Mais pourquoi la France et l’Europe sont-elles autant à la traîne pour retrouver leur trajectoire de croissance pré-Covid ?

Sébastien Laye, chercheur associé à l’Institut Thomas More

29 juin 2021 • Entretien •


Après 6 mois, la Chine avait déjà retrouvé son niveau de croissance antérieur à la pandémie. Pour les États-Unis, il aura fallu 18 mois. Mais quasiment 3 ans pour la France. L’analyse de Sébastien Laye.


Six mois après le début de la crise sanitaire, la Chine a déjà retrouvé son niveau de PIB antérieur à la pandémie. Pour les États-Unis, il a fallu 18 mois. Selon les prévisions de l’OCDE il faudra quasiment 3 ans pour la France et à peu près autant pour les autres pays d’Europe pour arriver au même stade. Comment expliquer cet écart si important dans la reprise économique ?

Sur la base de la fin du quatrième trimestre 2019, l’OCDE prévoit un retour du PIB français au niveau pré-crise à l’automne 2022, là où en effet les États-Unis ont déjà retrouvé leur niveau pré crise. Ce temps long s’explique d’abord par l’ampleur de la récession en 2020, qui fut de 8,3% en France et de 6% en Europe contre 3,6% aux États-Unis. Une plus forte récession engendre nécessairement un retour à la normale plus poussif, en dépit de la forte croissance (plus de 5%) attendue en France cette année (les États-Unis seront sur le même niveau et sont en croissance en réalité depuis la rentrée 2019, ce qui n’est pas notre cas car nous sortons à peine techniquement de la récession du Covid). Arithmétiquement, quand on perd 8,6% de son PIB puis en regagne 5%, on se situe toujours, fin 2021, 3% en dessous du niveau de PIB de 2019.

Par ailleurs, même si le rebond français, qui a commencé début juin, devrait être extrêmement puissant du fait d’un effet rattrapage et réouverture presqu’aussi fort qu’en juin 2020, nous ne pouvons pas être certain de conditions sanitaires totalement normales et donc d’un cadre d’activité classique au cours du second semestre 2021 : les lenteurs de la vaccination, l’arrivée de variants, pourraient donner lieu à une dernière vague de mesures à l’automne et entamer ainsi l’acquis de croissance de 2021.

Enfin, l’économie française, essentiellement axée sur les services à la personne, souffre plus que d’autres de ces restrictions et du retour complexe du consommateur aux pratiques d’antan : manifeste durant les étés (en 2021 comme en 2020), ce retour du consommateur aux achats physiques, à la fréquentation des restaurants et du cadre urbain, n’est pas forcément durable. Par ailleurs, alors que je publie un rapport sur les entreprises en difficulté, le fardeau des faillites et difficultés des petites entreprises sera avec nous de longues années si nous ne faisons rien. Si 2021 et même 2022 seront des années (probablement inégales) de fort rebond, nous ne savons rien de la vraie trajectoire de croissance de la France au cours des prochaines années, et de son réel potentiel : cela dépendra de la politique monétaire européenne d’une part, d’autre part du contexte politique qui sera favorable ou non aux changements attendus en matière de fiscalité, de coût du travail et d’investissement.

La France et l’Union européenne se sont dotées d’un plan de relance relativement ambitieux quantitativement, celui-ci n’est-il pas suffisant ? Ne vise-t-il pas les bons secteurs ?

Les Américains et les Européens n’ont pas la même doctrine en matière de relance. Vous avez précisé dans votre première question que presque quinze mois sépareraient vraisemblablement les deux continents en matière de retour au PIB pré-crise. Mais ce n’est pas l’objectif des Américains. Ils souhaitent aussi récupérer la croissance du PIB qui aurait dû avoir lieu en 2020 : en l’absence du Covid, l’économie américaine aurait dû croître de 2% en 2020 – la cible est donc de retrouver le niveau de PIB qui aurait dû être atteint si le Covid n’était pas survenu.

Par ailleurs, la Banque Centrale et l’administration Biden ont aussi lancé une réflexion sur le niveau de croissance potentielle de long terme de l’économie américaine, jugeant le niveau des années suivant la crise financière (2010-2015, sous Obama), anormalement bas. Faisant fi des risques d’inflation ou de surchauffe, les différents plans et stimulus monétaire sont calibrés pour mettre l’économie américaine sur une trajectoire de 3% par an au moins durant toute la décennie. D’où les 4 trillions engagés et un programme massif d’infrastructures.

On ne retrouve rien de tout cela en Europe : le plan de relance européen de 750 milliards a été essentiellement destiné à lutter contre la récession du Covid et il l’est encore, quand bien même peu de crédits ont été engagés en France. Il permettra à la France de soutenir son rebond technique en 2021 et 2022, de commencer une transition énergétique sérieuse et d’accompagner les secteurs en difficulté. Mais il n’est pas assez ambitieux, pas assez porté sur les infrastructures par exemple, pour porter notre croissance pendant plusieurs années. Il commet aussi l’erreur de ne pas suffisamment associer le secteur privé et de comporter trop de dépenses de fonctionnement classiques habilement présentées comme des investissements d’avenir.

Que faudrait-il faire pour que l’effet de rebond prédit et attendu à la fin de crise sanitaire ait réellement lieu en France et en Europe ?

Il a déjà lieu sur le terrain car les entreprises doivent reconstituer leurs stocks, relancer les chaînes de production, s’adapter à de nouveaux usages. On ne peut pas leur reprocher de ne pas faire leur travail, les entrepreneurs sont au rendez-vous de la reprise, il faut le claironner haut et fort ! Les ménages ont une épargne considérable qu’ils vont dépenser au moins pour les deux prochains mois estivaux.

Mon souci porte plus sur l’après : d’une part, nous n’avons pas mis en place au cours du quinquennat Macron les grands changements (en matière de fiscalité, de coût du travail, d’investissement, d’éducation et de formation) qui nous auraient permis d’élever notre croissance potentielle. Une fois l’effet rebond Covid passé et sans soutien monétaire de la BCE, nous n’avons pas beaucoup d’arguments pour croître de plus de 1% par an. D’autre part, il n’y a pas comme aux États-Unis une ambition industrielle, un volontarisme fort des autorités politiques et des banquiers centraux, pour nous propulser dans une nouvelle ère d’investissements plus élevés et de grands changements comme aux États-Unis ou en Chine : l’ambition politique fait clairement défaut. Fort heureusement pour nous, les entrepreneurs de terrain s’efforcent de trouver de solutions pour créer nos emplois et notre croissance de demain. Peut-être pourraient-ils aussi aider notre pays en se souciant de politique et en se présentant à des élections !