L’allocation étudiante universelle proposée par l’Unef serait une aide antisociale

Lyvann Vaté, chercheur associé à l’Institut Thomas More

30 août 2022 • Opinion •


La présidente de l’Unef a demandé la création d’une « allocation d’autonomie universelle » pour tous les étudiants. Pour Lyvann Vaté, étudiant à l’INALCO, à l’HESS et à l’ENS qui prépare une thèse de doctorat qui portera sur la notion de mérite dans la pensée morale et politique contemporaine, auteur de la note de l’Institut Thomas More Restaurer la valeur du mérite dans les politiques éducatives, cette proposition empêche toute récompense du mérite et détruit les conditions d’une politique sociale efficace.


Péremptoire, bruyante et rebattue, la revendication d’une allocation d’autonomie « universelle » est un rituel de certains syndicats étudiants à chaque rentrée universitaire et à chaque mouvement social étudiant d’ampleur. L’Unef, par la voix de sa présidente Imane Ouehladj, n’y a pas déroger la semaine dernière. Pourtant, cette revendication obstrue la réflexion sur les solutions à apporter à la précarité étudiante.

Personne, parmi ceux qui s’intéressent de près au système éducatif français, ne peut nier l’ampleur de la pauvreté étudiante. Personne de bonne foi ne peut ignorer que les moments de crise économique touchent plus durement les publics les moins stables financièrement, à commencer par les étudiants qui, sauf à compter sur l’aide familiale, ne perçoivent pas encore de revenu stable. Personne ne peut minorer l’accroissement de la précarité qui affecte les étudiants, dans un pays où, à titre d’exemple, plus de la moitié des bénéficiaires des Restos du cœur a moins de 25 ans – dont une part considérable de mineurs – et où un jeune sur trois a déjà renoncé à des soins.

La nouvelle responsable de l’Unef, Imane Ouehladj, qui a succédé à Mélanie Luce sans opérer de rupture de ligne à sujet, vient donc d’opposer la même proposition en forme de slogan : l’allocation d’autonomie « universelle », entendue comme une aide attribuée « sur simple demande » et sans prise en compte du revenu de la famille.

Cette idée d’universalité des aides aux étudiants n’évacue pas seulement la pertinence d’aides fondées sur le mérite scolaire, qui profiteraient aux meilleurs parmi les plus défavorisés, en reconnaissant la valeur du travail et de l’effort individuel tout en faisant de l’excellence l’horizon de toute formation professionnelle ou poursuite d’études. L’universalité interdit aussi toute discussion sur les critères sociaux d’attribution des aides : si cette allocation étudiante était universelle, elle profiterait à tous, donc y compris aux étudiants qui n’en ont pas besoin – tout en ayant un coût, rarement estimé d’ailleurs, non négligeable pour l’État. Fausse générosité et solidarité frauduleuse que celles qui, sous prétexte de ne pas « discriminer » (selon des critères sociaux) finissent par promettre à chacun le même revenu, sans égard pour l’extraction sociale des étudiants.

Le même revenu ? Cela n’est d’ailleurs pas si sûr : on sent bien la difficulté posée par cette universalité… dont Mélanie Luce avait écrit, l’an dernier, qu’elle devait être « calculée en fonction de la situation de l’étudiant et non de ses parents » et dont on pouvait alors envisager que le montant varierait en fonction des situations particulières. Or, la mesure semble avoir évoluer et prend désormais la forme d’un revenu étudiant minimum équivalent au seuil de pauvreté : ce qui revient à virer presque 1 100 euros tous les mois sur le compte des étudiants, sans même prendre en compte le revenu fiscal de référence du foyer, et donc sans s’assurer que l’aide ne bénéficie qu’aux plus modestes.

Puisque le sens même de l’universalité implique de verser l’aide à tous, puisque ses promoteurs revendiquent son inconditionnalité, rien ne garantit que cette allocation ne soit pas versée, par exemple, à des étudiants issus de familles aisées qui ont les moyens de subvenir aux besoins de leurs enfants pendant la durée de leurs études. Le refus de distinguer sur critères sociaux abolit la dimension sociale même de l’aide. Aux yeux de ceux qui souhaiteraient une politique sociale toujours plus redistributive, l’universalité devrait apparaître comme un frein évident à la prise en compte des situations particulières, et donc à l’efficacité de toute mesure prétendument « sociale ».

