La stratégie énergétique européenne aura-t-elle raison de l’écosystème numérique européen ?

Cyrille Dalmont, directeur de recherche à l’Institut Thomas More

Janvier 2024 • Rapport 29 •


Stratégie énergétique et stratégie numérique européennes

Les grandes orientations de la stratégie énergétique de l’Union européenne (création d’un marché européen de l’énergie, stratégie de réduction des émissions de gaz à effet de serre, engagement massif dans les énergies renouvelables, promotion de la sortie du nucléaire) produisent des effets dont il est temps de prendre la mesure : baisse de la production et de la consommation d’électricité, accroissement de la dépendance énergétique, affaiblissement des grands opérateurs historiques, affaissement du secteur nucléaire, etc. Ces choix entraînent aussi des conséquences économiques tangibles sur la capacité productive de certains secteurs industriels. L’objet du présent rapport est de mesurer, dans une démarche inédite, celles qui impactent le secteur numérique européen.

Vingt ans d’affaissement du secteur numérique européen

Commençons par rappeler le contexte macro-économique dans lequel cette recherche s’inscrit : l’affaissement du secteur numérique européen en vingt ans. En 2001, on comptait cinq entreprises européennes dans le Top-20 mondial des entreprises de la Tech. En 2020, il n’y en avait plus une seule. Aujourd’hui, les entreprises européennes représentent moins de 5% de la capitalisation des 50 premières entreprises Tech du monde. Hardware, software, systèmes d’exploitation, satellites, smartphones, objets connectés, IA, cloud, data centers : pas un marché sur lequel l’industrie européenne soit leader.

Transition numérique et pression démographique : des besoins en énergie qui explosent

Cet inquiétant déclassement s’observe au moment où les besoins énergétiques explosent partout dans le monde. D’abord sous l’effet de la transition numérique elle-même puisque la part du secteur représente déjà environ 15% de la consommation électrique mondiale et que des projections anticipent sa croissance à 25% dans les prochaines années. Ensuite sous l’effet de la pression démographique et de l’élévation du niveau de vie, avec une croissance de la consommation électrique mondiale qui progresse de 2,5% par an en moyenne.

L’Union européenne est seule au monde à prétendre réaliser le « découplage » entre croissance économique et consommation énergétique

Depuis les années 1960, on observe une corrélation très forte entre croissance du PIB et croissance de la consommation d’énergie partout dans le monde : phénomène bien connu que les économistes nomment « Energy-GDP elasticity » (élasticité du PIB par rapport à l’énergie). Alors que les autres grandes zones économiques (États-Unis, Chine, Inde) continuent de faire croître leur production électrique, l’Union européenne fait sienne la thèse du « découplage » et prétend créer de la croissance économique en réduisant production et consommation électriques.

Par ses décisions énergétiques depuis trente ans, l’Union européenne choisit la décroissance

Depuis la directive de 1996 sur le marché intérieur de l’électricité jusqu’au Pacte vert actuel, en passant par le traité de Lisbonne de 2007, la baisse de la production énergétique que nous observons aujourd’hui en Europe est le fruit de décisions et de choix politiques réalisés au nom de la transition énergétique. Ces décisions conduisent à des coûts considérables, évalués à 11 200 milliards d’euros sur dix ans par la Cour des comptes européenne en 2018. Nous montrons que l’engagement massif dans le renouvelable représente un surcoût d’investissement considérable pour les contribuables européens, entre 2,5 et 5 fois supérieurs à celui que représenterait la filière nucléaire, pour une production entre 4 et 8 fois inférieure.

Six propositions pour tenter de sauver l’écosystème numérique européen

Par essence, le secteur numérique est énergivore. Son développement réclame une quantité d’énergie électrique disponible massive et croissante. La politique énergétique européenne empêche tout simplement de l’envisager. Pour tenter de sauver l’écosystème numérique européen, il y a urgence à sortir d’un droit de la concurrence obtus et d’une politique de la norme inefficace. C’est le sens de nos propositions : définir une « clause d’exception » du droit européen de la concurrence dans les domaines stratégiques liés au numérique ; stimuler la réindustrialisation européenne en révisant le statut des groupements européens d’intérêt économique (GEIE) et en favorisant la création de zones économiques spéciales européennes (ZESE) et de groupements d’intérêt public européen (GIPE) ; renégocier l’accord sur les marchés publics et les instruments connexes de l’OMC ; inviter les États membres à négocier une dérogation au marché européen de l’énergie ; en finir avec le mirage de la thèse du « découplage » en imposant la renégociation du paquet climat-énergie et de l’objectif 55 ; et sanctuariser un plan de relance massif de l’outil français de production électrique d’origine nucléaire.

Le rapport

L’auteur du rapport

Cyrille Dalmont est directeur de recherche à l’Institut Thomas More. Titulaire d’un Master de droit public, ancien conseiller parlementaire à l’Assemblée nationale et ancien chargé de mission dans une grande métropole française, il a aujourd’hui rejoint le secteur privé. Au sein de l’Institut Thomas More, il analyse les mutations sociales et politiques provoquées par la numérisation massive de nos sociétés. Ses recherches portent actuellement sur deux axes principaux : les questions de régulation et les enjeux éthiques liés au déploiement du numérique et son impact sur les droits fondamentaux et les libertés publiques ; ainsi que les enjeux de souveraineté numérique, tant au niveau national que de l’Union européenne. Il est notamment l’auteur du rapport L’impossible souveraineté numérique européenne : analyse et contre-propositions (avril 2021)

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