Sondage · Les dirigeants d’entreprise et l’accompagnement des entreprises en difficulté

Sondage exclusif OpinionWay pour l’Institut Thomas More

Une note d’actualité accompagne le sondage

Mai 2021 • Note d’actualité 75 •


Jean-Thomas Lesueur présente le sondage sur BFM Business


L’Institut Thomas More dévoile un sondage sur les dirigeants d’entreprise et l’accompagnement des entreprises en difficulté

Alors que la France est menacée par une explosion du nombre de faillites d’entreprises dans les prochains mois et que René Ricol, dans son rapport réalisé à la demande du Premier ministre en vue d’aplanir les tensions entre le régime de garantie des salaires (AGS) et les Administrateurs et Mandataires Judiciaires (AJMJ), conclut à la nécessité d’une réforme en profondeur des procédures de restructurations d’entreprises, l’Institut Thomas More a commandé un sondage à OpinionWay sur la vision que les dirigeants d’entreprise ont de l’accompagnement des entreprises en difficulté.


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1. Près de sept dirigeants d’entreprise sur dix jugent difficile la reprise d’entreprises en difficulté

Ce chiffre n’a rien d’étonnant, il est même logique : reprendre une entreprise qui va mal, qui a perdu ses clients, n’innove plus ou doit repenser son activité, n’est évidemment pas un exercice facile. Mais, mis en résonnance avec les résultats de plusieurs questions suivantes (Point 6 et Point 7), ce chiffre dit autre chose. C’est le système d’accompagnement des entreprises en difficulté français dans son ensemble qui est lourd et complexe. Dans sa récente comparaison internationale, Sébastien Laye, chercheur associé à l’Institut Thomas More, a qualifié le régime d’insolvabilité français de « médiocre et peu performant » (1). Et, de fait, dans le classement Doing Business de la Banque mondiale des régimes d’insolvabilité, la France pointe au 26e rang, loin derrière la Finlande (1e), les États-Unis (2e), l’Allemagne (4e) et le Danemark (6e) (2).

2. Les dirigeants d’entreprise connaissent globalement bien les procédures collectives

Si les dirigeants d’entreprise français jugent difficile la reprise d’entreprises, c’est en connaissance de cause (Point 1). Ce jugement est fondé sur la bonne connaissance qu’ont globalement les dirigeants d’entreprise des procédures collectives (sauvegarde, redressement, liquidation) : 93% d’entre eux connaissent au moins l’une d’elles et 53% en connaissent au moins une. A noter que le degré de connaissance varie en fonction de la taille de l’entreprise : 98% des dirigeants d’entreprises de 250 salariés et plus connaissent les trois procédures, là où 91% des dirigeants d’entreprises de moins de 10 salariés les connaissent. Ces variations s’observent aussi en fonction du secteur d’activité et de la localisation.

3. Les dirigeants d’entreprise connaissent moins bien les procédures préventives

Si huit dirigeants d’entreprise sur dix connaissent au moins l’une des trois procédures préventives existantes (conciliation, procédure de sauvegarde, mandat ad hoc), moins de trois sur dix les connaissent toutes les trois. Ce chiffre montre un déficit d’information qui peut être extrêmement dommageable au moment où une entreprise commence à connaître des difficultés.

4. Procédures préventives : les dirigeants d’entreprise plébiscitent la conciliation et la sauvegarde

Si les dirigeants d’entreprise connaissent mal les procédures de sauvegarde (Point 3), ils plébiscitent la conciliation (à 75%) et la procédure de sauvegarde (à 68%). Et ils ont raison. C’est l’un des points noirs du système français. La comparaison internationale, conduite par Sébastien Laye, fait ressortir que les instruments français de prévention des difficultés sont plutôt dans le bas des standards occidentaux. La France ne dispose pas de mécanismes efficaces d’alerte précoce ; ceux qui existent – comme celui, récent, des « signaux faibles » –ne sont guère efficaces et peu utilisés (3).

