Du Japon au Vietnam en passant par Taïwan · Quelle stratégie pour les Européens face aux revendications territoriales chinoises ?

Laurent Amelot, chercheur associé à l’Institut Thomas More et le CV (h) Hugues Eudeline, spécialiste de la Chine maritime

Juillet 2021 • Note 49 •


Poumon économique du monde, les mers de Chine sont le théâtre de revendications territoriales génératrices de tensions, dont la République populaire de Chine est l’initiateur

En effet, la Chine communiste est contrainte dans ses accès maritimes, car aucune des îles qui l’enserrent n’est sous sa souveraineté. De plus, ses flux commerciaux doivent transiter par des points de passage obligés qu’elle ne contrôle pas, ce qui constitue un enjeu de sécurité nationale qualifié de « Dilemme des détroits ». La Chine a un besoin impérieux de se libérer de ce carcan qui l’enserre. En 1992, soit quatre ans avant de ratifier la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM), la Chine Continentale promulgue une loi sur la mer territoriale et la zone contiguë, qui lui accorde souveraineté sur les deux tiers des mers de Chine. Cette loi, qui s’appuie sur la théorie de la « ligne en neuf ou dix traits », contrevient à la Loi internationale de la mer, Pékin s’appropriant purement et simplement la quasi-totalité des mers de Chine.

Cette posture maritime représente un changement de paradigme économique et géopolitique majeur pour une Chine habituellement plutôt tournée vers son flanc occidental

Dès lors, pour lever les contraintes qui sont les siennes, la Chine s’engage dans une politique de poldérisation des récifs et îlots des mers de Chine afin de résoudre le « dilemme de Malacca » et de faire sauter le verrou taïwanais. D’autant que la question n’est plus de savoir si, mais plutôt quand la Chine envahira Taïwan ; la marine dont elle se dote, aujourd’hui supérieure en tonnage à l’US Navy, est formatée pour cette mission prioritaire ; Pékin envisageant, en plus, de faire de cette région un bastion pour sa flotte océanique stratégique.

Un réengagement politique des Européens s’impose

La politique agressive que conduit la Chine populaire dans les mers de Chine représente un défi majeur pour les Occidentaux. Sont-ils prêts à se battre pour quelques récifs ? Assurément non. Mais s’il s’agit de la sécurité des routes commerciales critiques, assurément oui. Les mers de Chine sont une zone stratégique pour la communauté internationale et l’Europe, qui y possède de multiples intérêts à défendre. Ainsi, en avril 2021, l’Union européenne a énoncé les contours de ce qui sera sa stratégie pour l’Indo-Pacifique, dans le prolongement de travaux officiels de certains de ses membres (France, Allemagne, Pays-Bas) et officieux d’autres (Danemark, Royaume-Unis avant le Brexit). Toutefois, cette stratégie de l’UE n’évoque qu’indirectement les mers de Chine, qui sont pourtant l’un des points les plus chauds de la planète et, surtout, le pivot de la méga-région maritime qu’est l’Indo-Pacifique.

Aussi, afin de recentrer une partie du débat autour des mers de Chine, l’Institut Thomas More propose une action européenne en quatre temps

Créer une communauté de valeurs démocratiques, y associer Taïwan ;

Assoir une autonomie stratégique, favoriser les partenariats renforcés ;

Restaurer la logique des noyaux durs, placer la France au centre de la stratégie Indo-Pacifique et mers de Chine de l’Union ;

Mutualiser et pré-positionner des forces navales dans l’Indo-Pacifique, organiser des opérations de liberté de navigation.

Ce pivotement vers l’Indo-Pacifique marque la volonté de l’UE de se réengager politiquement dans cette région. La zone pourrait constituer un laboratoire pour la formulation et l’élaboration d’une véritable Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) dédiée, ultérieurement transportable comme modèle à d’autres thématiques, associant et coordonnant ses propres moyens et actions à ceux de ses membres.

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Les auteurs

Laurent Amelot est chercheur associé à l’Institut Thomas More et directeur du Programme L’Indo-Pacifique à l’épreuve des ambitions chinoises. Diplômé de l’Institut d’Etude des Relations internationales (ILERI) et titulaire d’un Master 2 en sécurité internationale et défense de l’Université Lyon 3 (CLESID) et en géographie-aménagement du territoire de l’Université Paris 4 Sorbonne, il a été rédacteur en chef de la revue Outre-Terre et, en 1997, lauréat du prix Amiral Daveluy. Il est aujourd’hui chargé d’enseignement à l’ILERI et membre du groupe de réflexion Asie21. Après avoir longtemps consacré ses travaux à l’Asie du Sud-est et à l’Asie du Sud principalement, il s’est intéressé ces dernières années à la Chine, à sa politique étrangère et tout particulièrement à la dimension maritime de sa stratégie de puissance   

 

Le CV (h) Hugues Eudeline est ancien officier de marine (EN 72). Il est breveté de l’enseignement militaire supérieur (Naval Command College, Newport, USA, École supérieure de guerre navale et Cours supérieur interarmées, Paris). Titulaire d’un Master of Science-Management (Salve Regina University, R.I., U.S.A.), il est docteur en histoire militaire, défense et sécurité de l’École pratique des hautes études (Paris). Vice-président de l’Institut culturel et géopolitique Jacques Cartier, il est également membre correspondant de l’Académie royale de marine suédoise. Il a récemment publié « Chinese Maritime Strategy in the Long Run », Tidskrift i Sjöväsendet (Journal de la Société Royale suédoise des Sciences navales, n°5-2020, décembre 2020) et  « Objectifs politiques de la Chine et stratégie maritime », Revue de la défense nationale (avril 2021)   

Dans les médias

 

談歐盟印太戰略抗中 法國學者:應承認台灣主權

Article sur notre séminaire « L’Union européenne face aux revendications territoriales de la Chine en mers de Chine »  et sur la note de Laurent Amelot et Hugues Eudeline • 9 juillet 2021

法國智庫談中國南海擴張 首邀台灣學者分析戰略

Dépêche de l’agence de presse Central News Agency (Taïwan), sur notre séminaire « L’Union européenne face aux revendications territoriales de la Chine en mers de Chine » • 9 juillet 2021

Placer les mers de Chine au cœur de notre stratégie indo-pacifique, un impératif

Tribune de Laurent Amelot • 8 juillet 2021

Vidéo de notre conférence du 8 juillet 2021

Avec le général (cr) Daniel Schaeffer, diplômé de l’Inalco (chinois), ancien attaché de défense en Thaïlande, au Vietnam et en Chine, spécialiste des stratégies chinoises dans les mers de Chine, le CV (h) Hugues Eudeline, docteur en histoire de l’EPHE, spécialiste de la Chine maritime et membre correspondant de l’Académie royale de marine suédoise, et M. Jui-Min Hung, docteur en science politique de l’Université de Louvain, chercheur adjoint à la division de la Stratégie et des Ressources de Défense de l’Institute for National Defense and Security Research (Taipei), spécialiste de la Chine.