8 octobre 2023 • Opinion •
Pour Le Journal du dimanche, Christian Flavigny, qui vient de publier Comprendre le phénomène transgenre. La solution par la culture française (Ellipses, 2023, en savoir +), explique la différence fondamentale entre les cultures psychologiques anglo-saxonne et française et pourquoi il y a urgence pour la seconde à ne pas suivre la première dans son impasse de l’explication du malaise de certains jeunes par l’idée d’un « bug naturel » qui conduit systématiquement au recours aux traitements médicamenteux.
Le phénomène transgenre questionne aujourd’hui la société française, suscitant un débat entre la compréhension qui s’en est déployée aux États-Unis, et celle émanant de la culture psychologique française. Comment comprendre que des personnes, adultes, adolescents, parfois même enfants, disent se sentir « dans le mauvais corps » et demandent à “transitionner” vers l’autre sexe, qu’ils tiennent pour être « leur véritable sexe » ? S’agit-il d’une « erreur de la Nature » justifiant la transition médico-chirurgicale réparatrice ?
Telle n’est pas la conclusion des études françaises, depuis leur compréhension de ce qui fonde l’identité sexuée construite sur la conciliation de ces deux données : le constat corporel d’être garçon ou fille et l’inscription dans la vie familiale comme fils ou fille de ses parents. Il en résulte une « évidence » d’être un garçon ou bien une fille – « évidence » qui se refuse si cette conciliation peine à s’établir, entraînant un profond désarroi. Celui-ci est l’effet d’un tiraillement qui fait craindre à l’enfant de ne pouvoir combler au mieux l’attente de ses parents. Cela peut ancrer un vœu de changer de sexe aux tréfonds de la vie psychique, l’autre sexe s’inscrivant comme « le véritable sexe » qu’il faudrait donc rejoindre. La « transidentité » devenant le socle de la personnalité. Il s’impose de respecter l’épreuve qui en découle.
Cet équilibre a été perturbé par l’importation récente en France de la conception nord-américaine du « phénomène transgenre », illustration de deux horizons culturels opposés. La culture anglo-saxonne substitue un pragmatisme qui résume la question sexuelle à une inadéquation du corps, et un individualisme qui fait chacun décisionnaire de son identité sexuée au titre d’une « autodétermination » qui s’appliquerait dès l’âge d’enfance et d’adolescence. Ce mode de raisonnement, au vœu de ne pas « discriminer » en fonction de l’âge, est le principe de la culture nord-américaine héritière d’une histoire chargée de violentes discriminations à l’endroit des minorités. Mais il méconnaît l’impératif psychologique d’une maturation du processus d’appropriation de son identité sexuée, tout au long de l’enfance et de l’adolescence : les enfants et les adolescents ne peuvent prendre la mesure de ce que serait « être de l’autre sexe ».
S’opposent donc deux compréhensions de la « transidentité » ; l’anglo-saxonne la tient effective dans la réalité, validant l’idée d’un bug naturel. Faute de savoir l’approcher sur le fond, la seule réponse est le recours aux traitements médicamenteux. La compréhension française la tient effective dans la vie imaginaire ; c’est qu’elle dispose de la technique permettant l’approche de la vie psychoaffective, une approche délicate. Car il faut y tenir compte du fait que dans l’épreuve qui se joue, autant pour le jeune qui dit son désarroi que pour ses parents déconcertés, ni lui ni eux ne sont responsables de ce qui se passe. Il n’y a aucun doute que lui veuille être un bon enfant qui comble ses parents et qu’eux veuillent le meilleur pour lui. Mais il a pu se créer une déconnexion de messages dans la transmission familiale, qui a piégé l’appropriation de sa réalité corporelle par l’enfant : c’est cette transmission qu’il faut rétablir.
D’où résulte l’erreur d’importer l’approche nord-américaine qui entraîne vers l’utopie transhumaniste d’un changement de sexe – mirage qui miroite comme un soulagement immédiatement accessible, surtout pour les jeunes désespérés, impatients de trouver une solution, débouchant sur de graves désillusions. Les psys français ont entrepris d’en convaincre leurs collègues anglosaxons.