Enfant « libéré », enfant « déchaîné » · Comment nous avons déconstruit l’autorité, et comment la restaurer

Christian Flavigny, pédopsychiatre, psychanalyste, directeur de recherche à l’Institut Thomas More

21 avril 2024 • Analyse •


Christian Flavigny, pédopsychiatre, psychanalyste, directeur de recherches à l’Institut Thomas More, auteur de Comprendre le phénomène transgenre (Ellipses, 2023), déplore la déconstruction de l’autorité dans notre société, dont témoignent de récentes affaires de violence chez les jeunes.


Comment s’étonner du déchaînement de la violence gratuite chez des mineurs, de plus en plus jeunes ? Notre vie de société s’applique depuis plusieurs décennies à « libérer l’enfant » de la tutelle parentale, pourtant la seule légitime à fonder l’autorité. Le plaidoyer a prétendu lutter contre la verticalité de l’éducation « patriarcale » honnie du passé. Il lui a substitué l’horizontalité de la relation à l’enfant : le voilà devenu « une personne », un mini-adulte doté de droits, mais privé d’en acquérir les codes et les manières de vivre, qui ne lui ont pas été transmises.

Les parents, décrétés oppresseurs, sont écartés de la tâche éducative. Rousseau, référence pionnière, l’illustre en décrivant l’éducation d’Émile : un orphelin, signe d’une défiance à l’égard du rôle parental – et Jean-Jacques avait-il crainte d’être un père abusif, d’avoir préféré abandonner ses propres enfants ?

Les pouvoirs publics ont soutenu cette disqualification des parents. Ils ont déconstruit le lien familial régulateur de la filiation, ainsi important d’outre-Atlantique des lois qui valident un droit de priver l’enfant d’avoir père-et-mère (2013 et 2021). Ils ont abondé un courant « pédagogiste » dépouillant la transmission des savoirs au prétexte de ne pas les inculquer. Ils ont embarrassé la tâche éducative par une « loi anti-fessée » (2014), comme si la fessée humiliante était encore pratiquée – hormis par quelques parents maltraitants –, loi piégeant l’action protectrice des tous les parents de bonne volonté, donc la plupart, qui ont certes pu un jour surréagir à un comportement risqué de leur enfant, mais sont capables de le reconnaître et de le regretter. Ils ont sécrété une loi (2022) écartant les parents de participer à la réflexion suscitée par leur jeune réclamant de « changer de sexe », alors qu’il convient de les associer à la compréhension du malaise que celui-ci exprime. Sans compter qu’ils envisagent de court-circuiter les parents qui s’insurgent contre un « enseignement à la sexualité » qui immergerait les enfants dans la sexualité adulte, suprême hypocrisie d’une connivence étatique affectée à l’égard des enfants et des jeunes.

Or, la seule autorité légitime aux yeux de l’enfant est celle qui provient de ses parents. Car leur dominance est régulée pour n’être pas domination. C’est le profit insigne du lien psychique de filiation : eux se retrouvent en leur enfant, qui est tel une part d’eux-mêmes à la génération suivante, tandis que lui prend repère sur leurs idéaux pour grandir. Du coup, l’enfant peut accepter que leur réprimande, voire leur interdiction, ne soit pas une entrave à son épanouissement mais un cadrage qui lui profitera plus tard pour établir sa place. La clé de l’éducation, c’est que cette promesse soit par l’enfant perçue comme fiable.

Plutôt que tacler les parents des jeunes auteurs de méfaits, les pouvoirs publics, s’ils veulent restaurer l’autorité, devraient respecter l’autorité parentale, et même s’en inspirer. L’actuelle réforme de la justice des mineurs (2024) ne donne toujours pas à la sanction sa juste place dans l’approche de la délinquance juvénile – alors que tout prouve que cette attitude n’est pas perçue par les jeunes comme tempérance à leur égard mais comme faiblesse, et plus encore comme délaissement. La fermeté est un message d’attention et de préoccupation attendu des jeunes qui dérivent dans la délinquance. La violence des mineurs, c’est le résultat d’une démission par les adultes d’exercer leur rôle à leur égard, au prétexte fallacieux de les protéger – car c’est l’inverse : la véritable protection en appelle à la sanction qui est l’accusé de réception d’un dérapage à contrôler.

Freud avait souligné le point commun entre « éduquer » et « gouverner » : deux tâches « impossibles » car gérant les impératifs contradictoires de protéger et de favoriser l’autonomie (il ajoutait : psychanalyser !). Dans les deux cas, il n’y a de « sursaut d’autorité » possible que depuis une légitimité. Elle seule fait de l’obéissance une complice de l’autorité, et non son adversaire.