Décembre 2021 • Note d’actualité 77 •
Le 12 décembre prochain, les néo-calédoniens sont appelés à s’exprimer par référendum sur l’avenir du « Caillou », dans ou hors de la France. Cette échéance n’intéresse guère la métropole. Ses enjeux sont pourtant majeurs pour notre pays, sa place dans l’espace Indopacifique et son rang dans le monde. L’Institut Thomas More propose une analyse complète de ces enjeux. Géoéconomiques d’abord, avec Laurent Amelot, à travers la question du nickel, des nodules polymétalliques et de l’avenir industriel de l’île. Géopolitiques ensuite, avec Hugues Eudeline, le rappel des ambitions chinoises et de l’importance de la Nouvelle-Calédonie dans l’équilibre des forces dans la région, attestée par l’histoire. Géostratégiques enfin, avec Jean-Sylvestre Mongrenier, et l’atout que constitue le « Caillou » dans le « grand jeu » indopacifique et mondial.
Malgré la volonté affichée à Paris de dépasser la crise diplomatique provoquée par la perte du marché sur les « sous-marins australiens », en septembre dernier, la question reste sensible et, avec elle, l’hypothèse d’une impéritie politique française. Rappelons que les enjeux de ce contrat n’étaient pas exclusivement militaro-industriels : le partenariat négocié entre Paris et Canberra constituait l’un des piliers d’une politique plus large dans le vaste ensemble Indopacifique.
Indépendamment de la manière humiliante et inamicale dont le pacte AUKUS a été concocté – une triple-alliance régionale qui renforce les liens entre les États-Unis, l’Australie et le Royaume-Uni –, l’inconséquence du gouvernement français en Nouvelle-Calédonie a probablement influé sur la décision prise à Canberra de négocier un accord plus ambitieux avec des tiers. Outre la conception et la production de sous-marins d’attaque à propulsion nucléaire, le pacte AUKUS comprend en effet des garanties de sécurité ainsi qu’une alliance dans le domaine des nouvelles technologies. Quel rapport avec la Nouvelle-Calédonie ?
Nous en sommes à l’organisation d’un troisième référendum en trois ans, possibilité ouverte par les accords de Nouméa (1988), sans être pour autant obligatoire. Lors des deux premiers referenda, les 4 novembre 2018 et 4 octobre 2020, le « non » à l’indépendance l’a emporté, mais la dynamique indépendantiste s’est amplifiée (le « non » est passé de 56,7% à 53,26% des voix). Et, dans ce contexte incertain que les effets locaux de la pandémie aggravent, le gouvernement français se présente comme une instance neutre ou presque, comme si le résultat lui était indifférent. C’est donc avec scepticisme que les décisionnaires australiens regardent le processus, redoutant un départ de la France, hypothétiquement suivi par l’arrivée des Chinois.
A rebours de ce dilettantisme français et de cette « impolitique » gouvernementale, il doit être souligné que le devenir de la Nouvelle-Calédonie et son maintien dans un ensemble français recouvrent des enjeux géoéconomiques, géopolitiques et géostratégiques majeurs.
Comme le montre Laurent Amelot dans la présente note, la seule considération des enjeux de possession (mines de nickel, zone économique exclusive et ressources extraites de la mer) et des perspectives qu’ouvre leur valorisation mettent en évidence l’importance de la souveraineté française de ce territoire certes lointain mais inscrit dans l’ensemble français depuis 1853. En détaillant les ambitions chinoises, Hugues Eudeline rappelle que, par sa position dans le Pacifique-Sud, cet archipel recèle aussi des enjeux géostratégiques majeurs, ce dont témoigne l’histoire contemporaine. Ainsi faut-il rappeler la place et la fonction de ce territoire lors la guerre du Pacifique (1941-1945), quand les Américains et leurs alliés s’en allèrent reconquérir la « sphère de coprospérité » du Grand Japon. Dans cette affaire, les enjeux symboliques ne sont pas moindres : la perte de contrôle de la situation politique locale minerait la « stratégie Indopacifique » de la France, désormais inaudible, comme Jean-Sylvestre Mongrenier en fait la démonstration. A l’inverse, le devenir de la Nouvelle-Calédonie déterminera la place et le rôle de la France dans le Pacifique Sud et, plus largement, sur le grand théâtre de l’Indopacifique.
Une position gouvernementale claire sur la Nouvelle-Calédonie et ses enjeux, suivie d’une victoire du « non» à l’indépendance, le 12 décembre prochain, assureront la perpétuation de la « plus grande France ». En bonne entente avec ses alliés et partenaires régionaux, celle-ci sera en mesure de garantir la présence de l’Europe dans une partie du monde où se détermineront les équilibres de puissance et de richesse du vingt-et-unième siècle. Tels sont les enjeux de ce référendum crucial pour l’avenir de la France.
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Les auteurs
Laurent Amelot, spécialiste de la politique étrangère de la Chine et directeur du Programme L’Indo-Pacifique à l’épreuve des ambitions chinoises de l’Institut Thomas More •
Hugues Eudeline, CV (h), ancien officier de marine et spécialiste des enjeux géopolitiques maritimes et de la géopolitique maritime duale (civile et militaire) de la Chine • Jean-Sylvestre Mongrenier est spécialiste des enjeux géopolitique européens. Auteur d’une Géopolitique de l’Europe (PUF, 2020), il s’intéresse aux évolutions et aux tensions des solidarités occidentales • Tous trois sont chercheurs associés à l’Institut Thomas More • |
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Crédits photos : ESA/NASA, Thomas Pesquet, 2016