5. Six dirigeants d’entreprise sur dix jugent mauvais le dialogue entre les entreprises en difficulté et leurs créanciers

61% des dirigeants d’entreprise considèrent que le dialogue entre les entreprises en difficulté et leurs divers créanciers est mauvais (46% assez mauvais, 15% très mauvais). Après la méconnaissance des procédures de sauvegarde (Point 4), c’est le deuxième point noir du système français. Dans sa note publiée par l’Institut Thomas More en avril, Sébastien Laye a souligné que la contre-performance française dans le classement Doing Business de la Banque mondiale s’expliquait, si l’on regardait de près les autres modèles, principalement par le sort réservé aux créanciers en France, du fait de procédures souvent trop rigides et insuffisamment protectrices (4). Cette question devra être au cœur de la réflexion à conduire sur la réforme du système.

6. Les dirigeants d’entreprise considèrent que les procédures collectives favorisent davantage les administrateurs et mandataires de justice, les salariés et les banques que les actionnaires

27% des dirigeants d’entreprise considèrent que les procédures collectives (sauvegarde, redressement, liquidation) favorisent les administrateurs et les mandataires de justice, 24% les salariés, 21% les banques… contre 9% les actionnaires. Ce résultat témoigne de la bonne compréhension par les chefs d’entreprise des dysfonctionnements des dispositifs français d’accompagnement aux entreprises en difficultés (Point 1), qui ne favorise ni ne sécurise suffisamment l’actionnaire, le possible repreneur.

7. Les dirigeants d’entreprise n’ont globalement pas une bonne image de l’administration, des assurances, des administrateurs et mandataires judiciaires ni des banques

Dans le cadre de procédures de faillites ou de liquidation, 60% des dirigeants d’entreprise ont une image négative des assurances, 61% des administrateurs et mandataires de justice et 62% des banques. A l’inverse, seuls 41% ont une image négative des tribunaux de commerce. Et l’image de l’administration est mitigée (45% d’opinion favorable, 48% d’opinion défavorable). Concernant les praticiens de l’insolvabilité, l’opinion des dirigeants d’entreprise rejoint les résultats d’études internationales : les administrateurs et mandataires judiciaires « à la française » n’ont pas d’équivalents dans les pays comparés où leur rôle est assumé par des avocats, des comptables ou des professionnels du monde économique (5). Conflits d’intérêts, ouverture de la profession, règles de rémunération : ces aspects sont un autre enjeu-clé, bien relevé par le rapport Ricol, de l’indispensable réforme du secteur.

8. Moins de quatre dirigeants sur dix pensent que les relations entre les différents acteurs sont transparentes

Si tout juste la moitié des dirigeants d’entreprise pensent que l’implication des différents acteurs (actionnaires, banques, salariés, administrateurs judiciaires) est suffisante, et un peu moins encore que l’organisation de l’accès à l’information est adaptée, seuls 36% considèrent que les relations entre les différents acteurs (actionnaires, banques administrateurs judiciaires) sont transparentes. Les dirigeants d’entreprise ont raison : l’enjeu de la transparence est majeur. Relevé par les études internationales (6), il l’a également été par le rapport Ricol qui pointe « le manque de transparence des frais de justice et des frais de procédures et parfois leur caractère excessif » (7). C’est l’un des angles morts du système français – à traiter dans le cadre de la réforme d’ensemble que nous appelons de nos vœux.

9. La moitié seulement des dirigeants d’entreprise s’estiment bien informés sur les mécanismes d’aides aux salariés dans le cadre de procédures collectives

Le fait que seuls 50% des dirigeants d’entreprise se disent bien informés sur les mécanismes d’aides aux salariés en cas de procédure collective dans une entreprise, est préoccupant. C’est un chiffre très insuffisant. Alors que tout le monde redoute une augmentation massive des faillites dans les mois et les années qui viennent, un important effort d’information et de formations des dirigeants d’entreprise est nécessaire, afin de leur faire connaître le régime de garantie des salaires, qui constitue l’une des grandes forces du système français (Point 11).