Mais l’universalité comme principe de redistribution ne détruit pas seulement les conditions d’une politique sociale efficace. Elle empêche le principe du mérite de poursuivre sa vocation première, la juste récompense des efforts de chacun. Elle rend caduc tout dispositif fondé sur le mérite, impliquant d’aider davantage ceux qui ont fourni un effort personnel reconnu comme remarquable pour atteindre l’excellence. En somme – et c’est pour cela qu’elle est injuste sous couvert de générosité – l’universalité nie la valeur spécifique du travail accompli par l’étudiant qui, venant d’un milieu modeste, a pu se hisser au plus haut niveau. Certes, plus personne ne peut raisonnablement attendre de l’Unef la défense des dispositifs fondés sur le mérite. Plus aucun syndicat de gauche ne reprendrait ce qui a été pendant longtemps la substantifique moelle de l’éthique républicaine, à savoir le primat de la méritocratie sur le népotisme. Parmi ceux-là, aucun ne décrierait la division par deux de l’aide complémentaire au mérite, décidée par le gouvernement socialiste de François Hollande, contribuant directement à l’appauvrissement des étudiants les plus méritants parmi les plus précaires. Mais que ces mêmes organisations de gauche, comme l’Unef, ne défendent même plus l’attribution des aides sur critères sociaux – ce qui pourrait être tenue comme la condition première de toute aide sociale – appelle pour le moins l’étonnement.

On ne peut pas réduire le problème de la précarité étudiante à un débat entre les partisans d’une politique sociale « plus distributive » et les pourfendeurs de « l’assistanat » : ici, c’est la modalité même de la distribution qui est contestable car son inconditionnalité transforme l’aide sociale en aide anti-sociale. Présentée comme la panacée à un problème lourd, l’allocation d’autonomie asphyxie un débat qui a déjà du mal à émerger, sur les réponses à la précarité étudiante.

En considérant l’État comme une sorte de guichet après duquel on pourrait, sur « simple demande », obtenir une somme mensuelle bien supérieure à n’importe quel échelon de bourse, et même supérieure au revenu d’un travail à temps partiel auquel les étudiants modestes ont souvent recours, l’idée d’une allocation d’autonomie universelle prive le débat public d’une juste réflexion sur l’insuffisance du montant des bourses sur critères sociaux, et sur la pertinence des critères d’attribution qui en excluent les enfants de la classe moyenne et ne sécurisent pas les étudiants issus de milieux pauvres. Plus encore, elle disqualifie par principe les dispositifs fondés sur le mérite. La baisse scandaleuse de la bourse au mérite n’est jamais dénoncée par ces syndicats de gauche – parce qu’ils refusent la simple mention de cette valeur – alors qu’elle affecte les plus travailleurs et les plus prometteurs sans les sortir d’une précarité parfois très forte. La durée d’éligibilité de la bourse au mérite n’est jamais remise en cause, alors que, restreinte aux premières années post-bac, elle précarise les étudiants boursiers les plus brillants durant leurs années de master. Le débat sur les internats d’excellence n’a jamais été correctement posé ni conduit, alors qu’ils avaient précisément vocation à préparer dans les meilleurs conditions les élèves de milieux modestes les plus talentueux et les plus travailleurs au diplôme du baccalauréat pour s’engager ensuite sereinement dans leur formation universitaire.

Par ailleurs, on peut tout à fait promouvoir une aide fondée sur le mérite pour les plus travailleurs et une amélioration du filet de sécurité pour les autres. On peut superposer une vraie reconnaissance du mérite pour quelques-uns et un système de bourses plus protecteur pour tous : les deux impliquent de toute façon de prendre en compte les parcours singuliers et le revenu de la famille, ce que rejette le principe d’universalité.

Ce débat sur la précarité étudiante n’a pas pu avoir lieu lors de la campagne présidentielle, pendant laquelle les sujets liés à l’éducation, à l’enseignement supérieur et à la jeunesse ont été largement ignorés. Mais il nécessiterait à l’évidence d’accepter de distinguer selon les situations sociales en abandonnant l’idée d’une aide inconditionnelle – qui entraîne de plus un rejet massif du contribuable – et en calibrant les aides de manière à mieux accompagner les étudiants les plus en difficulté. De la même façon, revaloriser le mérite des étudiants brillants issus de milieux précaires, reconnaître la valeur  des efforts individuels fournis, permettre l’épanouissement des meilleurs  au bénéfice du plus grand nombre nécessitent de prendre en compte les situations sociales particulières et non de les ignorer sous le prétexte d’une « universalité » aveugle à la singularité des parcours et aux conditions économiques spécifiques de chacun.