alloués au tribunal de commerce

22. Créer une rémunération officielle et transparence du président du tribunal de commerce

23. Éviter de faire reposer sur les mêmes personnes la prévention et la répression en enlevant au tribunal de commerce la responsabilité des sanctions

24. Mettre fin à l’imprescriptibilité des faits donnant lieu à des sanctions par le tribunal de commerce contre un dirigeant d’entreprise

Dossiers de restructuration

25. Asseoir l’assiette de calcul des honoraires des conseils (avocats, banquiers, etc.) dans les dossiers de restructuration à une création de valeur objective (injection de capital frais ou réduction de la dette nette)

26. Exiger ex ante la transmission par les préteurs aux emprunteurs du montant maximal de frais liés à la transaction de prêt

27. Classer les créanciers en fonction de leur rang et mettre la décision finale entre les mains de la « classe pivot »

28. Permettre aux créanciers des « classes pivots » de proposer un plan concurrent à celui du tribunal de commerce

Créanciers

29. Mettre en place des mécanismes forcés lors du vote des créanciers permettant de passer outre les créanciers récalcitrants

30. Aligner le crédit-bail sur le crédit classique dans les procédures collectives

31. Permettre aux entreprises de déroger aux principes généraux de la défaillance en offrant aux créanciers, au moment où le crédit est accordé, la faculté d’utiliser une forme d’administration séquestre inspirée du droit anglais

Protection des salariés

32. Réaffirmer dans la loi le premier rang du superprivilège des salaires, la subrogation de l’AGS en la matière et sa position superprivilégiée ensuite à ce titre, ainsi que le versement des avances par l’AGS en l’absence de fonds disponibles dans la procédure collective

33. Élargir le champ d’intervention de l’AGS, par exemple en matière de reclassement ou de maintien de l’employabilité des salariés, ou encore s’agissant des groupements d’employeurs

PGE et dettes fiscales et sociales

34. Privilégier les aides sectorielles en sortie de crise, dès septembre 2021

35. Laisser le guichet des PGE ouvert jusqu’à la fin de l’année 2021 pour les petites entreprises, et allonger les maturités des PGE à dix ans quand elles le demandent

36. Envisager des étalements systématiques de remboursement, et même des réductions de dettes fiscales et sociales, dans les cas les plus graves mais où le business model de l’entreprise est cependant viable

37. Forcer, pour les grandes entreprises ayant reçu un PGE, en particulier celle où l’État est déjà actionnaire, la conversion en fonds propres d’ici mi-2022

38. Mettre en place un guichet unique pour les exclus des aides et un régime d’indemnisation pour tout commerce, similaire à celui des catastrophes naturelles

39. Favoriser les conversions des PGE et des dettes en fonds propres à chaque fois qu’une entreprise le demande et dans les cas les plus difficile relevés par ses services

40. Appuyer le transfert des actions nouvellement créées (dettes converties) à des plans de participation au profit des employés

41. Faciliter, dans les autres cas, la mise en place de fonds PGE gérés par le secteur privé, levant de l’épargne populaire et capables de racheter à l’État ces créances converties en actions ou des titres hybrides

42. Inciter les banques à adapter leurs normes prudentielles en matière d’étalements de prêts et d’abandon de créances

Arbitrage

43. Introduire une personne tierce dans les procédures collectives, arbitre des sujets de transparence, que toute partie pourrait saisir en cas de doute sur cette question

Indépendants

44. Faire intervenir le régime AGS en garantie des sommes dues aux travailleurs indépendants, sous plafond, dans le cadre d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire

45. Instaurer un plafonnement des sommes indemnitaires garanties par les AGS, par exemple à la moitié du plafond général et, lorsque ces montants sont fixés par la loi, seulement dans la limite des montants légaux

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L’auteur du rapport

Sébastien Laye est chercheur associé à l’Institut Thomas More. Diplômé d’HEC Paris et de Sciences Po Paris, il est l’auteur de deux livres : Stratégies d’investissement (Ellipses, 2013) et Capital et Prospérité. Le retour de la croissance pour tous (éd. Alternative démocratique, 2016). Il est par ailleurs entrepreneur dans le domaine de l’immobilier et du financement de l’immobilier en Europe et aux États-Unis, où il a lancé sa première société de conseil en 2011. Il a aussi été actif dans le domaine des infrastructures françaises. Il est l’auteur, avec Franck Morel, de la note Face au mur des faillites d’entreprises : comment mieux protéger les salariés ? (février 2021, disponible ici) et a réalisé l’étude Entreprises en difficulté : que vaut le régime d’insolvabilité français ? Analyse comparative internationale (avril 2021, disponible ici

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