10. Une majorité de dirigeants d’entreprise ne connaît pas l’AGS, qui pilote le régime de garantie des salaires

Corollaire de la méconnaissance des mécanismes d’aides aux salariés en cas de procédure collective (Point 9), la méconnaissance de l’AGS, association patronale chargée de piloter le régime de garantie des salaires, est logique. Logique, mais préjudiciable. Les perspectives économiques et l’accroissement attendu du nombre des faillites plaident, on l’a dit, en faveur d’une vaste campagne de sensibilisation sur le rôle et les services que l’AGS apportent aux entreprises et aux salariés. L’AGS intervient en effet quand une entreprise se trouve en procédure collective (sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaire) et n’a pas les fonds disponibles pour payer les salaires. L’AGS se substitue alors à l’entreprise et règle ces sommes aux salariés (8). Elle accomplit donc une mission sociale essentielle qui mérite d’être davantage connue des dirigeants d’entreprise mais aussi des salariés.

11. Les dirigeants d’entreprise qui connaissent le régime de garantie des salaires le plébiscitent massivement

La méconnaissance des mécanismes d’aides aux salariés en cas de procédure collective (Point 9) et celle de l’AGS, association patronale chargée de piloter le régime de garantie des salaires (Point 10), sont d’autant plus préjudiciables que, lorsqu’ils les connaissent, les dirigeants d’entreprise les plébiscitent à des niveaux extrêmement élevés. Le traitement du salarié est en effet l’un des principaux atouts du régime français, en particulier grâce à la garantie des salaires et le privilège des salariés. Non seulement les créances salariales sont prioritaires sur les autres mais le plafond d’indemnités potentiellement versé aux salariés est nettement plus élevé (jusqu’à 80 000 euros contre une moyenne européenne de 20 000 à 30 000 euros). La France est par ailleurs au premier rang mondial pour la vitesse de traitement des dossiers d’indemnité (9).

Plutôt que de risquer de le déstabiliser, la réforme systémique dont le régime d’insolvabilité français a urgemment besoin, devra donc chercher à renforcer l’AGS, en repensant ses « conditions d’intervention et ses droits », comme le demande le rapport Ricol (10). L’Institut Thomas More a déjà fait plusieurs propositions en ce sens (11).

Notes •

(1) Sébastien Laye, Entreprises en difficulté : que vaut le régime d’insolvabilité français ? Analyse comparative internationale, Institut Thomas More, Note de Benchmarking 20, avril 2021, disponible ici.

(2) Banque mondiale, Doing Business, Measuring Business Regulation, Resolving Insolvency, 2019, disponible ici.

(3) Sébastien Laye, Entreprises en difficulté : que vaut le régime d’insolvabilité français ? Analyse comparative internationale, op. cit.

(4) Ibid.

(5) Judith Dahlgreen, Sarah Brown, Andrew Keay et Gerard McCormack, Study on a new approach to business failure and insolvency Comparative legal analysis of the Member States’ relevant provisions and practices, rapport de l’Université de Leeds pour la Commission européenne, 2016, disponible ici.

(6) Ibid.

(7) René Ricol, Mission AGS/AJMJ, rapport à Monsieur le Premier Ministre, 15 avril 2021, p. 16, disponible ici.

(8) Voir les explications détaillées dans Franck Morel et Sébastien Laye, Face au mur des faillites d’entreprises : comment mieux protéger les salariés ?, Institut Thomas More, Note 46, février 2021, disponible ici.

(9) Sébastien Laye, Entreprises en difficulté : que vaut le régime d’insolvabilité français ?, op. cit.

(10) René Ricol, op. cit., p. 5.

(11) Franck Morel et Sébastien Laye, Face au mur des faillites d’entreprises : comment mieux protéger les salariés ?, op. cit.

Dans les médias

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